Salle d’audience du Tribunal militaire de Sfax

Hakim Ghanmi risque jusqu’à trois ans de prison et une amende pour avoir, sur son blog, critiqué l’administration et le directeur d’un hôpital militaire. Le procès du blogueur, qui a été entendu mercredi 29 mai par le juge d’instruction du tribunal militaire permanent de première instance de Sfax, a été reporté au 3 juillet à la demande de ses avocats.

Le 10 avril, Hakim Ghanmi avait publié sur son blog, Warakat Tounsia (« Pages tunisiennes»), un billet adressé au ministre de la Défense, dans lequel il s’insurgeait contre le refus de l’hôpital militaire de Gabès de recevoir une patiente (en l’occurrence sa belle-soeur), alors qu’elle avait pris un rendez-vous. Le blogueur y demandait également une enquête sur la façon dont les patients sont traités par le directeur de l’hôpital, affirmant que ce dernier serait allé jusqu’à « menacer » sa belle-soeur et son frère.

Le directeur de l’hôpital a porté plainte auprès du tribunal militaire de Sfax, et Hakim Ghanmi se retrouve accusé d’avoir, sur la base de l’article 128 du Code pénal, « imputé à un fonctionnaire public des faits illégaux en rapport avec ses fonctions sans en établir la véracité », et d’avoir « nui, sciemment, à un tiers, à travers les réseaux publics de télécommunication », en vertu de l’article 86 du Code des télécommunications. Ce dernier article a déjà été utilisé en mars 2012 contre le bogueur Jabeur Mejri, condamné à sept ans et demi de prison pour des articles publiés en ligne jugés insultants envers l’islam.

Une troisième accusation, cette fois pour « atteinte à la dignité de l’armée nationale » (article 91 du Code de la justice militaire), est portée par le chef du contentieux de l’État pour le compte du ministère de la Défense.

Amnesty International et la LTDH dénoncent une atteinte à la liberté d’expression

Pour l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International, qui demande l’arrêt immédiat des poursuites contre Hakim Ghanmi, « c’est un coup sérieux porté à la liberté d’expression en Tunisie ».

« Des civils ne devraient jamais être jugés par des tribunaux militaires », s’insurge Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme d’Amnesty International pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

Le matin du 29 mai, vingt avocats étaient présents au tribunal militaire de Sfax pour défendre bénévolement Hakim Ghanmi. Et quinze avocats supplémentaires se sont portés volontaires. Ils défendent le blogueur au nom de l’article 1 du décret 115 du Code de la presse, qui garantit « le droit à la liberté d’expression ».

« J’ai dit au juge d’instruction, avec qui j’ai discuté pendant une heure et demie, que j’avais le droit de m’exprimer librement en tant que citoyen, même si je ne suis pas un journaliste professionnel », raconte Hakim Ghanmi, joint par Nawaat.

« L’hôpital militaire n’est pas vraiment une institution militaire, puisque des civils vont s’y faire soigner. C’est une institution publique, et tous les citoyens ont le droit d’accéder aux informations concernant cet hôpital », ajoute l’avocate Naïma Nsiri, qui compte parmi les défenseurs du blogueur.

Hakim Ghanmi a également reçu le soutien de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH), qui craint « une instrumentalisation de la justice militaire pour museler la liberté de la presse ».

« Critiquer les autorités et exiger que des comptes leur soient rendus est un droit pour lequel les Tunisiens se sont battus et qu’ils ont obtenu avec beaucoup de peine, rappelle Hassiba Hadj Sahraoui, d’Amnesty International. Il est véritablement troublant de constater qu’en Tunisie des citoyens puissent encore être poursuivis en justice parce que certains responsables n’acceptent pas d’être critiqués. »