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Le cercueil arrive à l’endroit où sera enterré Mohamed Brahmi. Crédit image : Amine Boufaied – www.nawaat.org

L’heure n’est plus aux atermoiements ni aux calculs politiciens, et encore moins à la trop fameuse langue fumeuse faite de bois et d’arrière-pensées. Le peuple de Tunisie a assez prouvé, tout au long des épreuves endurées depuis son Coup retentissant, qu’il est attaché à ses libertés, toutes ses libertés, autant qu’il est fier de son identité dans sa dimension spirituelle propre.

Réduire l’identité tunisienne à une conception anachronique de la religiosité a été une monstruosité de la part de certaines des élites aux commandes de l’État et qui récoltent aujourd’hui les fruits amers de leur machiavélisme politique et de leur dogmatisme religieux.

Tout autant, nier la dimension spirituelle avérée de la tunisianité au nom d’une sécularité mal comprise, érigée en une déité profane, ne fut pas moins monstrueux de la part des opposants à nos religieux grisés par le pouvoir et à leurs sympathisants fanatisés par leur lecture inauthentique de l’islam, surtout lorsqu’ils fermaient les yeux sur les avanies d’un ordre passé désormais fini, qu’ils cherchaient ainsi à faire revivre, même artificiellement.

Le temps est à la volonté du peuple, qui est une puissance épanouie dans les rues en cet âge des foules aux sens débridés qui, même si elles peuvent être manipulées, n’en ont pas moins un imaginaire rétif à toute instrumentation et dont les déités tutélaires ne sont ni exclusivement morales ni totalement matérielles, mais tout à la fois éthiques et esthétiques ou spirituelles, en ce sens qu’il s’agit en l’occurrence d’une soif de dignité, d’une faim d’authenticité et d’une exigence de libertés.

Cette trinité politique qui a été au cœur du Coup du peuple de janvier 2011 constitue encore et toujours le chœur de nos rues en fièvre, et il serait suicidaire pour nos élites, au pouvoir ou hors pouvoir, de l’ignorer après que l’irréparable se soit produit et ait été cyniquement confirmé.

Que faire alors ? Dissoudre une assemblée d’élus qui n’a plus la confiance du peuple, même si elle assure avoir tiré les leçons des événements passés et être sur le point de satisfaire nombre de ses exigences, dont une entente sur le texte de la constitution ? C’est bien la solution qu’imposent les circonstances, ayant le mérite du spectaculaire qui soit d’efficacité immédiate, ralliant les oppositions les plus véhémentes, même si elle présente l’inconvénient majeur de revivifier les inimitiés chez les accros de la légitimité des urnes, que ce soit au titre des principes de la légalité ou de la pure tactique politique, avec à la clef le risque non négligeable d’instabilité juridique s’ajoutant à l’instabilité politique devenue chronique. Or, ce serait même inévitable au vu du jeu auquel s’adonnent les divers protagonistes qui se la jouent sans vergogne, qui aux chevaliers blancs de la vertu, qui aux tenants soucieux de la rationalité la plus élémentaire.

Malgré tout, une telle solution demeure la plus adaptée à la situation exceptionnelle actuelle que vit le pays, à moins que l’Assemblée nationale constituante ne réussisse par des décisions solennelles, et encore plus spectaculaires que sa dissolution, à reconquérir une place dans les cœurs en démontrant qu’elle est véritablement représentative des plus larges couches de la population et inspirée par leurs exigences révolutionnaires.

Quelles seraient de telles mesures, synonymes d’une seconde révolution en Tunisie ? Ceux qui me lisent ont certainement deviné ce à quoi je vais appeler de nouveau, ce pour quoi je milite et que je considère comme inéluctable, aussi bien en termes d’évolution historique que d’analyse politique. En tout cas, c’est ce qui me semble de nature — ici et maintenant — à sauver la légitimité de l’ANC tout en réactivant l’esprit de la Révolution.

En voici la potion magique en quelques mesures, qui sont comme un antidote à la situation terrible de crise actuelle :

1 — Sur le plan national :

1.1/ Que le parti majoritaire déclare solennellement accepter les exigences des droits de l’Homme dans leur universalité et, en une manifestation à haute valeur symbolique, décide de consacrer le principe de l’abolition de la peine de mort dans la constitution. Agissant de la sorte, il administrera la preuve tangible de sa capacité à évoluer vers l’assomption des symboles démocratiques et à dépasser ses spectaculaires blocages dogmatiques.

1.2/ Que Nahdha, sans se cacher derrière la prétendue indépendance de la justice — puisque tout un chacun sait qu’elle n’est pas encore effective en notre pays —, annonce la libération immédiate de tous les prisonniers d’opinion et le droit au retour librement en Tunisie de tout réfugié politique, et ce en même temps que la suspension sans délai de toutes les lois liberticides héritées de l’ancien régime, toujours en vigueur.

1.3/ Que le gouvernement décide aussi devant l’Assemblée de la manière la plus solennelle la suspension du service de la dette de l’ancien ordre juridique, tout en la dénonçant comme une dette scélérate.

2 — Sur le plan international :

2.1/ Qu’il énonce tout aussi solennellement le principe de la libre circulation pour les Tunisiens comme un acquis de leur Révolution. Et que la Tunisie décide d’office la suspension de la tolérance de relevé des empreintes digitales de ses nationaux par les représentations consulaires étrangères tant que le visa biométrique n’aura pas été transformé en visa de circulation pour tous ses ressortissants.

2.2/ Que la Tunisie appelle, dans ce cadre, à la création d’un espace méditerranéen de démocratie et propose dans la foulée son adhésion à l’Union européenne. Qu’elle rappelle à ses partenaires la nécessité pour toute démocratie avérée d’encourager la stabilisation de la jeune démocratie en Tunisie, qui ne peut se passer pour cela d’un espace de démocratie élargi à ses voisins, pays démocratiques. Et en appui à cette démarche, que la Tunisie appelle aussi, dans le cadre de son rôle historique en francophonie, à un espace francophone de démocratie méditerranéenne, rappelant que nulle démocratie naissante ne saurait croître et se stabiliser sans être articulée à un système démocratique ayant fait ses preuves. Et qu’elle rappelle que la paix et la prospérité en Méditerranée dépendent pour une grande partie de la réussite de l’expérience démocratique tunisienne, et que c’est une exigence majeure incombant aux démocraties, notamment européennes, leur propre sécurité étant également concernée.

2.3/ Et qu’elle agisse pour promouvoir auprès de ses partenaires une vision apaisée et paisible de l’islam en appelant à un islam démocratique, attaché véritablement aux valeurs humaines universelles, dont elle lancera ainsi officiellement le mouvement, prenant sa tête, confirmant de la sorte que l’islam politique tunisien est non seulement sui generis, en étant conforme aux canons démocratiques universels, mais qu’il est parfaitement en mesure de constituer le modèle futur pour tout pays arabe musulman tenté pour la démocratie.

Ainsi, et ainsi seulement, l’ANC serait en mesure de prétendre demeurer en place, car elle aura alors la prétention d’incarner à bon droit les exigences populaires tout en ayant réussi à se transfigurer en assemblée véritablement révolutionnaire.