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Mosquée Al Tawba, Cité Ezouhour, Kasserine. Crédit Photo : Lilia Weslaty.

Mehdi a 20 ans. Grâce à lui, le premier terroriste des groupes armés à Djebal Chaâmbi a été arrêté. Quand à Sana, 16 ans, aider les terroristes est un devoir islamique, quitte à faire ce qu’on appelle le “djihad du niqah”. Des montagnes de Kasserine jusqu’à la mosquée Al Tawba à Hay Ezzouhour, la détermination pour vaincre le terrorisme croise la folie et la peur.

« Plus de 46 personnes qui aident les groupes armés au massif Chaâmbi ont été arrêtées par les autorités », a déclaré le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou le 4 août 2013. Pourtant, pendant plus d’un an, aucun des présumés « terroristes » n’a été capturé, et ce jusqu’au 7 août. Ce ne sont ni le service des renseignements, ni les forces de l’ordre, ni l’armée, ni la garde nationale qui ont découvert le terroriste Mohamed Habib Amri, mais un jeune de 20 ans, Mehdi [1], qui a aujourd’hui peur des représailles de la part des terroristes. Grâce à cette arrestation, katibat (bataillon) Oqba Ibn Nafaâ, implantée à Kasserine, perd de jour en jour ses complices pour les aides logistiques.

La peur des représailles de la part des terroristes

Il fait plus de 33 degrés. Nous sommes à une vingtaine de kilomètres du centre de Kasserine, plus précisément dans la petite commune d’Awlad Massoud, à Fousséna, une délégation se trouvant au nord du massif montagneux de Sammama et au pied du Djebal Bireno, à 25 kilomètres des frontières algériennes. C’est bien là que le premier djihadiste impliqué dans le massacre des membres d’un commando militaire , Mohamed Habib Amri, a été aperçu par Mehdi, le mercredi 7 août, quelques minutes après la rupture du jeûne du dernier jour de ramadan.

Le soir, à la rupture du jeûne, j’avais mangé un peu vite et j’allais au café. J’ai aperçu un homme, avec une barbe, un uniforme de militaire et des brodequins, et je voyais quelque chose sur son dos, une sorte de sac. Il marchait derrière moi et nous étions seuls dans les environs. Je l’ai salué et il m’a rendu mon « salem ».

Mehdi ne veut plus sortir de chez lui. “Depuis une douzaine de jours, il ne fait que fumer et boire de l’eau et du café, allongé sur son matelas par terre dans une petite chambre dépourvue de tout meuble”, nous confie sa mère. Elle s’inquiète pour lui et veut l’emmener à l’hôpital. De plus, elle, vendeuse de persil, comptait beaucoup sur son fils pour subvenir aux besoins de ses six sœurs au chômage et de son petit frère.

Depuis la capture, la police a pris le numéro de téléphone de Mehdi. et ne l’a plus contacté, ni même interrogé.

J’ai peur de sortir. Je pense qu’ils viendront me tuer. C’est à cause de moi que cet homme, Mohamed Habib Amri, a été arrêté. J’ai appelé le 197. La police est venue 20 minutes plus tard. J’ai aussi appelé mes amis et cousins et on l’a pourchassé. Nous avons prévenu d’autres voisins. Plus loin, à Awlad Hamza, le terroriste a fini par être capturé et les forces de sécurité sont venues et l’ont arrêté.

Montagne Sammama, Crédit photo Lilia Weslaty
Montagne Sammama. Crédit photo : Lilia Weslaty.

Changement de position des terroristes : Du massif Chaâmbi à celui de Sammama

Depuis un mois, les terroristes sont non seulement au massif Chaâmbi, mais aussi dans celui d’à côté, appelé Sammama. Pour le ministère de la Défense, Chaâmbi est une zone militaire interdite d’accès. Cependant, les groupes djihadistes ainsi que leurs complices sont parvenus à y pénétrer et à y circuler, allant jusqu’au centre de la ville de Kasserine.

Ce n’est qu’après la démission du général Rachid Ammar [25 juin] que la zone militaire est devenue vraiment interdite, nous affirment les habitants vivant au versant de Chaâmbi

Les bombardements d’avion et les coups de canons des chars ont été faits d’une manière disparate, que ce soit à Chaâmbi ou à Sammama.

« À Sammama, cela a commencé sur la gauche du massif, à un endroit appelé “Keblia”, puis vers la droite, où se trouve une grotte appelée “Damouss Lassouad”, et enfin en haut, vers “Dallia” », nous explique M. Abdel Hamid Ben Amor Guesmi, garde forestier retraité et habitant au petit villlage d’Awlad Harrath, au versant du mont.

Dans ces montagnes, les grottes constituent non seulement un refuge pour les djihadistes, leur permettant d’éviter les incendies et les opérations des USGN et de l’armée, mais leur servent aussi de tunnels. Au mois de juin dernier, une sorte de cavité souterraine à Chaâmbi a été bombardée. Ce trou menait à Foussena. Un autre conduit vers Bouchebka, là où l’adjudant Anis Jelassi a été tué quelques mois plus tôt, le 10 décembre 2012.

La dispersion des frappes sur les deux massifs laissent comprendre que les djihadistes ne sont pas regroupés en un seul endroit. D’après M. Ben Jeddou, ils sont sur écoute téléphonique suite à des autorisations judiciaires.

Néanmoins, aucune réponse n’a été fournie au sujet de leur géolocalisation et du mystère de ce groupe de terroristes inaccessible pour les forces de sécurité.

Famille de S.G. Cité Ezzouhour. Kasserine. Crédit photo : Lilia Weslaty
Photo des parents de S. G. (son père en chemise blanche et sa mère, à droite de la photo, portant un foulard bleu) en compagnie de leurs voisins. Cité Ezzouhour, Kasserine. Crédit photo : Lilia Weslaty.

Mosquée Al Tawba, QG de recrutement de djihadistes femmes et hommes à Kasserine

Sana [1] est une adolescente âgée de 16 ans et demi. Depuis janvier 2013, elle a commencé à prier à la mosquée Al Tawba, rue Mongi Slim, à la cité Ezzouhour. Deux mois plus tard, elle a revêtu le voile intégral.

J’ai quatre garçons, mais elle c’est notre seule fille, nous confie sa mère en pleurant. Elle est très jeune, elle fait de la formation continue, de la couture. La police a appelé son père pour lui demander de ramener Sana au poste. Elle est encore en détention. Les policiers ne sont pas venus à la maison.

D’après sa mère, elle allait à la mosquée et a fait des rencontres avec des femmes portant le niqab qui lui ont même proposé d’aller en Syrie. « Ma fille a refusé », nous assure la mère.

Sana, ainsi qu’un autre jeune homme, Karim [1], âgé de 20 ans, impliqué dans le “jihad niqah” (coucher avec les djihadistes) lui aussi, sont en état d’arrestation à Kasserine, et ce après les révélations de Mohamed Habib Amri. Ils fournissaient tous deux des cartes téléphoniques aux djihadistes basés à Chaâmbi et à Sammama. Le père de Sana a fait venir à la maison, lors de notre interview, ses voisins pour qu’ils nous confirment la “folie” de sa fille. Il a insisté pour qu’on les prenne en photo, comme témoins.

Ma fille est malade ! A chaque fois qu’elle allait à cette mosquée, elle revenait très fatiguée et s’évanouissait. Quand sa mère et moi essayons de parler avec elle, elle devenait hystérique… Ma fille est folle je vous dis, elle ne doit pas être emprisonnée, Elle est habitée par un djinn musulman ! justifiait-il

Nous sommes allés à la mosquée Al Tawba qui se trouve à quelques mètres de la maison de Sana. A peine nous sommes nous arrêtés devant qu’un jeune homme, en casquette portant un short, a commencé à crier. « Ne prenez pas de photo ! Arrêtez ! », hurlait-il en appelant au téléphone quelqu’un d’autre. Nous avons quitté les lieux …

Dans la cité Ezzouhour et aux alentours, plusieurs descentes des forces de sécurité ont été faites dans les mosquées et maisons depuis que M. Lotfi Ben Jeddou est devenu ministre de l’Intérieur, et encore plus après le massacre des militaires à Chaâmbi le 29 juillet. « Avant, ni les agents de la garde nationale ni les forces de l’ordre n’osaient entrer à Hay Ezzouhour », témoignent les habitants.

A l’entrée de la cité, à droite, une voiture de police garde la maison du ministre Ben Jeddou, originaire de Kasserine et habitant à quelques mètres de chez Sana la djihadiste. Ce lundi 19 août, elle comparaît avec Karim devant le juge d’instruction.

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[1] Nous avons changé les noms des personnes