HAICA-350

En pleine crise politique, le gouvernement vient de nommer cinq nouveaux directeurs à la tête de radios publiques, sans même en informer la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). Des parachutages qui sèment le doute sur la réelle volonté du gouvernement de garantir des médias libres et indépendants.

Les employés de Radio Tataouine sont en colère. Le gouvernement vient de nommer à la tête de leur radio… un professeur d’histoire-géographie.

Pour exprimer leur refus de cette nomination, les employés ont donc observé un sit-in, le 20 août, soutenus par la section sud-est du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et le syndicat de base de radio Tataouine, relevant de l’UGTT. Dans un communiqué, les deux syndicats s’insurgent de « l’ignorance de l’Établissement de la radio tunisienne (ERT) des compétences, notamment parmi ceux de radio Tataouine, et qui avaient prouvé leur aptitudes professionnelles dans le secteur audiovisuel ». Le nouveau directeur, Sami Belhaj n’a en effet ni compétences ni expérience dans ce domaine.

Mais le choix de Sami Belhaj, considéré comme « arbitraire » par le secrétaire générale du syndicat de Radio Tataouine Jilani Ben Dhaou, s’inscrit dans une série de nominations à la tête des radios publiques annoncée le 16 août par le gouvernement. Au vu et au su de la Haute instance pour l’indépendance de la communication audiovisuelle (Haica), qui n’a même pas été prévenue, et a découvert avec stupéfaction ces nominations – au nombre de cinq – dans les médias.

La HAICA, mise en place le 3 mai 2013 après de multiples reports, semble avoir encore du mal à s’imposer face à un gouvernement qui continuer à faire cavalier seul sur la question des nominations dans les médias public.

Outre Sami Belhaj à Radio Tataouine, Mongi Mabrouki a été nommé directeur de la Radio Nationale tunisienne, Jamil Ben Ali à la Radio Culturelle, Hadhami Aïssaoui à Radio Jeunes, et Hela Souidi à Radio Gafsa.

Mongi Mabrouki a auparavant dirigé Radio Jeunes. Jamil Ben Ali était directeur de la communication de la Radio Nationale, après avoir dirigé Radio Monastir. Quant à Hadhami Aïssasoui et Hela Soudi, ils sont inconnus au bataillon.

Réunion d’urgence au gouvernement

Mais cette tentative de « contournement » du gouvernement n’a pas été du goût de la Haica, qui a appelé dès le 19 août dans un communiqué à « revoir immédiatement » ces nominations, « sur la base d’une méthode […] garantissant l’indépendance » des médias.

La haute instance a reçu l’appui du Centre de Tunis pour la liberté de la presse (CTLP), qui s’est le même jour « étonné des récentes nominations unilatérales à la tête d’établissements médiatiques », exprimant son « refus catégorique des nominations parachutées ». Le centre rappelle par ailleurs que les personnalités concernées par ces nouvelles nominations, quant elles ne sont pas totalement inconnues du monde des médias, n’ont jamais défendu la liberté de la presse et les journalistes.

Le SNJT a lui aussi publié un communiqué, le 21 août, condamnant ces nominations. Enfin l’organisation Reporters sans frontières (RSF) s’est elle aussi émue de ces « parachutages ». Dans une lettre ouverte au Premier ministre Ali Laârayedh datée du 22 août, RSF demande aux autorités tunisiennes de « revenir sur les nouvelles nominations à la tête des radios publiques », qui « contreviennent au principe d’indépendance des médias publics ». L’organisation appelle également le gouvernement à « apporter [son] soutien plein et entier au travaux de la Haica ».

La Haica a d’ailleurs demandé une réunion d’urgence au gouvernement sur ce sujet. Elle s’est tenue le jeudi 22 août au palais de la Kasbah, sous la présidence du ministre auprès du chef du gouvernement Noureddine Bhiri.

Le communiqué publié par la présidence du gouvernement à l’issue de cette rencontre, affirme que le gouvernement et la haute instance se sont mis d’accord sur « la formation d’une commission mixte entre la présidence du gouvernement et la Haica à l’effet d’aboutir à une lecture unifiée du décret-loi °116 et de trouver une formule commune de coopération pour fournir à cette institutions les meilleures conditions du travail et garantir un paysage médiatique respectant la déontologie professionnelle et maintenant sa neutralité, loin de tout dépassement et de toute dérive ». Il s’agirait d’une commission mixte, composée de trois membres de la Haica et de trois membres du gouvernement, pour fixer les critères de nomination des hauts cadres dans les établissements audiovisuels publics.

Pourtant, Riadh Ferjani, membre de la Haica et sociologue des médias, prend ses distances avec le communiqué :

Le communiqué a été publié par la présidence du gouvernement et ce n’est pas un communiqué conjoint avec la Haica. D’ailleurs, nous n’avons pas signé de procès-verbal à l’issue de la réunion.

Le lendemain, vendredi 23 août, la Haica a tenu une conférence de presse au Bardo, dans une salle du bâtiment de l’ex-conseil constitutionnel. C’est là qu’est établi le siège provisoire de la haute autorité, en attendant que le gouvernement lui attribue des locaux définitifs.

Dans un contexte politique tendu, ces nominations sèment le doute sur l’indépendance des médias publics

Interrogé à plusieurs reprises par les journalistes sur la questions des cinq dernières nominations dans les radios publiques, qui faisaient déjà polémique depuis quelques jours, le président de la Haica, Nouri Lejmi, a répondu que la haute autorité travaillait « dans les limites des compétences que lui confère le décret-loi 2011-116 ».

En effet, dans l’article 19 du décret-loi 116 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de communication audiovisuelle et à la création d’une instance supérieure indépendante de la communication audiovisuelle, qui précise les « attributions consultatives de la Haica », il est écrit que l’autorité doit « donner des avis conformes concernant la nomination des présidents-directeurs généraux des entreprises publiques de communication audiovisuelle ».

Il est question des PDG, mais nulle part le décret ne mentionne l’obligation du gouvernement de consulter la Haica s’agissant des « simples » directeurs, comme c’est le cas pour les récentes nominations dans les radios publiques.

La Haica est-elle donc impuissante face à ces nominations « venues d’en haut » et décidées sans concertation ? Pour Riadh Ferjani,

La question n’est pas d’ordre juridique. C’est une question de principe. À la Haica, nous considérons qu’il est urgent d’intervenir pour arrêter ces nominations abusives. Nous voulons instaurer un mécanisme de nomination dans les radios et télévisions publiques accepté par tous et clair pour tout le monde.

À trois reprises déjà, la Haica a écrit à la présidence du gouvernement pour être impliquée dans le processus de nominations dans les institutions audiovisuelles publiques : sans réponse. Et le contexte politique particulièrement tendu dans lequel se sont produites les cinq dernières nominations soulève des doutes sur l’indépendance des médias publics.

« Sur quels critères ces nouveaux directeurs ont-ils été choisis, et les anciens démis de leurs fonctions ? J’ai posé la question, et je n’ai toujours pas de réponse », s’insurge Riadh Ferjani.

Ces nominations « arbitraires » seraient-elles politiques ? M. Ferjani refuse de faire un procès d’intention au gouvernement : « Si j’ai des craintes, c’est surtout sur les questions de procédure. Je crains la poursuite des mécanismes autoritaires qui prévalent pour les nominations dans les radios et télévisions publiques depuis des années. C’est pour ça que la Haica souhaite instaurer des mécanismes transparents et acceptables, avec un minimum de rationalité. »