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L’objectif du parachèvement de la Constitution la veille du 3ème anniversaire de la révolution s’éloigne d’heure en heure, à mesure que les débats à l’Assemblée s’enlisent dans les « pour » ou « contre » les 86 pages de 300 amendements : deux jours ont été nécessaires pour voter 15 articles sur un total de 139. En une semaine, l’opposition et la contestation au sens plus large ont multiplié les couacs sur les plans constitutionnel, politique et médiatique.

2 janvier 2014, séance plénière inaugurale historique du vote du préambule et des premiers articles de la nouvelle Constitution. Une journée cruciale dont on pourrait croire qu’elle verrait, une fois n’est pas coutume, la présence des élus du peuple au grand complet. Mais c’était trop demander à la trentaine d’élus absents, dont quelques ténors de l’opposition (Ahmed Néjib Chebbi, Salma Baccar, Mehdi Ben Gharbia, etc.).

Après le phénomène du nomadisme parlementaire, voici donc celui du snobisme. L’envie n’y est pas.

En ce qui concerne les débats eux-mêmes, malgré les dizaines de consensus atteints au préalable en commission, les passes d’armes les plus passionnées font rage. Certaines sont sincères, d’autres simplement pour la forme, d’autres encore font penser à une campagne électorale précoce, à l’image des coups d’éclats de l’extrême gauche à propos de l’article 1, un article tabou, unanimement maintenu dans sa frileuse ambiguïté bourguibienne.

Quoi qu’il en soit, s’agissant du caractère civil de l’Etat, l’Histoire montre que ces précautions sémantiques restent souvent anecdotiques en pratique, la volonté politique de poursuivre des agendas plus ou moins progressistes étant davantage du ressort des gouvernants que des textes.

Le texte de la Loi fondamentale dans son ensemble n’offre cependant rien de bien transcendant pour celui qui s’attendait à y trouver un souffle révolutionnaire, ni même une introduction poétique distinctive comme le fit remarquer l’élue Mabrouka Mbarek, copieusement raillée par un concert de médisance.

Le terme « Dignité » a tout de même été intercalé au milieu du triptyque « Liberté, Ordre, Justice ».

Une innovation notable est à mettre au crédit des constituants cela dit : le vote à une large majorité de la garantie par l’Etat de la liberté de conscience dans l’article 6 (149 voix pour, 13 abstentions et 23 contre). Une liberté néanmoins contrebalancée à l’intérieur du même article qui stipule que « l’Etat est le protecteur du sacré ». Sacré paradoxe.

Jusqu’au bout, un amendement, soutenu par le bloc Wafa, a tenté de supprimer la liberté de conscience. Il fut rejeté samedi à 96 voix contre, 49 pour, et 39 abstentions. En votant massivement contre cette suppression, le bloc Ennahdha démontre que l’islam politique a bel et bien évolué sur ce point clé, en laissant à sa droite des forces rigides en marge de l’époque.

Si dans la société civile quelques voix s’élèvent pour regretter l’absence de toute référence à la démocratie participative, la rupture avec le régime présidentiel constitue déjà une évolution de taille dans la région, hors pays arabes monarchiques où des régimes parlementaires ne touchent pas au roi.

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Faire contre mauvaise fortune mauvaise foi

Ainsi donc 98% des élus du bloc Ennahdha étaient sur les bancs de l’ANC vendredi, contre 80% de ceux du Bloc Démocratique, principal bloc d’opposition. Pour le vote sur le fonds d’indemnisation des victimes de l’ex régime, cette proportion était tombée à 22% d’élus du Bloc Démocratique présents, contre 90% d’élus d’Ennahdha.

Destinée à la réparation des préjudices des victimes de l’oppression depuis 1956, la loi portant création de ce fonds dans le sillage du budget 2014 est étonnamment polémique, d’autant que l’origine de son financement, vraisemblablement le mécénat, n’a pas été spécifiée, laissée à la discrétion d’une commission relevant de la justice transitionnelle.

Féroce, une campagne de dénigrement est immédiatement lancée sur la toile dans le but d’amalgamer le dédommagement global avec une spécifique cupidité exclusivement islamiste. Qu’une telle campagne ait lieu sur les réseaux sociaux racoleurs n’est pas surprenant. Que des élus d’opposition fassent semblant de ne pas comprendre, cela dénote une certaine mauvaise foi électoraliste.

Si le geste de certains ex militants de renoncer à toute compensation est louable, cela dépend du bon vouloir des intéressés. Il n’est en effet pas insensé ni immoral que dans le cadre d’une justice transitionnelle, ceux qui ont été privés d’emploi ou emprisonnés des années durant par la dictature aient droit à vie décente proportionnelle à leurs qualifications.

Un épisode médiatique fut cette semaine emblématique de cette forme de dédain envers des conservateurs souvent plus loyaux aux idéaux révolutionnaires que leurs interlocuteurs « modernistes ». L’échange délétère entre la chroniqueuse d’une émission de divertissement et le blogueur Yassine Ayari est révélateur du mépris qui opte systématiquement pour le discrédit de l’adversaire idéologique.

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En prenant de l’ampleur, le bras de fer entre futurs médecins spécialistes et leur ministère de tutelle a fini par s’inscrire dans la même détestable logique. Le fait que ce corps de métier ne se mobilise que pour une cause anti sociale a d’abord quelque chose d’ironique. Du moins c’est l’inévitable perception de cette mobilisation contre la loi contraignant les spécialistes du secteur public à exercer pendant leurs 3 premières années dans les régions défavorisées.

Les médecins grévistes se disent pour leur part être les boucs émissaires d’un secteur sinistré, en l’absence de stratégie globale et de solution au sous-équipement des hôpitaux régionaux. Scandé le 3 janvier, un slogan a toutefois trouvé le moyen d’auto saborder le mouvement de contestation, en affirmant que l’actuel ministre de la santé « n’a pas le cran de Zinelabidine Ben Ali ».

Dans les années 80 et 90, Abdellatif Mekki a été hospitalisé à deux reprises après avoir été torturé, condamné à onze mois puis à dix ans de prison par un tribunal militaire.

L’indécente nostalgie, l’absentéisme et l’arrogance de classe sont en somme autant de variantes de l’art de se faire hara-kiri.