Suite au communiqué du Conseil supérieur de la magistrature publié aujourd’hui par le quotidien « La Presse » (Cf. le communiqué en annexe), la rédaction de Nawaat.org a souhaité réagir par les propos suivants.

 

Tunisie magistrature

 

Nous devons tous accorder autant d’importance au soutien de tous les magistrats Tunisiens intègres -lesquels exercent leur profession dans des conditions particulièrement difficiles- qu’au soutien des causes de M° Abbou, H. Jebali, A. Zouari et de tous les prisonniers politiques tunisiens.

Et face à la nouvelle offensive qui vient d’être lancée contre les magistrats tunisiens par le communiqué du CSM, communiqué qui n’est rien d’autre qu’une menace à peine voilée à l’encontre de tout magistrat qui se risquerait à exercer sa profession en toute probité lorsqu’il s’agit d’affaires politiques, il convient d’attirer l’attention sur la vigilance extrême que nous devons avoir face aux manœuvres destinées à enchaîner encore plus fermement le corps de la magistrature tunisienne.

Il est utile d’attirer l’attention, qu’au sein de cette magistrature mutilée, la frustration et le ras-le-bol sont abondants. De nombreux magistrats sont meurtris par l’état dans lequel se trouve leur profession. Est-ce utile de rappeler également les prises de position, quand bien même très modérées de l’Association Tunisienne des Magistrats qui l’honorent. Et à ce titre, nous avons encore en mémoire les banderoles du 10e congrès de la même association qui proclamaient fièrement :

-  « il n’y a pas de démocratie sans pouvoir judiciaire indépendant »

-  « une magistrature indépendante est le miroir d’une société démocratique »

-  « l’indépendance du pouvoir judiciaire consolide l’Etat de droit et des institutions »

Le communiqué du CSM publié aujourd’hui par « La Presse » ne doit pas être uniquement lu et interprété au travers de l’affaire Abbou et l’attitude du Barreau tunisien. C’est un communiqué qui met davantage en garde les magistrats et les « troublions » de l’ATM.

Le communiqué du CSM est par ailleurs surprenant de par son contenu relatif au respect des obligations légales inhérentes au bon fonctionnement de la justice. Tout en rappelant aux magistrats le détail ridicule –que personne ne conteste du reste- concernant le fait de « veiller à ce que la tenue vestimentaire des avocats […] soit conforme aux normes légales », il omet, ne serait-ce que pour sauver les apparences, de rappeler auxdits magistrats de faire respecter ce qui fait cruellement défaut à la justice tunisienne. En l’occurrence d’inviter les magistrats :

-  à faire respecter les droits de la défense au sein de leurs prétoires ;

-  à faire respecter les dispositions légales relatives aux délais de la garde à vue et de la détention préventive ;

-  à considérer les déclarations obtenues sous la torture pour ce qu’elles sont et d’accéder systématiquement lors des audiences aux demandes des prévenus cherchant à démontrer et à prouver les sévices qui leurs ont été infligés ;

-  à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour faire respecter les permis de visites carcérales délivrés en bonne et due forme par l’autorité judiciaire ;

-  à veiller au respect des procédures judiciaires et de sanctionner toute arrestation arbitraire ;

-  à faire cesser les pratiques du refus de l’enregistrement des plaintes -tant en pénal qu’en civil- lorsque celles-ci sont déposées contre les « agents du pouvoir » qui se sont rendus coupables d’agressions de toute sorte ;

-  à faire respecter, quelles que soient les circonstances, les articles 45 et 46 de la loi n°89-87 du 7 septembre 1989 portant organisation de la profession d’avocat ;

-  de veiller en permanence à ce que les magistrats -et ce conformément aux dispositions constitutionnelles- ne soient soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi ;

-  de ne pas faillir aux termes du serment que les magistrats ont prêté en vertu de l’article 11 de la loi n°67-29 du 14 juillet 1967, serment au sein duquel ils s’engagent à se « conduire en tout comme un digne et loyal magistrat » ;

-  d’être en permanence alertes aux obligations que leur imposent les articles 23 et 24 de la même loi. « Les magistrats doivent rendre impartialement la justice, sans considération de personne ni d’intérêt. Ils ne peuvent se prononcer en se fondant sur la connaissance personnelle qu’ils peuvent avoir de l’affaire. Ils ne peuvent défendre ni verbalement ni par écrit, même à titre de consultation, les causes autres que celles qui les concernent ». « Le magistrat doit s’abstenir de tout acte susceptible de porter atteinte à la dignité de la profession ».

Evidemment, nous ne sommes pas suffisamment naïfs pour croire que les magistrats peuvent respecter à la lettre toutes ces recommandations légales, surtout lorsqu’il s’agit des nantis et des puissants. En revanche, nous serions particulièrement naïfs si nous n’étions pas conscients du fait que sans le soutien de tous et sans la vigilance qu’il faut pour dénoncer les brimades et les « sanctions » disciplinaires qui frappent les magistrats rebelles, la réhabilitation de la justice serait illusoire.

Il ne suffit pas simplement de stigmatiser le dysfonctionnement et l’instrumentalisation de la justice, il faut également nous interroger sur notre capacité à résister à cette instrumentalisation et les moyens à utiliser pour protéger et soutenir tous les magistrats qui s’opposent à l’ignominie.

Le mercredi 4 mai 2005
Nawaat.org


Annexes

[Source : www.lapresse.tn]
http://www.lapresse.tn/actualites/leconseil.html

Le Conseil supérieur de la magistrature met en garde contre les pratiques visant à entraver la bonne marche de la justice

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni hier, 3 mai 2005, en session extraordinaire au siège du ministère de la Justice et des Droits de l’homme, a rendu public le communiqué suivant :

« Le Conseil supérieur de la magistrature, en sa qualité d’institution constitutionnelle veillant à la concrétisation des garanties nécessaires à l’accomplissement de la mission des magistrats, exprime au Président Zine El Abidine Ben Ali, Président de la République et Président du Conseil supérieur de la magistrature, sa haute considération pour ses efforts visant à garantir l’indépendance de la magistrature.

Le Conseil exprime également au Chef de l’Etat sa fierté pour les acquis accomplis en faveur de l’institution judiciaire, toutes composantes confondues.

— Le Conseil supérieur de la magistrature, convaincu que l’accomplissement des fonctions judiciaires nécessite la conjugaison des efforts de tous, magistrats, défense et cadres administratifs, pour assurer le bon déroulement de l’instruction et des plaidoiries devant les institutions judiciaires.

— Rappelant les dispositions de l’article 5 de la loi 87/1989 relative à l’organisation de la profession d’avocat et qui stipule que l’avocat est tenu d’accomplir sa mission avec honneur et honnêteté, dans le respect des lois des institutions judiciaires et des pouvoirs publics.

— Constatant les abus et dépassements de certains avocats relevés dans les salles d’audiences et dans les bureaux d’instruction, ainsi que dans les espaces des tribunaux, abus et dépassements qui sont contraires à la mission de l’avocat.

1) Autant le Conseil exprime son respect pour la noble mission de la défense et réaffirme son souci de garantir les conditions propices pour permettre aux avocats d’assumer pleinement leur tâche, autant il exprime son indignation face aux pratiques et aux comportements de certains avocats enregistrés ces derniers jours. Ces pratiques constituent un grave préjudice pour la dignité de la magistrature, une atteinte à l’intégrité des tribunaux et une violation flagrante du serment prêté dans le cadre de l’article 5 de la loi 87/1989 datée du 7 septembre 1989 et relative à l’organisation de la profession d’avocat.

2) Le Conseil met en garde contre les atteintes aux devoirs de la profession d’avocat et à la déontologie du métier et contre les pressions de toutes sortes visant à entraver la bonne marche de la justice en provoquant des désordres et en lançant des slogans qui servent des intérêts contraires à la mission d’avocat, telle que définie par les dispositions de l’article premier de la loi organisant la profession d’avocat et consistant essentiellement à aider la magistrature à administrer la justice.

3) Le Conseil insiste sur la nécessité de préserver la dignité de la magistrature et d’assurer l’intégrité des tribunaux. Il appelle tous les magistrats, quel que soit leur rang, à prendre toutes les mesures qui s’imposent en vue de maintenir l’ordre, lors des audiences, et de faire régner le calme et la sérénité dans les bureaux d’instruction et dans les différents espaces des tribunaux, conformément aux prérogatives que leur confère la loi et en particulier les dispositions de l’alinéa 5 de l’article 72 du Code de procédure pénale qui interdit à l’avocat de prendre la parole avant que le juge d’instruction ne l’y autorise.

Il s’agit aussi de se conformer aux dispositions des articles 143 du même code et l’article 118 du Code de procédure civile et commerciale qui confère la responsabilité de la protection de l’Ordre lors des audiences, et la conduite des plaidoiries au président de séance.

4) Le Conseil invite tous les magistrats à veiller à ce que la tenue vestimentaire des avocats qu’ils doivent, selon la loi, obligatoirement porter lors de leurs plaidoiries devant les juges, soit conforme aux normes légales ».