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Parmi les quatorze mesures que le Conseil Nationale de Sécurité a annoncé, mercredi 25 novembre, au lendemain de l’attentat suicide de Mohamed V à Tunis, figure « la concrétisation de la loi antiterroriste » votée le 25 juillet 2015. A l’issu d’une réunion du conseil des ministres du mercredi 25 novembre, Habib Essid, Chef du gouvernement, a déclaré que cette loi « sera appliquée à la lettre sans aucune indulgence ». Durant les deux derniers jours, une partie de la classe politique mais surtout la pléthore des syndicats des agents de la sécurité nationale appellent à ne plus tenir compte des « freins qu’imposent les libertés et les droits de l’Homme » afin de mieux gérer la crise sécuritaire.

Sans citer les raisons, le pouvoir explique qu’il s’était abstenu d’appliquer la loi de lutte contre le terrorisme. Et pourtant, les faits montrent le contraire. En effet, durant les derniers mois, les arrestations arbitraires, la répression des sit-in et rassemblements, les interdictions de voyages sans ordres judiciaires, les écoutes téléphoniques et la surveillance des comptes Facebook et Twitter se sont intensifiés. Selon l’Organisation Tunisienne de Lutte contre la Torture, les cas de tortures et de violences policières se sont multipliés durant les derniers mois. Les avocats de suspects proches de la mouvance salafiste affirment que la police utilise la torture pour arracher des aveux à leurs clients. Face à ce tournant sécuritaire engagé depuis le début de l’année, la déclaration de Habib Essid a de quoi étonner.

La campagne de dénigrement des principes démocratiques s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale visant à mettre fin au processus engagé depuis cinq ans pour réinstaurer l’injustice à travers la répression. En effet, selon la Fédération Internationale de Droits de l’Homme « la majorité des lois votées depuis octobre 2014 n’est pas conforme à la nouvelle constitution ». Non seulement, la Tunisie garde ses anciennes lois répressives héritées du temps de Ben Ali mais elle se dote, en plus, de nouvelles lois qui visent à restreindre les libertés et à garantir l’impunité aux bavures des agents de l’ordre public. La fédération, compte publier un rapport montrant la non conformité des lois votées par l’ARP à la constitution et aux conventions internationales.

Le jeudi 26 novembre, 35 associations et organisations de la société civile y compris l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens, l’Ordre National des Avocats Tunisiens et la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (trois organisation du quartet lauréat du prix Nobel 2015) ont publié un communiqué dans lequel elles appellent à la tenue « d’un congrès national contre le terrorisme dans lequel tous les acteurs de la nation, État, partis politiques et organisations de la société civile affirment leur engagement dans la lutte contre le terrorisme ». La société civile rappelle que la lutte contre le terrorisme passe par le respect des valeurs de la démocratie et « par une gouvernance du secteur de la sécurité efficace, permettant aux contre-pouvoirs constitutionnels de jouer leur rôle à travers la mise en place de mécanismes d’audits, de surveillance et de reddition des comptes ».

Rappelons que la loi antiterroriste a été proposée par le gouvernement, le 26 mars 2015, quelques jours après l’attentat de Bardo. Le parlement l’a adopté, le 25 juillet, quelques jours après l’attentat de Sousse. Sous la pression et les menaces sécuritaires, le législateur a refusé de donner la parole à la société civile qui a exprimé, par une lettre ouverte, publiée le 7 juillet, plusieurs réserves sur cette loi. Parmi les recommandations de la société civile figure la nécessité de mieux définir la notion de terrorisme dans l’article 13 qui « demeure trop large dans le texte proposé » ainsi qu’abolir la peine de mort. Les associations avaient demandé aussi de préciser la notion d’« apologie du terrorisme » dans l’article 30 qui reste « préoccupante en matière de liberté d’expression et ouvre la voie à de possibles dérives arbitraires ». Elles ont appelé à prévenir les violations durant la garde-à-vue et à garantir le droit à un procès équitable, à préserver le droit au débat public, à protéger la vie privée, et à interdire le refoulement de ressortissants étrangers en cas de menace de soumission à des violations graves des droits humains.

La loi antiterroriste autorise à prolonger la durée de garde à vue jusqu’à 15 jours sans comparution de la personne suspecte devant un juge et sans autorisation à communiquer avec un avocat « ce qui accentue le risque de mauvais traitement ou de pratique de la torture » selon les défenseurs des droits de l’Homme. Il est aussi à noter que l’ancienne loi antiterroriste voté par le parlement de Ben Ali en 2003 avait fixé la durée maximale de la garde à vue à six jours.

Une démocratie est basée sur trois piliers : la protection des libertés, l’égalité des droits et des chances et la garantie du droit de choisir ses élus à travers des élections libres et régulières. Le terrorisme attaque la liberté et tache de montrer l’incapacité de l’État à la protéger. L’échec de l’État pourrait aider les terroristes à réaliser leur but : réprimer les libertés et instaurer l’injustice.