Kerkennah est un archipel situé à une vingtaine de kilomètres au large de Sfax. Ses deux îles principales sont Chergui et Gharbi. Quand on les approche en ferry, on est saisis par la particularité du paysage : l’eau semble être divisée en plusieurs parties par des lignes constituées de milliers de feuilles de palmiers. C’est ce que les Kerkenniens appellent la Charfia, une méthode de pêche vieille de plusieurs siècles qui consiste à attirer ingénieusement les poissons dans un réceptacle où ils sont capturés.

Le climat étant aride, les pratiques agricoles se limitent à l’agriculture de subsistance. Cela fait de la pêche l’une des activités économiques clef pour l’archipel. Les poulpes en particulier, emblèmes de ces îles, sont capturés entre octobre et avril par une autre méthode locale : l’utilisation de jarres.
La première fois que j’ai entendu parler de l’archipel de Kerkennah, c’était en 2014. J’effectuais alors une recherche sur la Petrofac, une entreprise pétrolière et gazière britannique ayant acquis, en 2006, une concession de gaz à Chergui par le biais d’un contrat miné par la corruption. Comprendre les détails de ce contrat est crucial pour saisir les récents événements, parfois violents sur l’île, et liés, d’une façon ou d’une autre, à l’industrie des combustibles fossiles.
Malgré l’article stipulant la « souveraineté nationale sur les ressources naturelles et la transparence dans les contrats qui y sont liés », inscrit dans la nouvelle Constitution tunisienne, les entreprises internationales de pétrole et de gaz continuent d’afficher en toute impunité des profits mirobolants. De leur côté, les communautés locales doivent payer les externalités sociales et environnementales de cette industrie. L’archipel de Kerkennah est doublement dépossédé et doublement menacé. D’abord par les impacts du réchauffement climatique, mais également par les opérations extractives d’entreprises pétrolières et gazières déterminées à réaliser des superprofits. Aucun pays ne peut se targuer d’exister en dehors du système international de mondialisation néolibérale, affaiblissant les États et générant des mécontentements, de l’instabilité, de la pauvreté, des guerres et des soulèvements. Cet article s’attachera donc à montrer comment le choc entre néolibéralisme et changement climatique pourrait se révéler calamiteux pour les habitants de Kerkennah.

Les énergies fossiles, la grogne des pêcheurs et des diplômés chômeurs

J’ai visité Kerkennah en mars 2016, après avoir entendu parler d’un mécontentement grandissant dû au refus de la Petrofac d’honorer son engagement à financer un fonds pour l’emploi. J’arrivais de Gabès tôt le matin. Après une brève visite de Sfax et de son port industriel (exportant le phosphate et ses dérivés), j’embarquais avec un ami sur le ferry, direction Kerkennah. Une délégation menée par le ministre de l’Environnement tunisien, accompagnée d’une équipe télé, partageait notre ferry. Je me suis alors demandé si le but de leur visite était le même que le mien. Étaient-ils eux aussi venus pour enquêter sur la mobilisation des travailleurs qui ciblait la Petrofac depuis deux mois ? Des sit-in organisés devant l’usine avaient réussi à mettre à l’arrêt une partie de la production. Moyen de pression sur l’entreprise britannique pour qu’elle reprenne le financement du fonds pour l’emploi, qui assurait de maigres salaires dans différentes administrations publiques.

Après un voyage d’une heure, nous arrivions enfin. Nous avons pris un taxi pour la plage de Sidi Fraj, pensant nous diriger vers la Petrofac. À notre arrivée, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas l’usine, mais le siège social d’une autre entreprise pétrolière, Thyna Petroleum Services (TPS). Une manifestation était effectivement en cours, mais elle rassemblait des pêcheurs, et non les diplômés chômeurs que nous attendions. Nous avons ainsi découvert que TPS, une entreprise britannico-tunisienne, exploitait une concession pétrolière offshore à Kerkennah. Les pêcheurs protestaient contre une marée noire qui, selon eux, provenait de la fuite d’un pipeline sous-marin. TPS nia les accusations, déclarant que la fuite provenait d’un puits dans une des plateformes de forage – j’en comptai six depuis la plage Sidi Fraj – qui encerclaient la moitié l’île Chergui.

Fuite pétrolière sur la plage de Sidi Fraj dans les îles Kerkennah – Crédits photo : soseau.net

Les pêcheurs étaient en colère. Pas seulement parce que la marée noire décimait les poissons, qu’elle mettait en danger la biodiversité marine et remettant ainsi en cause leurs moyens de subsistance, mais aussi parce que TPS tentait de minimiser l’impact de la pollution et même de la dissimuler au grand public. Ils nous dirent que c’était la troisième ou quatrième fois que de tels faits se produisaient. Ils nous accompagnèrent sur les côtes pour nous montrer où la substance noire (sans doute du pétrole) s’était échouée et comment, à certains endroits, elle avait été recouverte de sable afin d’être dissimulée. Exaspérés, les pêcheurs exigeaient de TPS qu’elle assume ses responsabilités et des autorités tunisiennes qu’elles demandent des comptes à l’entreprise.

La visite du ministre de l’Environnement n’était pas exactement ce que j’avais anticipé. Il avait en effet était dépêché sur l’île pour assurer aux pêcheurs qu’une enquête aurait bel et bien lieu et que des mesures seraient prises pour nettoyer les dégâts. Pourtant, il semblait plus probable qu’il eut été présent pour protéger les intérêts de l’industrie pétrolière, en tentant de prévenir l’escalade et la radicalisation des manifestations. Cela paraissait d’autant plus crucial qu’une autre entreprise pétrolière et gazière devenait la cible de la colère de la population.

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Petrofac : de l’acquisition frauduleuse de la concession au soulèvement

Dix ans après avoir acquis la concession de gaz de Chergui grâce à un contrat obtenu par la corruption, et cinq ans après le soulèvement de la Tunisie pour le pain, la liberté et la justice sociale, l’entreprise pétrolière et gazière britannique fait face à un mécontentement grandissant sur les îles. Les deux premières semaines d’avril, Kerkennah était le théâtre d’une violente répression policière des manifestations (des accusations de torture ont fait surface). Ces événements font suite à la dispersion des sit-in pacifiques organisés pendant deux mois devant l’usine de gaz de Petrofac par les diplômés chômeurs de Kerkennah, représentés par l’Union des Diplômés Chômeurs, dans le but de faire pression sur l’entreprise britannique afin qu’elle reprenne le financement du fonds pour l’emploi.

Sur l’île, j’ai eu l’occasion de parler avec plusieurs jeunes qui avaient participé aux sit-in de février-mars. Ils étaient déterminés à défendre leurs droits et retrouver leur emploi. Leurs discours étaient empreints d’un ressentiment de colère et de lassitude. Comment est-il possible d’être chômeur alors que toute cette richesse issue du pétrole et du gaz est produite sur les îles ? Qu’en est-il des promesses de la révolution de 2011 et des demandes de justice sociale et de dignité nationale ? Ces questions font écho à ce que j’entends lors de tous mes voyages en Tunisie, la Tunisie intérieure, la Tunisie loin des sites touristiques animés, celle du sous-développement, où les gens continuent de se battre contre la paupérisation, la corruption et les injustices quotidiennes.

Alors que les responsabilités et devoirs de la Petrofac pour le développement de l’archipel et la création d’emplois ont fait l’objet d’un débat public, son implication corrompue dans l’acquisition de 45% de la concession gaz de Chergui n’a pas été mise en lumière. Une série de documents juridiques ayant révélé son implication dans le versement de pots de vin à Moncef Trabelsi (2 millions de dollars), le beau-frère de l’ex-président Ben Ali, a d’ailleurs mené à la condamnation de ce dernier et octobre 20111.

Malgré cette condamnation, l’homme d’affaire britannique à l’origine de cette malversation et l’entreprise ont évité toute enquête au Royaume-Uni et en Tunisie. Amjad Bseisu, alors PDG de Petrofac Resources International, aurait demandé à Moncef Trabelsi d’aider son entreprise à obtenir un permis pour la concession gaz de Chergui. Il aurait transféré les 2 millions de dollars depuis un compte londonien à celui de Moncef Trabelsi à la National Bank of Dubaï.

Ce n’est pas la première fois que la Petrofac est impliquée dans un scandale de corruption. Un de ses anciens dirigeants s’est récemment retrouvé accusé dans une affaire similaire, pour avoir payé un pot-de-vin de 2 millions de dollars visant à « sécuriser » un contrat au Koweït. Ce qui est particulièrement incroyable dans ce cas ce n’est pas seulement que la Petrofac ait participé à la corruption et l’acquisition illégale d’une concession, mais que l’entreprise fasse maintenant preuve d’un tel mépris envers le peuple tunisien en refusant d’honorer ses engagements et en soutenant la répression policière. Par ailleurs, l’entreprise a formulé des accusations condescendantes à l’encontre des jeunes manifestants, par les déclarations d’Imed Derouiche, son PDG en Tunisie.

Le fait est que le lobby du pétrole est extrêmement puissant en Tunisie, au point que l’opacité et l’irresponsabilité sont devenues tout à fait banales dans ce secteur. Par exemple, personne ne sait si l’exploration ou l’exploitation du gaz de schiste a lieu dans le pays, particulièrement, entre Tataouine et la zone militaire fermée (pas pour les entreprises pétrolières et gazières apparemment).

L’étude du secteur du pétrole et du gaz montre que pour les autorités tunisiennes, les pratiques de l’industrie fossile sont une boîte de Pandore qu’elles craignent d’ouvrir. Malgré le processus révolutionnaire initié il y a plus de cinq ans par les soulèvements, nous voyons les mêmes méthodes répressives employées par l’Etat, qui prend clairement le parti des multinationales pétrolières et gazières, aux dépens des demandes légitimes des populations. Ce choix, ou plutôt cette obligation de soutenir les multinationales, ne s’opère pas par hasard. Il doit être remis dans son contexte néolibéral où un pacte contre-révolutionnaire est imposé à la Tunisie avec le soutien des élites nationales – dont l’attitude face au capital mondial parait servile.

Partout en Tunisie, je rencontrais de jeunes personnes organisant des sit-in et des occupations prolongés, mettant à l’arrêt la production d’industries clef (comme l’exploitation du phosphate, du pétrole ou du gaz) et exigeant des emplois. L’incapacité de l’Etat à répondre à ces demandes est le résultat d’un choix irresponsable qui persévère dans le même cocktail politique explosif, l’un des visages de la violence néolibérale qui frappe sans relâche les Tunisiens.

L’archipel est menacé par le changement climatique

Kerkennah est l’un des endroits les plus vulnérables de la Méditerranée. Il se caractérise par un climat semi-aride (qui tend vers l’aridité) avec une saison très sèche en été, des températures élevées et un déficit d’eau d’environ 1000 mm/an. La montée des eaux en raison du réchauffement met en danger l’archipel, peu surélevé, dont la majorité des terres se trouve seulement à 10 mètres au-dessus du niveau de la mer. Plusieurs études ont déjà montré l’érosion et le retrait du littoral, estimant ce recul à plus de 10 centimètres par an. Dans certains lieux, l’érosion a atteint quarante mètres en moins de cinquante ans, mettant en lumière le vrai risque de disparition des îles. Dans une étude réalisée par le gouvernement tunisien sur l’impact du changement climatique, les prévisions étaient alarmantes. L’archipel pourrait être transformé en une mosaïque de petites îles et la surface immergée pourrait atteindre 30% du total (environ 4500 hectares) d’ici à 2100, en l’absence d’une réduction drastique des émissions carbones.

Aujourd’hui nous voyons qu’en moins de trois décennies, les zones que l’on appelle sebkhas (marais salants côtiers), qui constituent près de la moitié de la surface de l’archipel, ont augmentées de 20%. L’eau de mer s’infiltre dans les réserves d’eau souterraines et les sols, qui se salifient en raison de l’évaporation et l’évapotranspiration. Tout ceci exacerbe la pénurie d’eau, qui tue les palmiers locaux et grignote les terres arables. Les palmiers sont typiques de l’archipel, on en compte des centaines de milliers parsemés sur l’île. Ils représentent un joyau à protéger, ayant plusieurs usages : source alimentaire, outils pour la pêche et l’artisanat, etc. L’impact écologique et humain qu’implique leur perte par centaines est énorme.

La population insulaire a fortement baissé dans les années 1980 en raison des sécheresses. Les îles n’étaient pas en mesure d’alimenter des systèmes d’irrigation adaptés, et avec le déclin des réserves d’eau douce, beaucoup d’habitants ont dû partir pour Sfax, la ville la plus proche. Aujourd’hui, la population est estimée à 15 000 personnes. Le nombre d’habitant est multiplié par 10 en été, quand les émigrants du continent et de l’étranger reviennent. En raison de la fragilité de l’écosystème et des contraintes climatiques et environnementales qui pèsent sur l’agriculture et la pêche, on tente de promouvoir l’éco-tourisme comme alternative (« le développement touristique durable », qui n’est qu’une des facettes du « capitalisme vert »). À ce jour, ces programmes n’ont pas été mis en œuvre.

La violence du changement climatique n’est pas naturelle mais la conséquence du choix des puissants : celui de continuer à brûler des énergies fossiles. Le changement climatique n’est qu’une figure de la logique impérialiste d’exploitation de la nature et des populations. C’est ce que l’on pourrait appeler le “colonialisme énergétique”. Les multinationales ne se soucient pas des conséquences écologiques (pollution de l’eau, dans le cas de Kerkennah) ou l’expropriation des populations du Sud.

De fait, la pollution marine à répétition causée par cette industrie, couplée à la montée des températures des océans et de la pêche illégale, aura très certainement un impact délétère sur les activités de pêche, les écosystèmes et la biodiversité à Kerkennah. Dans un document préparé pour la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), ce problème a été souligné, évoquant la possibilité de restreindre les modes de pêche artisanaux. Il y a même des signalements de fracturation hydraulique offshore inquiétants, qui s’ajoutent à ces menaces.

Réchauffement climatique et maux du néolibéralisme

Dans une économie néolibérale comme celle de la Tunisie, qui génère des inégalités, privatise le social et empêche la création d’emplois productifs de qualité ; les caractéristiques habituelles de la précarité seront sans doute exacerbées par le réchauffement climatique. Celui-ci agit comme un “multiplicateur de menaces”. Un rapport de 2007 du think-tank lié au Pentagone, CNA corporation, n’aurait pas pu mieux l’exprimer, même si son objectif revient à justifier une forme de militarisation :

De nombreux gouvernements dans la région sont à la limite de leurs capacités à assurer les besoins de base : l’alimentation, l’eau, les logements et la stabilité. Le changement climatique va exacerber les problèmes de ces régions et s’ajouter aux problèmes de gouvernance. […] Les conditions économiques et environnementales dans ces lieux déjà fragilisés vont continuer à s’éroder avec la baisse de production alimentaire, le développement de maladies, les pénuries croissantes d’eau potable et les déplacements de populations.

De plus, le capitalisme néolibéral a un impact sur la façon dont les sociétés réagissent et répondent à ces défis. Christian Parenti, dans son ouvrage Tropique du chaos : le changement climatique et la nouvelle géographie de la violence, constate que des décennies de pathologie néolibérale (en plus du militarisme hérité de la guerre froide) ont « déformé la relation de l’Etat à la société, en retirant et sapant les fonctions collectivistes, régulatrices et redistributives de l’Etat, tout en sur-développant ses installations répressives et militaires ». Selon lui, ceci entrave la capacité d’une société à éviter des bouleversements violents, alors que les premiers impacts du réchauffement se font déjà sentir.

Parenti utilise le concept de « convergence catastrophique » pour qualifier la collision entre les désastres politiques, économiques et environnementaux qui s’aggravent et s’amplifient mutuellement. Ainsi, les bouleversements actuels et à venir, provoqués par le changement climatique à Kerkennah, et en Tunisie plus généralement, viennent s’entrecroiser avec les crises existantes de pauvreté et de violence néolibérale. Étant donné la réponse sécuritaire et militaire à la menace « terroriste », il n’est pas difficile d’imaginer que l’adaptation au changement climatique sera elle aussi militarisée et sécuritaire, afin de protéger les puissants et les intérêts des plus fortunés. De plus, dans l’ère d’un « capitalisme du désastre » (pour reprendre l’expression de Naomi Klein), le chaos climatique qui mènerait à la submersion de l’archipel donnerait un prétexte à de nouvelles expropriations et davantage de profits.

La souveraineté des ressources naturelles : une lutte cruciale pour la justice environnementale et climatique

Obtenir la souveraineté des ressources naturelles et s’émanciper des logiques de marché sont des étapes indispensables pour l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets. D’autant plus lorsque l’objectif de la justice climatique consiste à atténuer le fardeau du réchauffement qui pèse sur des populations déjà marginalisées et vulnérables. Reprendre le contrôle démocratique sur ces ressources est un autre pas vital de la marche vers une transition juste, pour rompre avec les énergies fossiles et passer aux énergies renouvelables. Des décisions aussi cruciales sur la nature, la structure et le sens même de nos systèmes énergétiques peuvent-elles être prises sans consulter les populations ?

Pourtant, ce contrôle ne peut avoir lieu tant que les multinationales pétrolières et gazières gardent la mainmise sur la majorité de nos ressources. L’exemple de British Gaz (BG) est révélateur. Il s’agit du plus grand producteur de gaz dans le pays, responsable d’environ 60% de la production nationale à travers ses activités à Miskar et Hasdrubal. BG Tunisia contrôle 100% des intérêts dans le champ gazier de Miskar (le plus productif), qui se situe à 125 kilomètres des côtes dans le golfe de Gabès. Le gaz est ensuite traité à la centrale Hannibal, avant d’être vendu à la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG), le fournisseur national, au prix du marché international selon les termes d’un contrat à long-terme. Le gaz tunisien est vendu aux Tunisiens comme s’il était une marchandise importée !

Un autre exemple édifiant est celui de la COTUSAL, l’entreprise française de sel qui exploite les marais salants tunisiens depuis l’époque coloniale (début du XXe siècle). La COTUSAL a échappé à la nationalisation après l’indépendance en 1956, et profita d’une position de monopole pendant près d’un siècle, jusqu’en 1994 quand son premier concurrent fit son entrée sur le marché. L’exploitation des marais salants continue en vertu d’un accord datant de 1949, qui offre à l’Etat tunisien un revenu minimal. L’entreprise produit environ un million de tonnes de sel, en exporte les trois quarts, générant un chiffre d’affaire de 32 millions de dinars en 2014 (environ 14 million euros). Cela n’a pourtant pas empêché l’entreprise de ne pas payer ses redevances fiscales, s’élevant à 5,7 million de dinars (2,5 million euros), accumulées sur une période de cinq ans (2007-2012).

Pour paraphraser l’écrivain latino-américain Eduardo Galeano, il semble que « l’élite au pouvoir n’ait aucun intérêt à déterminer si le patriotisme pourrait être plus profitable que la trahison, et si la mendicité est vraiment la seule option au niveau de la politique internationale ». La souveraineté est hypothéquée par l’élite tunisienne au pouvoir qui a accepté (et continue de le faire) le pillage constant des ressources naturelles, générant notre pauvreté en nourrissant la richesse des autres.

Conclusion

Des îles comme Kerkennah sont en première ligne du changement climatique. Menacées par la montée des eaux, le climat de plus en plus aride entraîne aussi une salinité croissante des sols. L’aggravation du stress hydrique qui en résulte impacte directement la sécurité alimentaire des populations.

Cette crise climatique est aggravée par la destruction environnementale et l’épuisement des ressources naturelles qu’implique le modèle de développement productiviste, basé sur l’extractivisme – un mécanisme de pillage et d’appropriation colonial et néocolonial. Prônant l’accumulation par l’expropriation, ce type de modèle entraine le développement du sous-développement de même que la violence socio-écologique. C’est tout le paradoxe de l’extractivisme capitalistique, qui sacrifie des zones entières au nom de l’accumulation du capital. Kerkennah n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Obligées de s’adapter à une situation dont elles ne sont les responsables, les populations de Kerkennah sont à la merci de pollueurs qui eux, sont protégés par la répression d’Etat. Thomas Sankara, le révolutionnaire burkinabé et leader visionnaire, a compris très tôt comment la corruption était un outil de la mafia capitaliste internationale pour conquérir les marchés et piller les ressources du Sud.
Afin que les habitants de Kerkennah ne deviennent un jour des réfugiés climatiques, et pour qu’ils reprennent le contrôle de leurs vies et de leur environnement, l’industrie fossile doit être mise au pas et sommée de rendre des comptes. En attendant, la poursuite de leurs activités destructrices reviendrait à signer l’arrêt de mort de l’archipel.

La version anglaise de cet article a été publiée sur le site openDemocracy.

(1) Tous les détails de cet accord seront documentés et publiés prochainement dans un rapport coécrit pour Platform London.