Ce n’est pas la première fois qu’un ambassadeur français crée la polémique. Déjà, un mois après la révolution du 14 janvier 2011, un Boris Boillon tout juste nommé invectivait les journalistes tunisiens qu’il avait invités à déjeuner : « N’essayez pas de me faire tomber sur des trucs débiles ! Franchement… Vous croyez que j’ai ce niveau-là ? » Des manifestations s’étaient organisées devant l’ambassade de France pour réclamer son départ, et il n’avait pas réussi à rectifier le tir avant que François Hollande ne mette un terme à ses fonctions en août 2012. C’est François Gouyette, diplomate de carrière, qui l’a remplacé pour quatre ans assez denses, mais moins tumultueux. Olivier Poivre d’Arvor, qui lui succède depuis le 10 septembre, a lui aussi provoqué de vives réactions, avant même son arrivée.

La polémique du début de mandat

Le 30 août dernier, lors de la conférence des ambassadeurs qui réunit chaque année les diplomates français, Olivier Poivre d’Arvor est interviewé par un journaliste de RTL plutôt insistant sur « l’énorme sujet sécuritaire ». Pour répondre à une question portant sur ce que le président de la République  attend de lui, le futur ambassadeur entreprend de détailler les missions de son mandat : en premier lieu « assurer la sécurité des ressortissants français » présents en Tunisie, et « faire que ce pays aille bien ». Il qualifie également la Tunisie de « fournisseuse de djihadistes et d’un certain nombre de radicalisés ». Ces propos suscitent une vague d’indignation dans les réseaux sociaux et les médias en ligne tunisiens : certains supportent mal que le pays soit, une nouvelle fois, associé principalement au terrorisme et que le nouvel ambassadeur insiste plus sur la sécurité de ses compatriotes que sur la complexité des relations bilatérales.

Nouvel émoi dix jours plus tard, après la diffusion de l’émission 300 millions de critiques de TV5 Monde. A propos d’un week-end qui met à l’honneur les artistes bruxellois au palais de Tokyo, Olivier Poivre d’Arvor commence par dire tout le bien qu’il pense du multiculturalisme à la sauce belge. Il concède néanmoins « des sujets dramatiques comme le djihadisme », ajoutant qu’il « en sait quelque chose, étant maintenant en Tunisie ».

Si Olivier Poivre d’Arvor insiste tant sur le volet sécuritaire, c’est peut-être parce qu’il est d’abord perçu comme un « homme de culture », qui n’a pas encore à son actif d’expérience d’ambassadeur dans un pays étranger. C’est un personnage médiatique, un « frère de » (son aîné de onze ans, Patrick, surnommé PPDA, fut présentateur du 20 heures durant trois décennies), qui se raconte à longueur de livres et sort parfois de la réserve diplomatique. Aussi sa nomination en qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire par François Hollande n’a pas forcément suscité l’enthousiasme au sein des rangs disciplinés du ministère français des Affaires étrangères. Il voudrait alors convaincre qu’il a les épaules pour ce nouveau « challenge » : « ce job, pour moi, c’est du dur », assure-t-il à RTL.

De CulturesFrance à France culture

Olivier Poivre d’Arvor est rôdé à la diplomatie culturelle : depuis la fin des années 1980, il est tour à tour directeur du centre culturel français d’Alexandrie, de l’Institut français de Prague, puis de celui du Royaume-Uni. De 1999 à 2010, il dirige l’organe de la diplomatie culturelle, appelé d’abord l’Association française d’action artistique, devenue en 2006 CulturesFrance, et en 2010, l’Institut français. « Il faut créer une « marque » France et donner à nos relations culturelles extérieures un caractère d’entreprise », déclare-t-il à propos de l’élargissement des compétences de la nouvelle structure.

Puis il passe à la tête de la radio France culture. Il cherche à rajeunir l’audience et à l’ouvrir sur le monde, souhaitant une radio francophone et pas seulement française. Cela paie : en l’espace de cinq ans, il réussit à gonfler l’audience de 50%. En 2015, il est néanmoins écarté, pour avoir critiqué son patron, le PDG de Radio France, dans une interview accordée à Téléobs. Déjà, en 2012, il n’était pas passé loin de la porte : en pleine élection présidentielle, il était sorti de la neutralité attendue d’un directeur d’une radio publique pour soutenir François Hollande dans une tribune dans L’Express. Il doit alors se rabattre sur une mission d’ambassadeur chargé de l’attractivité culturelle de la France. Il met en place le Grand Tour en 2016, un « circuit » de six mois autour de manifestations culturelles en France. Son ambition : miser sur la culture dans le contexte post-attentat pour relancer le tourisme, accroître l’attractivité de la France et donc dynamiser les échanges économiques. « Les Africains du Sud ont des diamants dans leur sous-sol, nous, on a dix siècles d’histoire qui nous valent 80 millions de touristes par an. C’est notre minerai ». Les Sud-Africains apprécieront, mais ce genre de comparaison a le mérite de mettre en lumière le mélange d’arrogance et de mépris dont le « rayonnement culturel français » est empreint depuis la colonisation.

Un chevalier de la francophonie

OPDA porte une vision de la diplomatie culturelle française qui veut faire la peau aux idées déclinistes et à la tendance au repli sur soi. Cette envie transparaît dans son parcours personnel. Déjà, à tout juste 22 ans, alors qu’il prépare une thèse en philosophie qu’il ne finira pas, il affirmait à l’occasion de la sortie de son premier livre, Apologie du mariage : « Je crois qu’il faut ouvrir un peu les barrières de Paris, des trois arrondissements qui font la littérature, qui font l’édition, pour s’ouvrir à d’autres continents ». Il s’exprimait alors d’un ton affirmé, presque pédant, avec un débit rapide, qu’il a gardé tout au long de ces années, même si son phrasé est devenu plus serein, plus posé aujourd’hui.

Dès l’enfance, OPDA a rêvé d’aventure, en se plongeant dans les livres. A douze ans il s’est acheté une carte, sur laquelle il a fixé des petites punaises. Il s’est imaginé « marcher sur les brisées » de son ancêtre, Pierre Poivre, «  une figure de la conquête des épices au XVIIIe siècle », ancêtre « qui le sauve d’une forme de petite bourgeoisie bretonne traditionnelle ». Plus tard, avec son frère Patrick, ils ont écrit des récits de voyages et d’aventure comme la série L’Odyssée des marins qui brosse le portrait des figures qui ont sillonné les océans depuis trois millénaires, ou encore Disparaître, sur Lawrence d’Arabie. En 2014, il est devenu président du conseil d’administration du musée de la Marine. Il a voyagé dans presque tous les pays du monde et son goût de l’ailleurs se manifeste également dans sa vie privée.

L’imaginaire de la conquête, de l’épopée, de l’expansion dont son enfance a été bercée l’habite encore. C’est peut-être ce qui lui fait dire que la France doit être « fière de son histoire et être fière de son histoire c’est aussi fière de cette histoire coloniale en l’occurrence, et de sa relation avec les pays du Sud ». Il défend un « esprit francophone » qui doit rayonner,  une certaine manière de voir les choses qui, selon lui, n’est « pas une manière dominatrice ou impérialiste comme peut-être parfois le monde anglo saxon peut véhiculer ». Face à l’influence « des grands groupes numériques de la Silicon Valley » anglo-saxons, il faut « reprendre », dans le domaine de l’édition ou de la musique, des « masses critiques européennes ou francophones suffisantes pour imposer notre culture et notre langue ». Car la diplomatie culturelle est aussi une diplomatie économique. Et, si l’influence anglo-saxonne a progressé sur la mappemonde, la France doit prendre sa revanche et la langue, la culture, l’éducation sont les armes de séduction qui peuvent lui permettre de développer « ce marché de 500 millions de locuteurs ». « Il faut vraiment qu’on considère que notre espace de développement c’est l’espace francophone. » Ainsi, il a annoncé l’idée d’un plan d’éducation nationale pour renforcer l’apprentissage du français dans son futur programme en tant qu’ambassadeur en Tunisie.

Une nouvelle mue ?

Avec cette mission d’ambassadeur, Olivier Poivre d’Arvor entame un nouveau chapitre dans sa carrière. Pour s’y préparer, il a rencontré les acteurs habitués à travailler dans le pays. Il a aussi choisi de traverser la Méditerranée en bateau afin de « changer de peau » et d’endosser son nouvel habit. Ce n’est pas la première fois qu’il se lance un défi, et il s’en estime capable. Comédien éphémère, philosophe à ses heures perdues, écrivain de « romans de gare », lobbyiste culturel, directeur de radio, il est habitué à passer d’une casquette à l’autre. Il sait s’entourer des bonnes équipes et s’assurer des appuis chez les politiques. Des personnalités comme Jack Lang, Hubert Védrine, Martine Aubry, ou encore François Hollande ont accompagné son ascension, sans oublier son frère Patrick, journaliste. En Tunisie, il est proche de Syhem Belkhodja, personnalité contestée dont, peut-être mal informé, il a loué l’esprit de résistance sous la dictature, dans un discours adressé aux opérateurs culturels réunis par l’Institut français lundi dernier.

A Tunis, son mandat commence avec des projets ambitieux : le jumelage des ministères de la Culture français et tunisien, mais aussi le premier Conseil de Haut Niveau franco-tunisien et le soutien à la conférence internationale « Tunisia 2020 » sur l’investissement qui aura lieu à Gammarth les 29 et 30 novembre. Co-organisée avec le Canada, le Qatar et la Banque mondiale en plus de la France, elle vise à aider les investisseurs privés à identifier les secteurs à fort potentiel et à favoriser, via les PPP, le financement de grands projets d’infrastructure soi-disant nécessaires au développement. En plus du contexte économique et sécuritaire, il lui faudra aussi s’adapter à la liberté d’expression qui fait désormais partie du paysage. Les Tunisiens n’ont plus froid aux yeux ; ils sont prêts à réagir face à des propos trop désinvoltes, voire même insultants. En bref, OPDA est attendu au tournant.