Où est la télécommande ? Hâte de voir la révolution qu’a connu la Télévision Nationale après la très contestée décision gouvernementale de limoger Elyes Gharbi, l’ancien président directeur général de cet établissement. C’était le 16 juin dernier, le chef du gouvernement a voulu se montrer intransigeant après un scandaleux retard d’une heure et demie de l’édition principale du journal télévisé. Quel changement après l’éviction de Gharbi ? La première chaîne du service public se porte-t-elle mieux aujourd’hui ? Du 10 au 12 juillet, Youssef Chahed effectue une visite officielle aux Etats-Unis, l’occasion de voir ce que son choix a permis comme évolution dans l’audiovisuel public. Malheureusement, le résultat est décevant, voire même alarmant.

Lundi 10 juillet, le journal de 20h commence par le déplacement du chef du gouvernement. Aucune image inédite. Aucune nouvelle information à part ce qui a déjà circulé sur la toile, des contenus austères dans leur majorité écrasante. Après un compte rendu expéditif, place à l’envoyée spéciale de la Watania, Naima Abdallah, une figure de la propagande benaliste connu par les téléspectateurs sur Tunis 7. Aucun apport supplémentaire. Elle s’est contentée, durant 2m20, de réciter l’agenda du premier ministre : ses rendez-vous avec les hauts responsables de l’administration Trump et ses rendez-vous avec les médias américains. Au passage, elle évoquera une entrevue de Youssef Chahed avec The « War » Street Journal. Evidemment, elle parle du Wall Street Journal mais elle a été trahie par sa langue… ou par sa culture générale. Puis, approximation sur le nom du vice-président des Etats-Unis, Mike Pence en parlant de « Michael » Pence, son prénom de naissance non-utilisé par ce dernier en tant qu’homme politique. La pauvreté du contenu en images et en informations est ainsi couronnée par les balbutiements de l’envoyée spéciale. Un simple relais du service de communication de Youssef Chahed, c’est tout ce que le journal de 20h de la Watania a été en ce premier jour de la visite du chef du gouvernement aux Etats-Unis. Aucune évocation d’une donnée capitale incarnant l’enjeu majeur de cette visite. L’administration Trump vient de prévoir une réduction en 2018 de l’aide à la Tunisie de 67% ainsi que l’annulation d’une subvention d’appui militaire la remplaçant par un prêt.

Le jour même, les journalistes lisaient un communiqué reçu la veille, dimanche, du service de presse de Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’homme. « La Tunisie préside la 48ème session du conseil des ministres de l’information arabes », s’intitule le courrier. On y apprend que Youssef Chahed a confié la mission d’occuper ce siège à Mehdi Ben Gharbia lors de l’assemblée qui se tiendra, mercredi 12 juillet, au Caire. Or, un tel portefeuille ministériel n’existe que dans les régimes autoritaires où le pouvoir exécutif s’octroie la mission de la régulation des médias. Un modèle boudée par la Tunisie post-révolutionnaire et sa constitution. Le même communiqué évoque un « soutien à la liberté des médias » que la Tunisie compte apporter durant sa présidence du conseil des ministres de l’information arabes. Nous vous croyons sur parole cher gouvernement : il n’y aura plus de journalistes dans les prisons égyptiennes, l’opposition saoudienne s’exprimera librement dans les journaux de son pays, les chaînes qataries et émiraties mettront fin à l’endoctrinement de leurs populations et se mettront à les informer, le Maroc adhérera à un véritable pluralisme médiatique plutôt que l’actuelle diversité de façade…etc. Soyons sérieux, qui peut croire à une telle énormité ?!

Mettons ces élucubrations sur le compte des réflexes conditionnés, ceux d’un gouvernement qui n’a pas de vision et qui applique donc les vieilles recettes protocolaires. Mettons le limogeage improvisé à la tête de la Télévision Nationale sur le compte des coups de communication très appréciés par le cabinet de Chahed. Toutes ces considérations ne tiennent pas face aux faits, face à ce que concocte les services juridiques de la Kasbah et ce qu’approuve et défend Mehdi Ben Gharbia. Son projet de loi portant sur la création de la nouvelle autorité de régulation de l’audiovisuel, une instance constitutionnelle, a été considéré « dangereux » dans une lettre ouverte adressée aux trois présidents, le 21 juin, par 16 organisations dont les plus concernés par le secteur. Ils y affirment que ce projet de loi est « en contradiction avec les acquis stipulés par la constitution en matière de la liberté d’expression et de l’information et l’indépendance de la régulation de la communication audiovisuelle ». A la veille de la journée mondiale de la liberté de la presse, 25 organisations ont dénoncé le fait que « le gouvernement tunisien n’a de cesse ces dernières semaines de resserrer l’étau sur la presse en retardant la mise en œuvre de la loi sur l’accès à l’information tout en avançant un projet de loi pour la mise en place de l’Instance de régulation de la communication audiovisuelle (ICA), réducteur quant aux prérogatives de l’instance et à son indépendance ».