Même sa tentative de ressusciter la ligne de clivage identitaire et sociétal à travers le rapport de la COLIBE, il n’en a pas profité. C’est surtout qu’il ne l’a pas vraiment assumée. Les vieilles recettes ne fonctionnent pas toujours. Et l’instrumentalisation de la question féminine par le pouvoir semble devenir un mets périmé, du moins lors de la récente aventure de Béji Caïd Essebsi. Il est désœuvré face à la nouvelle conjoncture. Que faire ? Le chef du gouvernement tient à un fil momentanément solide : Ennahdha. Et il a désormais le soutien d’un nouveau bloc parlementaire dédié à conserver « la stabilité politique ». Son principal détracteur, Hafedh, converge, pour des motivations divergentes, avec l’UGTT dans sa revendication de destituer Chahed ainsi que quelques autres organisations souvent présentées comme pesantes. La partie ne peut plus se jouer au Palais, sur la table du président qui a donné naissance au difforme Accord de Carthage, qu’il repose en paix. C’est à l’Assemblée qu’elle doit se jouer, là où il ne contrôle rien ou presque. Surtout avec un bloc de Nida Tounes au nombre de députés désormais équivalent à celui du bloc de la Coalition démocratique, proche de Chahed. Béji Caïd Essebsi se retrouve donc hors-jeu.

Pas d’annonces lors de l’interview du chef de l’Etat lundi soir sur El Hiwar Ettounsi. Que des affirmations de positions et de déclarations d’intentions. Il est tellement difficile de retranscrire les déclarations de Béji Caïd Essebsi. Il finit ses phrases rarement. Et quand il les finit, elles sont interrompues par lui-même, s’il ne les finit pas, comme souvent, en cascade. Résumé du propos : Chahed doit aller à l’Assemblée des Représentants du Peuple pour gagner sa confiance ou se la faire retirer. Ennahdha n’est plus un allié, et c’est eux qui ont choisi la rupture. Flou délibéré sur son intention de se présenter aux élections présidentielles de 2019. Immobilisme prolongé par rapport aux manœuvres de son fils, une fausse négligence aux airs de bénédiction. Souhait d’amender la constitution et le code électoral mais quasiment impossible face aux pressions. Donc, il le présente sur un ton de testament. Et le plus marquant est l’annonce d’une non-intention : sa non-volonté de faire recours à l’article 99 de la constitution.

Pourquoi donc faire cette interview ? « Pourquoi suis-je venu aujourd’hui ? Parce qu’on me fait dire des choses que je n’ai jamais dites. Moi, je ne suis pas venu en discuter avec vous. Je suis venu m’adresser au peuple tunisien qui m’a élu », a lancé le président de la République à son interlocutrice. « Des choses qu’il n’a pas dites », il n’y a qu’une seule : son éventuel recours à l’article 99 évoqué par certains médias. Chose écartée dans un avenir proche, selon ses dires lors de l’interview. Ainsi, la communication présidentielle se montre perturbée, confuse et dépêchée à consacrer une interview entière pour ne rien à annoncer et draper un démenti dans un entretien-événement levant le voile sur l’isolement du président. Une solitude qui s’est exprimée à travers ses invitations adressées à Youssef Chahed, en forme de conseil, à se présenter à un vote de confiance à l’assemblée.