De l’art contemporain sous nos cieux ? Soyons sérieux : ce serait plutôt un hibou à midi. Dans la catégorie des « grands chantiers » qui avancent torse bombée, la première édition des Journées d’Art contemporains de Carthage appartient à cette sous-catégorie où il n’y a rien à se mettre sous la dent. Bruissant d’une rumeur de « contemporanéité », elle transporte sur l’affligeante modestie de la production locale en arts plastiques les espérances d’un marché de l’art quasi inexistant. L’exposition, à dominante picturale, déplie un éventail de pratiques qui vont du dessin à l’installation, en passant par la photo et la sculpture. Le problème est qu’elle tente vainement de placer le visiteur sur les rails d’une nouveauté qui ne porte plus, parce que symboliquement démonétisée.

Il n’est certes pas question de revenir sur les centaines d’œuvres exposées dans les pavillons nationaux qui, toute proportion gardée, se ressemblent. Si l’essentiel n’a pas été épargné pour donner à ces journées le maximum de lustre en matière de scénographie, la quantité rend difficile la détection de la « qualité ». On dira que le propre des ce genre d’expositions à odeur indéterminable est d’offrir au visiteur une large palette de travaux. Sauf qu’ici les exceptions se font rares et les surprises suspendues. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’après les avoir regardé slalomer entre vieux jeu et new age, on éprouve un sentiment qui n’est surtout pas l’appréciation. Pas tout à fait la déception non plus, puisqu’on s’y attendait en un sens, mais une réelle hébétude.

Inutile donc de se demander si, dans ce manège grisâtre, on peut discerner de nouvelles sensibilités. Ce qui plane ici, c’est l’ombre portée d’un retard navrant. Deux heures qu’on arpente les pavillons et on fait le compte. L’éventail des déceptions est déjà large. La pêche serait abondante, mais en grande partie à côté du temps, comme si c’était un revirement d’époque confirmant à quel point ce contemporain brandi en règle ne dégouline pas des cimaises. Bien sûr, il y a des façons canoniques de s’en tirer. Le plus sûr est d’en isoler les sixties et seventies, traînant le long deuil d’une chose qui fut, comme si le lit de l’histoire ne se remontait pas. Le goût des eighties vire avec l’âge du mièvre au fade, puis s’aplatit sans douter que le visible puisse se tromper d’époque. Le contingent de « maîtres » n’est pas assez fort pour nous tirer d’embarras.

Si l’exposition en restait là, ce serait déjà bien pour les nostalgiques. Mais il y a le reste, malheureusement. Là où certains accrochages laissent redouter une abstraction de salon, relevant d’une curiosité trop attendrie, d’autres démarches scolaires, prises d’un accès de fièvre graphique, viennent se greffer sur de plates repentances oniriques. Autre recours : des tendances jeunes dont la règle veut que le lyrisme béat s’épanche à droite et se retient d’interroger son médium à gauche, tout en conservant ses allures de surplace. Pour un kitsch qui revient et un surréalisme qui s’en va, c’est un brutal coup de vieux qui s’empare des mains des artistes. Et ce n’est ni l’emphase ni les effets de manche remâchés qui suffisent à démentir pareilles niaiseries visuelles. Passé un certain âge, on aurait sans doute la larme à l’œil devant ces travaux. On dirait que le contemporain dont se targuent nos plasticiens du consensus ne fait que reculer dans le temps.