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Au lendemain de la Révolution, les habitants de Béni Khalled ont découvert, stupéfaits, des preuves compromettantes de l’implication de Monsieur Tout le Monde dans le quadrillage policier qui a hanté cette petite ville tranquille du Cap-Bon, assez connue pour ses orangeraies et son équipe de football. Plus frappant encore, la liste des informateurs, postée sur Facebook, comprenait entre autres indics, l’ex-sociétaire du Club Africain, Makrem Tajouri.

Footballeur converti aux affaires, M. Tajouri gérait un petit café dans sa ville natale. Passé l’effet de surprise, les Khalledis finirent par revenir à l’évidence que, dans certains milieux socioprofessionnels, on est indic par défaut.

Indics “tunisiennement” potentiels

En Effet, Tunisiennes et Tunisiens croient, à tort ou à raison, que la majorité des chauffeurs de taxis, des gérants de cafés ou de restaurants, des serveurs, des hôteliers, des portiers et autres gardiens d’établissements publics et privés, sont des indics de facto.

Certains le font “bénévolement” en échange de services, parfois juteux.

D’autres, par soumission ou par peur, partant de la “fameuse” idée populaire selon laquelle il y aura toujours quelqu’un pour faire ce sale boulot.

Flic Vs Flic

Une idée qui a, d’ailleurs, fait que chaque citoyen croyait que son voisin, son collègue ou même son parent était indic. C’est l’essence même de l’Etat policier.

Même au sein de l’appareil répressif, il y a des indics entre flics. La vie privée, par exemple, est loin d’être privée. Chaque décision prise par un agent présuppose une approbation préalable de son supérieur.

En outre, un policier pratiquant, par exemple, peut “corrompre” ses collègues et, partant, il doit être soumis à un contrôle permanent. C’est ce que révèle, d’ailleurs, plusieurs notes, jadis confidentielles.

Tohu-bohu sécuritaire

Au-delà de ce “folklore” policier, il faudrait plusieurs années avant de pouvoir redessiner le schéma de l’appareil répressif en Tunisie. La définition même de cet appareil est déjà un vrai casse-tête. Les services sont tellement enchevêtrés qu’il est quasiment impossible de détenir le moindre fil conducteur. Ajoutons à cela la complicité de Monsieur Tout le Monde à des degrés divers.

Aussi, faut-il admettre que l’approche victimaire de certains acteurs du paysage politique ne fait que brouiller les pistes. Car, faut-il préciser que l’Histoire récente nous a appris l’impudeur de l’appareil répressif qui ne ménageait personne. Absolument personne.

Cibles privilégiées

Sous un régime policier, en effet et, jusqu’à prouver le contraire, chaque citoyen est subversif par défaut. Cela étant, les forces de refus ont payé le plus lourd des tributs. Leaders ou sympathisants, dans les milieux politiques ou syndicaux, parmi les journalistes, blogueurs ou autres défenseurs des droits de l’Homme, le bilan est effrayant : outre les ennuis dits de routine, tels que privation de documents officiels, licenciements ou interrogatoires, la chronique de l’appareil répressif abonde en crimes contre l’Humanité, avec emprisonnement arbitraire, déplacements coercitifs, “contrôle administratif”, torture et meurtre sous torture.

Raison d’Etat ?

Cet état des choses est loin de se résumer aux 23 années de règne de Ben Ali. Rappelons-nous déjà que la “construction de l’Etat” s’est faite dans le sang, celui des Yousséfistes. L’entourage de Bourguiba avait brandi, à l’époque, l’argument de raison d’Etat. Mais, à l’ouverture des dossiers noirs, l’on se rend compte que ce fut la négation même de l’Etat espéré. Puis, vinrent les compagnons de Lazhar Chrayti, les

fervents supporteurs d’Ahmed Ben Salah et sa politique collectiviste, les militants de Perspectives et leurs successeurs de l’Ouvrier Tunisien, les syndicalistes, les nationalistes, les communistes, les Islamistes … En Somme, les Tunisiens !

Qui paiera ?

Aujourd’hui, l’annonce en grandes pompes de la dissolution d’un appareil dit de police politique ne doit en aucun cas dissimuler l’essentiel de l’histoire, la répression étant plus qu’un appareil. C’est une doctrine.

Qui garantira, dès lors, que notre Histoire ne finira pas par bégayer ?

Car, au vu des propos des officiels, et plus précisément du ministre de l’Intérieur, Farhat Rajhi, il s’agit, tout au plus, d’une page qui va être tournée. Comme tant d’autres, d’ailleurs. M. Rajhi enfonce le clou, en avançant l’alibi de la hiérarchisation des consignes, pour, paraitil, calmer victimes et justiciers et confirmer les sceptiques dans leur scepticisme.

Et après ?

En attendant, donc, que lumière et justice soient faites, force est de constater que le gouvernement ne s’exprime pas, non plus, sur le devenir du renseignement en Tunisie. Faut-il rappeler que la police politique, en tant qu’appareil, existe dans les démocraties et a, pour mission, de veiller à la protection de la Constitution contre toute forme d’extrémisme, tel que c’est le cas en Allemagne où la police politique porte, d’ailleurs, le nom d’Office pour la Protection de la Constitution.

Ce n’est qu’en reformulant les compétences des différents services de sécurité dans cet esprit constitutionnel que nous pourrions aspirer à tourner la page de notre Securtitate.