Rassemblement d’un groupe de blessés de la révolution devant la CSDHLF

Créée depuis mai 2013 au sein du Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDHLF), cette commission a été chargée de préparer la liste « des personnes qui ont risqué leur vie afin de réaliser la révolution et d’assurer son succès ». En vertu du décret  fixant les modalités de fonctionnement de cette commission, la liste des martyrs et blessés de la révolution doit être publiée dans le JORT, puis sur le site de la commission des droits de l’Homme. Après avoir attendu que la présidence du gouvernement ordonne la publication depuis décembre 2018, Taoufik Bouderbala, le président du CSDHLF et de la commission des martyrs et blessés de la révolution, a publié, le 8 octobre, la liste sur le site de l’institution qu’il dirige, inversant ainsi les étapes du processus dicté par le décret-loi.

La liste de la discorde

« Qu’est- ce qu’on attend encore pour la publier ? », s’indigne Bouderbala. « C’est le chef du gouvernement qui autorise la publication dans le JORT auprès des services juridiques concernés. Mais en tant que comité, nous ne pouvons plus attendre », explique t-il. Contacté par Nawaat, le service du Conseiller Juridique et de Législation, relevant de la présidence du gouvernement, a affirmé ne pas avoir reçu quelconque instruction relative à la publication de la liste susmentionnée dans le JORT.

De son côté, Maître Lamia Farhani, présidente de l’association Awfiaa accompagnant les familles des martyrs et blessés de la révolution, appelle Taoufik Bouderbala à expliquer les raisons pour lesquelles la liste des martyrs et blessés a été publiée sur le site de la commission avant qu’elle ne soit publiée dans le JORT. « Il faut qu’il y ait une liste officielle pour qu’on puisse recourir au tribunal administratif », commente Farhani. Toutefois, Bouderbala explique que le recours est possible auprès du tribunal administratif, même avec la liste publiée sur le site de la commission. Selon lui, le pouvoir d’auto-saisine revient au tribunal administratif, qui juge la pertinence des dossiers déposés et des recours émis. Cependant, il insiste sur le fait que le rôle de la commission est limité : elle examine les dossiers conformément au décret- loi n°97 portant indemnisation des martyrs et blessés de la révolution. Ensuite, elle publie la liste intégrale.

Mais même cette liste est contestée par certains blessés qui revendiquent l’inclusion de leurs noms et ont organisé des actions de protestation devant le siège de la CSDHLF. Ali Mekki, le coordinateur de la campagne « Sayeb el qayma » (Lâchez la liste, traduction littérale), estime qu’il s’agit d’une exclusion volontaire de certains martyrs et blessés de la liste officielle. D’après lui, il y a des dossiers de martyrs sous l’examen du parquet militaire, mais leurs noms ne figurent pas sur la liste publiée.

Horizons flous

La justice transitionnelle vise à la fois remédier aux atteintes aux droits de l’Homme en révélant la vérité et en dédommageant les victimes, mais aussi à instaurer des garanties pour que les atteintes ne se reproduisent plus. C’est pour cette raison que la campagne « La Roujou3 » a vu le jour, à l’initiative d’Avocats Sans Frontières (ASF), Al Bawsala et le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES).

Contacté par Nawaat, Seif Bentili, coordinateur du projet « La Roujou3 », explique qu’une « réforme institutionnelle s’impose pour garantir la non-répétition des actes de violation des droits de l’Homme ». Cette réforme est prévue par la loi organique relative à l’organisation de la justice transitionnelle. Après la clôture de ses travaux, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) doit soumettre la totalité de ses dossiers et documents à l’institution des Archives nationales, ou à une commission ad hoc dédiée à la préservation de la mémoire nationale, conformément à l’article 68 de la loi organique sur la justice transitionnelle.

Or, Seif Bentili relève des obstacles entravant la soumission des documents auprès des Archives nationales. Il évoque deux raisons principales : la quantité des dossiers qui dépasse la capacité d’accueil des Archives nationales et la dépendance de cette institution à la présidence du gouvernement alors que l’indépendance du corps chargé de cette mission est souhaitée.

De même, le gouvernement est appelé conformément à la loi à préparer un « plan et des programmes de travail pour appliquer les recommandations et les propositions présentées par l’Instance ». Et ce, « dans un délai d’une année, à compter de la date de publication du rapport global de l’instance ». Néanmoins, d’après le coordinateur du projet « La Roujou3 », le gouvernement n’a pas encore entamé ce chantier. A rappeler que l’IVD a clôturé ses travaux en décembre 2018. L’Assemblée des Représentants du Peuple devrait aussi intervenir en créant une commission spéciale chargée du suivi de l’application des recommandations de l’IVD.

Bentili évoque également la création d’un corps judiciaire spécialisé dans le traitement des dossiers de la justice transitionnelle. « Il parait que le draft du cadre légal de ces tribunaux est encore au conseil des ministres », indique-t-il.