A la fin du premier mandat des députés de de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), des appels ont fusé sur les réseaux sociaux, réclamant la levée de l’immunité des élus. Les nombreux groupes Facebook créés à cet effet, relancent la polémique sur les députés poursuivis en justice mais élus pour un deuxième mandat parlementaire.

Immunité parlementaire entre irresponsabilité et inviolabilité

Le règlement intérieur de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) prévoit dans son article 28 que l’élu « bénéficie de l’immunité parlementaire conformément à l’article 68 de la Constitution ». D’après le constitutionnaliste Amine Mahfoudh, l’immunité permet au député de travailler en toute liberté, « dans les meilleures conditions ».

Contacté par Nawaat, Mahfoudh explique que deux formes d’immunité parlementaires sont prévues par la Constitution : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. L’irresponsabilité vise à protéger le député dans l’exercice de ses fonctions contre toute forme d’atteinte à son intégrité physique ou morale. « L’irresponsabilité ne pose aucun problème. C’est un système établi dans les grandes démocraties, en l’occurrence aux Etats Unis et en France », tranche le constitutionnaliste.

En revanche, l’inviolabilité quant à elle pose problème, d’après le constitutionnaliste. Selon lui, le député ne doit pas bénéficier automatiquement de l’immunité quand il est inculpé, prévenu ou suspect. S’il se prévaut par écrit de son immunité, cette procédure se transforme en un outil d’impunité permettant de se prémunir contre les poursuites judiciaires d’après le constitutionnaliste. En cas de flagrant délit, l’article 69 de la Constitution prévoit l’arrestation immédiate du député concerné, mais attribue une marge de manœuvre au bureau de l’ARP qui peut intervenir et mettre fin à la détention du député concerné. Cette démarche a été remise en question par le constitutionnaliste, qui exige la levée systématique de l’immunité des élus faisant l’objet de poursuites judiciaires. « Le député ne doit pas se prévaloir de son immunité. Il faut dénoncer ces pratiques », souligne Mahfoudh.

Par ailleurs, le juriste revient sur les travaux de la commission parlementaire du règlement intérieur chargée de l’examen des dossiers concernant la levée d’immunité. « La commission a été en deçà de des attentes du peuple. Si elle avait examiné sérieusement les dossiers qui lui ont été soumis, les réactions du peuple auraient été beaucoup moins vives », poursuit- il.

Procédures légales de la levée de l’immunité

Les réunions de commission et les séances plénières relatives à la levée de l’immunité se tiennent à huis clos. Seuls les membres de la commission spécialisée ont le droit d’y assister. Les élus qui n’en font pas partie ont seulement le droit de fournir un témoignage ou de répondre aux questions de la commission, et ce, conformément à l’article 30 du règlement intérieur de l’ARP. Si le député concerné par la procédure de la levée d’immunité fait partie de la commission spécialisée, il n’a pas le droit d’y assister, jusqu’à la remise au bureau de l’ARP du rapport à son sujet.
La demande de levée d’immunité se fait exclusivement par l’autorité judiciaire, qui présente le dossier du député concerné au président de l’assemblée, qui, à son tour, le transmet à la commission spécialisée. Cette commission est appelée à rédiger son rapport et à le soumettre au bureau de l’ARP dans un délai qui n’excède pas 15 jours, à compter de la date de sa soumission.

Toutefois, le règlement intérieur ne prévoit aucune mesure si la commission ne dépose pas son rapport dans les délais. Comme solution, le juriste et l’ancien conseiller à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) Adel Bsili préconise l’amendement du règlement intérieur en attribuant la compétence d’examen des dossiers de levée d’immunité au bureau de l’ARP. Après examen, le bureau sera chargé de soumettre le dossier à la plénière dans un délai d’une semaine.

Il propose par ailleurs de réduire les délais d’examen de la demande de levée d’immunité de 15 jours à une semaine.

De son côté, le constitutionnaliste Amine Mahfoudh estime que le problème réside dans la pratique politique et non pas dans le texte juridique. Cependant, il propose l’abrogation de l’article 69 de la constitution qui prévoit l’inviolabilité des députés et appelle les électeurs à faire pression sur le prochain parlement pour ne pas abuser de l’immunité. Selon lui, se prévaloir de l’immunité engendre un manque de confiance entre l’électeur et le candidat.

Par rapport aux conditions de candidature prévues par la loi électorale, le juriste Adel Bsili estime qu’il faut absolument les repenser. Amine Mahfoudh trouve quant à lui que seules les personnes qui font objet d’une peine complémentaire privative des droits civils et politiques en vertu d’une décision judiciaire n’ont pas le droit de se porter candidat à un mandat parlementaire. Il estime qu’il ne faut pas rétrécir ce droit.