Un confinement général a été ordonné en Tunisie le dimanche 22 mars, en vue d’assurer une distanciation sociale maximale. À cette fin, l’État a pris de strictes mesures pour limiter les déplacements entre les villes du pays, comme à l’intérieur des cités elles-mêmes. Les magasins, les établissements et les entreprises publiques et privées ont été fermés, à l’exception de ceux des secteurs de la santé, de l’énergie, des communications, de l’alimentation et des produits de nettoyage. Une situation exceptionnelle entachée par des abus de pouvoir et des violations des droits de certains citoyens.

Il aura fallu attendre plus de trois semaines pour que le gouvernement tienne le 13 avril une réunion ministérielle au terme de laquelle a été annoncé une batterie de mesures visant à freiner la propagation du coronavirus dans le pays. Des mesures qui devraient ultérieurement faire l’objet de décrets. Depuis l’imposition du confinement général, l’État a géré la situation épidémiologique et traité les contrevenants au couvre-feu conformément aux interprétations des différents ministères, mais sans aucune base légale.

Nécessité d’un cadre juridique

Les mesures prises par l’État pour imposer un confinement général et un couvre-feu nocturne étaient initialement incompatibles avec les besoins des citoyens.  Des centaines d’entre eux, en particulier les retraités et les plus démunis, ont ainsi été contraints à se bousculer devant les bureaux de poste. Le rush sur les magasins d’alimentation a également été l’occasion de rassemblements susceptibles de favoriser la contagion.

Quant aux contrevenants aux règles de confinement et au couvre-feu, ils ont été regroupés en masse  dans les centres de détention. Or celui de Bouchoucha, par exemple, est caractérisé par une   surpopulation chronique. A cet égard,  l’Organisation contre la Torture en Tunisie (OCTT) a relevé, dans un communiqué, que la répression des contrevenants au confinement est réglementée par la loi n ° 92-71 de 1992, prévoyant une peine d’un à trois ans de détention, pour « quiconque concourt délibérément  par son comportement à la transmission de la maladie dont il est atteint à d’autres personnes ». La même loi stipule « qu’aucune personne  hospitalisée d’office ne peut quitter de son propre chef l’établissement où elle a été admise, même pour la plus courte durée », le cas échéant, elle s’expose à une peine d’un à six mois d’emprisonnement. A noter que dans les deux cas de figure, la loi prévoit que les sanctions soient purgées en « milieu hospitalier approprié ».

Des dépassements policiers ont été relevés dès le début de l’imposition du confinement, et avant même l’émission du décret gouvernemental imposant une amende de 50 dinars aux contrevenants. Ainsi, certains membres des forces de sécurité ont fait usage de violences verbales et physiques  sans justification. Une vidéo largement partagée sur Facebook a mis en évidence les arguments frappants brandis par la police dans la zone du Bardo, à Tunis, pour inciter les citoyens à rentrer chez eux.

Pour la mise en œuvre du confinement général et du couvre-feu, l’État tunisien se base sur le décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence. Ledit décret  accorde au ministre de l’Intérieur des prérogatives exceptionnelles, incluant l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, l’assignation de personnes à résidence, l’interdiction des rassemblements, la fermeture des magasins, le contrôle de la presse, des publications, des émissions radio et télévisées, des représentations cinématographiques et théâtrales. Et tout cela sans aucune autorisation légale préalable.

Cependant, l’OCTT considère que le ministère de l’Intérieur a eu recours à des sanctions qui ne sont fondées sur aucune loi. Sur ce plan, l’organisation a notamment dénoncé  la saisie des permis de conduire, des cartes grises et la confiscation des véhicules. Alors que le Code tunisien de la route stipule que le retrait du permis de conduire n’est saisi que dans des cas spécifiques, ne comprenant pas le viol du confinement. Par conséquent, l’OCTT a recommandé, dans le même communiqué, d’accélérer la codification des violations du confinement, pour qu’elles ne soient plus évaluées au gré des interprétations.

Théoriquement épargnés, concrètement agressés

La Tunisie accuse un retard certain en ce qui concerne le commerce électronique et les échanges financiers. En attestent les difficultés rencontrées en cette période de confinement par les citoyens désireux de retirer leur argent des agences bancaires et postales. Or certaines entreprises qui ont tenté de faciliter ces services ont aussi été victimes de harcèlement au cours de leur mission. Ainsi, le vendredi 27 mars, des policiers, ont pris à partie un motard qui livrait des commandes à domicile, alors qu’il disposait de toutes les autorisations nécessaires. Le livreur s’est plaint de l’agression et a déclaré dan une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux avoir été battu par des policiers. Par la suite, le ministère de l’Intérieur l’a appelé à se rendre au poste de police où il a été agressé afin de récupérer ses papiers. Mais c’est une surprise qui l’attendait le lundi 30 mars, quand il s’est rendu sur place. Le motard a été arrêté après consultation du parquet pour « diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l’ordre public ».

Le harcèlement policier a également touché les collectes de fonds menées par des bénévoles au profit des hôpitaux et des familles démunies dans divers régions du pays. Le président de l’organisation, I-Watch, Achref Aouadi, a été appréhendé par les forces de l’ordre alors qu’il collectait des médicaments qu’il comptait envoyer à Djerba à bord d’une ambulance. Au final, l’activiste a été arrêté au centre de Bouchoucha pour avoir violé le couvre-feu. Ironie du sort : Aouadi soutient l’effort national de prévention contre le coronavirus. Il a fourni plusieurs hôpitaux en produits de stérilisation et médicaments.

Blogueur arrêté,  journaliste agressé

Des journalistes et des blogueurs ont également été victimes des abus policiers. Au gouvernorat de Nabeul, le journaliste de la radio Shems FM, Montassar Sassi, a été arrêté par les forces de sécurité dans l’exercice de son métier. Le journaliste photographiait l’arrestation d’un homme d’affaires ayant fuit avec son épouse la quarantaine obligatoire. Sassi a été arrêté et détenu pendant deux heures par les policiers qui lui ont ordonné d’effacer les photos et vidéos qu’il avait prises, « faute d’autorisation ».

Dans le quartier de La Goulette, la police a arrêté le jeune blogueur et étudiant, Mohamed Amine Saadou, pour « incitation au trouble à l’ordre public ». Le jeune homme a été appréhendé par les forces de sécurité après avoir diffusé sur Facebook une vidéo dans laquelle il évoquait  le matériel de stérilisation utilisé par la municipalité locale. Après une plainte déposée par la municipalité le 25 mars dernier, Saadou a été arrêté et a été détenu pendant deux jours au centre de Bouchoucha. Un centre de détention particulièrement propice à la propagation des maladies, en raison de sa surpopulation. Si l’étudiant a été par la suite libéré, son dossier n’a pas été pour autant clôturé.

Les circonstances exceptionnelles et la gravité de la situation que connait la Tunisie ne justifient en rien l’abus de pouvoir, l’arbitraire et le recours à la violence contre les citoyens. Or c’est en traitant les citoyens en partenaires et non par des mesures arbitraires que l’Etat peut renforcer la solidarité nationale face à la menace de la propagation du Coronavirus.