Qatar Airways a signé avec le Club Africain (CA) un contrat de parrainage à hauteur de 8 millions de dollars (24 millions de dinars tunisiens) pour une période de 4 ans. En vertu de cet accord, le club de Bab Jedid arborera sur ses maillots le logo de la compagnie qatarie durant 4 saisons consécutives. Si l’annonce a pu surprendre les fans de football en Tunisie, elle a été largement saluée par les officiels du club et ses supporters.

A l’origine d’un accord

Certes, les différentes phases de la conclusion de l’accord se sont déroulées normalement et publiquement. Cependant, l’affaire a été nimbée de suspicions sur une éventuelle instrumentalisation politique par Ennahdha. Le chef du parti Rached Ghannouchi et Ahmed Gaaloul, le ministre de la Jeunesse et des Sports (gouvernement Fakhfakh) issu du même parti sont ainsi soupçonnés d’avoir joué les intermédiaires entre le Qatar et le Club Africain en vue de signer ce contrat. L’objectif étant de profiter d’un réservoir électoral précédemment exploitée par Slim Riahi, qui s’était hissé au poste de président de l’équipe. Une position qui avait permis à son parti,  l’Union patriotique libre (UPL), de se placer troisième lors des élections législatives de 2014.

Pour sa part, le président du CA, AbdessalemYounsi, a réfuté catégoriquement les accusations d’instrumentalisation politique, soulignant que les négociations qui ont abouti à la signature du contrat ont été menées par le président de la Fédération tunisienne de football (FTF), Wadie Jary, et par le président de la Fédération qatarie de football (QFA), Hamad bin Khalifa bin Ahmed. Les négociations sont passées par plusieurs  étapes jusqu’à ce que les deux parties parviennent à la conclusion légale de l’accord, a-t-il précisé.

Signature d’un accord de partenariat entre la FTF et la QFA, mars 2019

Et le contrat intervient à une étape cruciale de l’histoire du CA, interdit par la FIFA de participer à des compétitions continentales jusqu’à ce qu’il règle sa lourde dette estimée à 5,8 millions de dollars (17,4 millions de dinars), soit près des trois quarts de la valeur de l’accord passé avec Qatar Airways.

Diplomatie sportive ou soft power

Ce n’est pas la première fois que Qatar Airways investit dans le sponsoring de clubs de football internationaux. La compagnie aérienne a déjà signé notamment avec des clubs aussi prestigieux que le FC Barcelone, les Argentins de Boca Junior et l’AS Roma. Quant à l’accord avec l’équipe tunisienne, Qatar Airways indique sur Twitter qu’il entre dans le cadre de  sa stratégie marketing visant à «renforcer sa présence sur les marchés du nord du continent africain en général et tunisien en particulier».

Dans les faits, la stratégie commerciale de la compagnie représente un maillon de la stratégie globale de la diplomatie sportive qatarie. Dans ce contexte, le sport en général et le football en particulier offrent à Doha l’opportunité de briller sur la scène internationale et de se tailler une place intéressante dans les compétitions mondiales de football.

Ainsi, le rachat du Paris Saint-Germain (PSG) par le fonds souverain qatari, a été l’un des plus importants coups engagés par l’émirat gazier sur le terrain du ballon rond. Or l’initiative a été assortie de quantité d’autres investissements qataris dans la vie économique française, renforçant d’autant la présence du petit Etat du Golfe dans les médias de l’Hexagone.

Une percée qui ne va pas sans faire de vagues. Le  rachat du PSG et de biens immobiliers historiques, la prise de participation dans des fleurons de l’économie, suscitent bien des remous, du côté de l’extrême-gauche comme de l’extrême-droite, en France. Mais les résultats obtenus par le club parisien au niveau national ou international, les attractives opportunités d’emploi et d’investissements offerts par Doha aux Français ont permis aux Qataris de se tailler une place au sein de la société française.

Et au-delà du football, le Qatar entend ainsi peser de tout son poids financier pour étendre son influence sur  «tous les champs de la diplomatie sportive: organisation de compétitions internationales, développement du sport en interne (académies, centres sportifs, tournois importants, infrastructures), parrainage de tournois ou de clubs sportifs, obtention de droits exclusifs de diffusion pour des compétitions internationales et rachat de clubs étrangers. Objectif de la manœuvre : gagner une reconnaissance internationale et se positionner en tant qu’acteur international influent du football et du sport mondial.

Pour Doha, le but n’est pas uniquement de s’imposer sur la scène sportive internationale. Ces initiatives lui permettent aussi, via des campagnes de communication de polir son image passablement écornée par des accusations de violations des droits des travailleurs étrangers, des affaires  de pots-de-vin et de corruption dans le cadre de l’organisation de la Coupe du Monde de football de 2022.

L’investissement du Qatar dans les médias, et en particulier audiovisuels, ne s’est pas limité à la chaîne d’information Al-Jazeera. Avec le lancement d’Al Jazeera Sports, qui a ensuite été rebaptisée Bein Sport, Doha veut couvrir les compétitions sportives dans la plupart des régions du monde, que ce soit dans les régions arabes ou africaines, en Asie ou en Amérique du Nord. La station se taillera peu à peu une position quasi-monopolistique, qui fera d’elle un outil privilégié de la diplomatie qatarie. Autant dire un axe privilégié de la stratégie d’influence que le Qatar ambitionne de mener dans plusieurs régions du monde, dont la Tunisie.

Le Président Caïd Essebsi et l’Emir du Qatar au sommet Tunisia 2020, parrainé par l’émirat gazier

La présence qatarie en Tunisie

Le Qatar est le premier investisseur arabe en Tunisie, et fournit 120 mille emplois (saisonniers et fixes) dont la plupart dans le secteur des services (tourisme, banques, télécom). L’émirat gazier se place, depuis quelques années, entre la deuxième et la quatrième position des investisseurs étrangers en Tunisie avec la France, l’Allemagne et l’Italie.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la signature du contrat de sponsoring entre la Qatar Airways et le CA. Tandis que l’actualité économique et financière est marquée par les révélations sur les négociations secrètes menées il y a quelques mois entre  la Tunisie et le Qatar concernant la cession d’une part des actions de Tunisair au profit de Qatar Airways. Ces éléments ont du reste été rendus publics par le journal tunisien Echourouk, et repris par le site d’information NorthAfrica Post. Les pourparlers en question ont été depuis suspendus, et le PDG de la compagnie aérienne tunisienne, Elyes Mnakbi a fini par être limogé. A priori, le projet avorté ne semble pas lié à l’accord conclu avec le CA. Cependant, le parrainage d’une équipe bénéficiant d’une grande popularité dans les différentes régions de notre pays pourrait aider les alliés politiques et médiatiques du Qatar à mieux faire passer les projets de l’émirat gazier en Tunisie. D’aucuns y verront une manière de pousser à la finalisation de l’accord entre les compagnies aériennes des deux pays. Et ce n’est pas la première fois que Doha vise à se rallier l’opinion publique via des campagnes de marketing et de communication afin de favoriser ses  investissements commerciaux.

Moncef Marzouki a bénéficié, depuis son investiture fin 2011, d’un grand appui médiatique qatari. La photo est prise d’une de ses nombreuses interviews sur Al-Jazeera tourné en février 2017.

Ainsi, l’influente présence qatarie en Tunisie tire profit de ses relations avec des intellectuels et des médias locaux. Le soutien prodigué à des partis politiques (tels Ennahdha, Congrès pour la République) a également pu contribuer à  protéger ses investissements et sécuriser ses intérêts en Tunisie. Pour rappel, l’ancien président Mohamed Moncef Marzouki avait mis en garde, dans l’une de ses déclarations, que « quiconque s’en prend au Qatar devra assumer ses responsabilités face à sa conscience et devant la loi ».