Crédit Seif Koussani. Tunis, Mai 2018

Sept circonscriptions à l’étranger n’ont enregistré aucune candidature pour les élections législatives du 17 décembre 2022. Ainsi, dès son investiture, le prochain parlement aura sept sièges vacants, tandis qu’un bon nombre de Tunisiens Résidant à l’Etranger (TRE) n’y bénéficieront pas d’une représentation. Le nouveau découpage électoral ainsi que les nouvelles conditions exigées pour les candidatures, notamment l’obtention de 400 parrainages légalisés, ont pu dissuader les TRE.

Après avoir amendé la loi électorale, le nombre des circonscriptions à l’étranger a été revu à la hausse, passant de 6 à 10. Désormais, la France est découpée en trois circonscriptions au lieu de deux, les deux Amériques et le reste de l’Europe ont été dissociés, et l’Asie et l’Australie forment actuellement une circonscription unique. Le monde arabe forme quant à lui une seule circonscription, de même que l’Afrique. Alors que le nombre de sièges du parlement a diminué, passant de 217 à 161.

Les parrainages : une condition aberrante

« C’était prévisible, puisque celui qui a décidé de la loi électorale n’a pas pris en considération la difficulté de collecter 400 parrainages », déclare Haythem Benzid, chargé de la communication de l’organisation Al Bawsala. Et d’ajouter : « Exiger 400 parrainages légalisés dans des circonscriptions étendues à l’étranger où les Tunisiens sont éparpillés a réduit leurs chances de se présenter aux élections. Il y a des circonscriptions où le nombre requis de parrainages représente 60% de l’ensemble des électeurs. Comment donc pourrait-on avoir des candidats dans ces circonscriptions ?», s’interroge-t-il, en précisant que l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE) avait dans un premier temps prévu 100 parrainages, mais le décret-loi présidentiel a quadruplé le nombre.

Abdennaceur Laaradh, candidat non retenu pour les prochaines élections législatives sur la circonscription France 1, tient le même son de cloche : « dans les circonscriptions à l’étranger, il aurait fallu que le nombre de parrainages requis soit proportionnel au nombre des électeurs enregistrés. A titre d’exemple, l’Afrique subsaharienne compte 700 Tunisiens, et on y exige 400 parrainages ». Pour lui, les « TRE ont été doublement pénalisés ». Il explique : « D’une part, le nombre de sièges représentant les TRE a été revu à la baisse, passant de 18 à 10. D’autre part, la condition exigeant la collecte de 400 parrainages est aberrante et injuste », conteste-t-il. A noter que Laaradh est le candidat du mouvement Echâab, qui soutient le processus du 25 juillet et toutes les décisions qui en relèvent.

De son côté, Mounira Ayari, ancienne élue du Courant Démocrate sur la circonscription Amérique et reste de l’Europe, exprime à Nawaat l’inquiétude de la diaspora tunisienne face aux résultats annoncés : « La diaspora est déçue de ne pas être représentée au parlement. La condition de l’obtention de 400 parrainages a compliqué davantage le processus ». Et d’ajouter : « Je suis résidente en Suisse, et je vous assure que plusieurs personnes ont voulu se présenter aux élections, mais ils n’ont pas pu collecter le nombre de parrainages requis, vu que les électeurs ne sont pas concentrés dans la même zone ».

L’arbitraire de l’ISIE

Pour Laaradh, le problème réside dans les modalités d’enregistrement des électeurs. « L’ISIE a opté pour un choix de facilitéElle a utilisé les adresses inscrites dans les cartes d’identité nationales (CIN) des électeurs, (sans tenir compte des éventuels changements des lieux de résidence, ndlr) ce qui les a empêchés de déposer leurs parrainages légalisés auprès des services consulaires à l’étranger. De plus, des milliers de TRE entre 18 et 25 ans n’ont pas de CIN, mais disposent de passeports, considérés comme une pièce d’identité. Priver 20% des électeurs de parrainer des candidats est scandaleux. On a l’impression que nous sommes des citoyens de deuxième zone !», martèle-t-il.

« On n’est pas la cinquième roue du carrosse », fustige Khawla Ben Aicha, ancienne députée de Machouû Tounes sur la circonscription France 1, du mandat parlementaire 2014-2019. Elle fait part  à Nawaat de son insatisfaction face à la nouvelle loi électorale : «On ne comprend pas la logique derrière le nouveau découpage électoral. On avait des circonscriptions délimitées, pourquoi les revoir à la baisse et pourquoi réduire le nombre de sièges » ?

Par ailleurs, elle exprime ses soucis quant aux parrainages : « Les Tunisiens à l’étranger ne sont pas très accessibles. Il faut se déplacer pour les rencontrer et écouter leurs préoccupations. Pendant le mandat précédent, les députés de la même circonscription répartissaient les tâches entre eux pour se déplacer et rencontrer leurs électeurs. Avec des circonscriptions à candidature unique et d’autres sans aucune candidature, comment le député peut-il accomplir ses missions ? »

Un rôle représentatif limité

Représenter le peuple est au cœur du travail parlementaire, à travers les projets de lois adoptés et la disposition des élus de rencontrer leurs électeurs. « Nous sommes les porte-voix des Tunisiens à l’étranger. On leur explique les lois adoptées au parlement et on comprend parfaitement leurs préoccupations », déclare Khawla Ben Aicha à Nawaat, en citant la loi adoptée en 2015, conférant aux femmes la liberté de voyager avec leurs enfants, sans avoir à demander l’autorisation préalable du père.

Pour sa part, Mounira Ayari, ancienne députée du parlement dissout, se félicite du travail effectué par les représentants des TRE pendant le mandat précédent : « Nous avons déployé un effort colossal durant l’épidémie du Covid-19. Nous avons contacté les ambassades, les consulats et la douane pour le rapatriement des Tunisiens. Nous avons collecté des dons, travaillé sur les personnes fichées S17, et mis en lumière le problème des personnes sans passeport ». Et de rebondir : « Ne pas représenter la diaspora tunisienne au parlement est un coup très dur pour la diplomatie ».

Le chargé de la communication d’Al Bawsala estime que l’absence des représentants de la diaspora tunisienne affectera le travail législatif. « Le parlement reflète les priorités législatives de ses députés. Avoir une assemblée à majorité masculine ou avec une composition incomplète va impérativement impacter les lois et les débats qui s’y déroulent », déduit-il.

En vue de pourvoir les sept sièges vacants, des élections partielles sont envisageables. Sauf que la loi ne prévoit pas la tenue d’élections législatives dès l’investiture du parlement. En outre, rien ne garantit la présentation de nouvelles candidatures, face à la persistance des mêmes conditions. D’un autre côté, changer les règles du jeu et réduire le nombre de parrainages requis touche au principe même d’égalité des chances entre les candidats. Ainsi, l’ISIE et la présidence de la République risquent de se trouver devant une impasse juridique, confirmant l’arbitraire du processus dans son intégralité.