C’est avec des images de blindés, de présence policière massive et de journalistes interdits d’entrer au Parlement que s’est ouverte, lundi 13 mars, la nouvelle mandature législative post-25 juillet. Seuls les médias étatiques ont été autorisés à couvrir la session inaugurale de l’assemblée. Les médias privés et associatifs, et les reporters de la presse internationale ont été sommés de rester à l’extérieur du bâtiment officiel.
Les journalistes présents sur place ont exprimé leur colère face à cette mesure entravant l’exercice de leur profession. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a aussitôt réagi en dénonçant « un précédent dangereux confisquant un droit garanti par la Constitution et les lois tunisiennes. Cette décision sape la liberté de la presse et le droit à l’accès à l’information. Elle vise à imposer un blackout », lit-on dans son communiqué, publié le 13 mars.
L’obsession de « l’image » des députés
Face à cet élan protestataire, le nouveau président de l’assemblée, Ibrahim Bouderbala a justifié cette décision par la volonté de garantir le calme et la quiétude entre des députés qui ne se connaissent pas encore. « La liberté de la presse est le principal acquis après la révolution. Nous ferons en sorte de la renforcer, pourvu qu’elle soit utile », a-t-il déclaré. Tout en se disant contre l’interdiction des journalistes, il a déclaré : « Il ne faut pas donner une mauvaise image des députés, susceptible de rabaisser la vie parlementaire et politique ».
Cette mesure liberticide est totalement assumée par la députée Fatma Mseddi. Interrogée par un journaliste de la Télévision nationale lors de la couverture de la session parlementaire, elle a déclaré que cette décision a été prise en concertation avec le pouvoir exécutif. Invitée sur le plateau de l’émission « Rendez-vous 9 » sur Attessia TV le 14 mars, la députée a fait savoir que cette mesure a été proposée par un ensemble de députés dont elle a refusé de divulguer le nombre. Elle prétend ignorer comment leur proposition est parvenue au pouvoir exécutif et par qui elle a été mise en application. Elle avance également que le donneur d’ordre pourrait être un fonctionnaire du parlement ou encore le gouverneur de Tunis.
Mseddi explique que sa proposition d’interdire l’accès des journalistes à l’hémicycle est motivée par la volonté de mettre de l’ordre concernant la présence des médias dans le parlement. Cette responsabilité incombe aux nouveaux députés. En attendant, il a fallu se contenter des médias étatiques, martèle-t-elle. Cette mesure a une portée préventive, ajoute la députée. D’après elle, certains journalistes constituent une menace pour les parlementaires. « Ils les guettent et visent à les rabaisser », lance-t-elle. Et de poursuivre : « Nous devons faire le tri entre les médias patriotes et ceux qui ne le sont pas ». Et c’est la commission du règlement intérieur du parlement qui en décidera, annonce-t-elle. Par ailleurs, d’autres députés se sont dédouanés de toute responsabilité dans l’interdiction de la couverture journalistique par les médias non-étatiques.
Tollé des journalistes
Le SNJT a tenu une conférence de presse, le 14 mars, pour alerter l’opinion publique sur « l’érosion progressive de la liberté d’expression », d’après Amira Mohamed, vice-présidente du SNJT. L’interdiction aux médias de couvrir la plénière du parlement « n’a pas ébranlé uniquement les journalistes mais l’image du pays. Cette décision a jeté de l’ombre sur cette session parlementaire », poursuit-elle. La représentante du SNJT a pointé du doigt toutes les parties susceptibles d’avoir mis en exécution cette interdiction, en l’occurrence, la présidence de la République, la direction du parlement et les parlementaires.
Pour la responsable syndicale, l’image des journalistes restés devant le parlement, est une souillure qui entachera à jamais le début des travaux d’un parlement qui se veut différent de son précédent. Et de clarifier : « les médias ne sont pas responsables de l’image dégradée des députés lors des précédents parlements. Ce sont les concernés eux-mêmes qui assument cette responsabilité. Les médias ne sont pas là pour embellir leur image. C’est à eux d’arrêter de la dégrader », renchérit Amira Mohamed.
Contacté par le SNJT, le président du parlement a assuré qu’il se réunira prochainement avec l’organisation syndicale pour discuter des relations avec les médias. Le but est d’assurer aux journalistes leur droit d’accéder à l’information, a indiqué la vice-présidente du syndicat. Entretemps, le SNJT appelle les journalistes des médias étatiques à porter le brassard rouge pour exprimer leur soutien à leurs collègues qui ne pourront pas accéder à l’Assemblée.
Amira Mohamed a annoncé la publication d’une liste comprenant les noms des députés ayant décidé de l’exclusion des journalistes et de ceux qui agiront en ce sens au sein de la commission du règlement intérieur du parlement. Alors que certains journalistes présents à la conférence de presse ont appelé au boycott des travaux de l’Assemblée, la vice-présidente du SNJT a déclaré que cette mesure entravera le droit des citoyens à l’information. « Nous ne devrons pas exaucer les vœux de certains députés qui veulent agir dans l’opacité », a-t-elle martelé.
La rhétorique présidentielle reprise par Mseddi sur les patriotes et les traitres, s’intègre dans une campagne de diabolisation des médias. Depuis le coup de force du 25 juillet, aucune interview n’a été accordée aux médias par la présidence de la République et du gouvernement. A croire que la première session du parlement inaugure le nouveau règne de l’opacité.
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