Les vidéos projetées retournent sur leurs faces les photographies inscrites dans nos cerveaux par l’actualité des frontières. C’est sur le dos blanc de ces photographies que nous avons accueillie les œuvres proposées. De la frontière américano-mexicaine avec Drawing the line de Cathy Lee Crane, aux frontières existentialistes et digitales de Parallel II de Harun Farocki et celle de 45th Parralel de Lawrence Abu Hamdan, à la poétique et télépathique frontière de Télépoetics de Patricia Morosan, puis fantomatique de Turtles are always home de Rawane Nassif. Et enfin, peut-être la plus glaciale par sa simplicité Chalk Outline de Rabih Mroué. On ressort d’El Kazma avec une autre définition de l’Histoire et des territoires.
Et en l’occurrence, les frontières de la guerre semblent tracer les contours de ses fantômes. « Vous oubliez mon histoire, vous vous souvenez de l’Histoire ». Ces mots sont inscrits sous le dessin d’un cadavre. Les cadavres qu’a esquissés l’artiste Rabih Mroué. Les cadavres dans les rues des villes syriennes, exhumés dans les journaux. Les silhouettes tracées à la craie blanche défilent sur un fond noir, l’une après l’autre, au rythme de la flûte. Comme dans une tombola macabre, la vidéo s’arrête sur un corps qui nous donne un coup de poing avec des mots. «I thought all lives matter», s’affiche sous la silhouette d’un petit garçon. Celle du petit Aylan, qui apparait en blanc sur fond noir. On la reconnaît sept ans après le drame du petit réfugié.
L’œuvre de Mroué redonne une parole aux morts de la guerre. Ces morts qu’on compte mais qu’on n’écoute pas. Comme les exilés. Dans “Turtles are always home”, la silhouette de l’artiste vidéaste Rawane Nassif semble fantomatique dans un décor fantôme. Elle filme des cités émergeant en plein désert. Un lieu coloré et sinistre. Un paradoxe à l’image du soulagement de l’exil. Heureux de ne pas être là-bas, malheureux d’être finalement nulle part. On se réinvente jusqu’à ternir, comme les couleurs d’une valise cent fois trimballées, jusqu’à disparaître comme un fantôme. Puis un plan qui glace. On découvre ce qu’il y a derrière la façade du décor. Rien. Ou plutôt si : le vide. L’artiste s’est vidée dans les 21 maisons qu’elle a habitées, morceaux par morceaux, vêtement par vêtement….
La matière, c’est le corps. Mais pas que. C’est aussi un mur en briques et des barbelés, un passeport, ou un flingue pointé sur un immigré mexicain. La matière, c’est concret, c’est lourd. Alors que la pensée, elle, ne connaît pas de limites. C’est ce que nous rappelle la vidéo Telepoetics de Patricia Moroson. Une œuvre poétique s’incarnant dans l’échange de deux femmes à 1222 km. On se surprend à fermer les yeux pour apprécier pendant quelques secondes le flux sincère entre ces deux êtres.
Une autre voix nous a emmenés au-delà de la matière : celle de Parallel 2 qui explore les frontières dans les jeux. « Est-ce que le monde existe si je ne le vois pas ». Différents personnages de jeux vidéo se déplacent dans des mondes virtuels mais concrets pour eux. Un des personnages se risque à sortir du monde qui l’a conçu. On le voit tomber dans un trou noir, comme un astronaute perdu dans l’espace. Laissant transparaitre une vision du monde et de l’espace inspirée des conceptions pré-hellénistiques du monde.
On notera tout de même un bémol : l’absence de sous-titrages. La majorité des vidéos sont en anglais. Or El Kazma aurait gagné à traduire les œuvres pour les rendre accessibles au public.
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