Pourquoi nos jeunes virent-ils au terrorisme ? Telle est la question que je me pose depuis des années. Est-ce que les jeunes Tunisiens et les autres jeunes Musulmans vont tous au djihad avec les mêmes idées en tête, ou chaque pays, de par ses spécifiés ; historiques, culturelles, génétiques, géographiques, fournit une vision différente par rapport au djihad ? Est-ce que le djihadiste tunisien a la même motivation, ou la même perception du djihad qu’un djihadiste originaire d’un pays du Golfe ou d’un djihadiste Indonésien ou Somalien ?
Pour essayer de répondre à toutes ces questions, il faudrait essayer de comprendre pourquoi il y’a cette radicalisation, pourquoi il y’a ce qu’une certaine élite appelle “le lavage du cerveau” et comment un jeune pourrait-il se transformer parfois d’un ivrogne ayant un casier judiciaire lourd à un islamiste engagé aimant le sang, jusqu’à savourer la dégustation du cœur d’un ennemi, fraîchement décapité. Dans ce texte, nous tenterons de comprendre, pourquoi le djihad en Tunisie semble devenir une réponse au désespoir des jeunes face à la crise du pays et de ses institutions ?
Quelques faits marquants
En 2001, à la veille du 11 septembre, on a découvert avec stupéfaction l’implication de jeunes tunisiens qui se sont avérés être de faux journalistes, dans l’assassinat du commandant Ahmed Chah Messaoud. Cet acte prémédité par à Al-Qaïda, a mis à l’évidence l’implication des Tunisiens dans la mouvance du terrorisme international islamiste. Quelques années plus tard, en 2006, on a découvert que c’est un Tunisien qui était derrière l’atroce assassinat et la décapitation en Irak, d’Atwar Bahjat, la Journaliste de la chaîne d’information arabe “Alarabiya”. Avec le printemps arabe et le chaos qui a régné dans ces pays par la suite, le phénomène de djihadisme s’est accentué par l’envoi en masse de jeunes tunisiens pour combattre en L’Irak, en Libye et en Syrie. Le djihadiste tunisien devient avec le temps, un des piliers de ce qu’on nomme aujourd’hui, l’État Islamique en Irak et au Levant EIIL. Il accède facilement aux postes de commandement, devient parfois Émir d’une localité ou d’une ville. Ce terrorisme n’a sans doute pas vu le jour suite à un courant de piété et de bonté religieuse qui s’est propagé dans le pays d’un seul coup, mais plutôt après un désespoir ascendant des jeunes frustrés opprimés et délaissés par la réussite et par les opportunités qu’offre la vie à n’importe quel autre jeune.
Le djihad : un remède pour le désespoir
Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, le désespoir monta d’un cran chez les jeunes tunisiens, toutes catégories sociales confondues. Ce ne sont plus uniquement les ratés de l’école qui cumulent le désespoir. Ceux qui font l’école de la république sont eux aussi touchés et qui, après des années passées à l’université, obtiennent les diplômes qui ne sont que des contrats de chômage à durée indéterminée. Le désespoir toucha désormais tous les jeunes du pays. Entre 2008 et 2011, alors que l’omerta régnait, des dizaines de jeunes désespérés se sont immolés par le feu dans tout le pays. Puis il y’a eu ce ras-le-bol général de tout un peuple, entre décembre 2010 et janvier 2011 et qui entraîna la chute du régime de Ben Ali.
Avec la chute du régime, la Tunisie s’est transformée en grand laboratoire à ciel ouvert, ou tout et chacun voudrait imposer sa vision des choses, et c’est l’argent qui a fini par imposer ses règles et remporter la bataille. En effet, face à la montée du désespoir et le mouvement des suicides des jeunes, l’afflux des millions de dollars des pays du Golfe est venu accentuer la crise des jeunes tunisiens. Les pays qui prônent un Islam “Wahabite”, voulaient à tout prix reconquérir la Tunisie, considérée comme terre non musulmane. Ils ont pompé beaucoup d’argent pour diffuser un Islam qui interdit tout, y compris la vie. Les recruteurs dans les associations fraîchement créées ont ciblé les jeunes désespérées, déjà prêts à mourir, soit en se brulant vifs ou en traversant les barques de fortunes, pour arriver peut-être en Italie ou finir en appâts pour les poissons au large de la Méditerranée. L’argent du Golfe véhiculait à travers des dizaines d’associations caritatives, qui ont vu le jour après janvier 2011. Les portes-conteneurs, remplis de livres prônant une vision “wahhabite” de l’Islam, destinés à des jeunes écervelés n’évoquant que la mort, les cimetières le châtiment après l’enterrement, le vin, l’ivresse et les femmes à volonté au paradis, débarquaient en masse dans les principaux ports tunisiens. L’absence d’un État fort et la “bonté” de la cause, vue de l’intérieur du pouvoir tunisien, ont facilité la circulation de tous ses flux, y compris dans les prisons tunisiennes en touchant les délinquants et les criminels.
Méthodes de recrutement
Le recrutement des jeunes pour le djihad se faisait avec des méthodes qui usent à la fois de la séduction, de l’émerveillement, et de la mise en confiance. Ça commence par une bonne parole, un sourire, l’invitation à prier dans la même mosquée, l’invitation à manger avec le groupe, l’invitation à distribuer des aides aux plus démunis, l’invitation à participer aux tentes de propagandes. Le jeune séduit par les bonnes paroles, la confiance et la responsabilité qu’on lui en procure, les tenues, les livres et les drapeaux qu’on lui offre, l’argent qu’on lui propose. Il s’impressionne aussi par la complexité logistique et des moyens de communication, de l’étendue du réseau et des relations établies dans le pays, y compris avec les politiques, mais aussi avec un énorme réseau de djihadistes à l’étranger. La nouvelle recrue s’impressionne aussi par les gueuletons auxquels elle participe.
D’ailleurs un des gueuletons a été mis sur les réseaux sociaux ou on perçoit des jeunes tunisiens djihadistes faisant un pique-nique à bord de l’Euphrate en Irak, en train de savourer des grillades et préparant la salade “méchouia” tunisienne (salade grillée), alors que l’un d’eux déclare qu’ils ne manquent de rien et que les djihadistes tunisiens mènent une vie confortable et qu’ils sont prêts à revenir un jour libérer la Tunisie.
L’esprit du groupe et l’idéologie djihadiste
Le jeune se fusionne de plus en plus dans le groupe, à ses idées à ses stratégies, à sa mission, en l’occurrence le djihad pour diffuser l’Islam et finir en martyr. Il remet vite en cause le mode de vie imposé par sa famille, sa société, tout lui devient étranger, faux et actes de mécréance. L’idée de la mort ou du suicide sort de son contexte. Elle ne signifie plus le désespoir. Au contraire c’est l’espoir qui renaît et on se soumet à l’idée de mourir pour Dieu. Le bonheur devient, non pas ce que l’on vit, mais ce que l’on projette de vivre, après la mort… Mourir en martyr c’est l’idée de pouvoir revivre dans le Paradis et oublier la misère et le désespoir de la vie. Les jeunes tunisiens désespérés et délaissés trouvent alors le moyen de s’évader, de sortir d’un modèle de société tracé par les parents, les grands-parents et l’Establishment.
Ils oublient à travers leurs fusions dans le groupe, l’Eldorado européen, qui, face à l’impossibilité de l’atteindre, ne devient plus à leurs yeux attractif ou une cible. Les jeunes n’attendent ainsi qu’une fatwa pour partir combattre les mécréants et les ennemis de Dieu. Ils partent dans plusieurs cas sans passeports, ils continuent donc de brûler, mais non pas pour l’Europe, mais pour des terres lointaines, en quête de combattre un ennemi, créé de toute pièce par une propagande basée sur un quadriptyque ; business, religion, finance et politique. Le jeune tunisien continue aussi de se brûler vif, non pas en s’aspergeant du carburant, mais en se faisant explosé par une ceinture explosive; dans les rues de Bagdad ou dans la vieille ville d’Alep. Tandis que ceux qui veulent encore profiter de la vie choisissent des responsabilités au sein du Groupe djihadiste. Ils deviennent des Émirs d’une région ou leurs adjoints, voire juge ou responsable de sécurité, avec tous les privilèges que le poste lui en procure; un ou deux pick-up, y compris pour la protection, un arsenal d’armes digne de l’arsenal d’une armée régulière, sans oublier les belles femmes qui proviennent pour la guerre sainte du sexe ou celles qui ont été enlevées de leurs familles, considérées mécréantes.
De nos ancêtres à nos jeunes, un destin de manipulés
Les jeunes, pleins de désespoir, découvrent une religion différente de ce qu’ils ont connu depuis leurs enfances, assoiffés de considération, de sens de la responsabilité et de pouvoir, tombent facilement dans le piège de la manipulation au nom de la religion et face à l’argent facile et à l’idée de finir en martyr. Leurs éducations et leurs années passées à l’université pour certains n’ont pas développé les anticorps nécessaires pour la modération et pour la rationalité. Ils se trouvent dans les mêmes positions que nos grands-parents, manipulés par les marabouts, les saints et les zaouïas religieuses. Sauf que ces ancêtres ont l’excuse de ne pas avoir fait l’école et n’ont pas développé un esprit critique par rapport au fantasme de l’inconnu, alors que nos jeunes ont bien fait l’école, mais face aux obstacles de la vie et le manque de moyens et d’horizon prometteur, choisissent de se suicider un jour ou un autre au nom de la guerre sainte. Nos grands-parents par leurs manques de rationalité et leurs désintérêts à la vie publique at aux affaires publiques ont fini par faciliter l’implantation de la colonisation dans le pays. Aujourd’hui, nos enfants désespérés font autant de mal que nos ancêtres, le pire encore c’est que nos enfants sont prêts à tuer, égorger et pratiquer la barbarie à tous ceux qui s’opposent à leurs idées et à leurs croyances. Ils ne savent pas qu’un jour, avec leur barbarie, ils peuvent nous ramener une nouvelle colonisation basée sur la guerre des drones.
Conclusion et recommandations
Pour lutter contre ce fléau, il faudrait que l’espoir l’emporte sur le désespoir, mais ceci ne se fera qu’on donnant la chance aux jeunes, leurs favorisant l’accès au pouvoir, aux postes de décisions, à l’argent et aux femmes. Par l’accès aux femmes, nous voulons dire favoriser beaucoup plus la mixité au sein de la société, à l’école et au sein de la famille. Il faudrait briser les tabous, faire abdication de l’autorité du Père, revoir les codes de la société. En un mot, faire la révolution culturelle !
A mon avis , telle qu’elle est présenté , c’est une très bonne analyse des causes .
En bref , l’inégalité sociale est la cause de ce désastre . L’éditeur n’a pas compris que pour les ” étudiants qui ont passé plusieurs années à l’université ne sont pas épargnés de ce phénomène et les anticorps sont absentes ou insuffisantes pour jouer leur rôle ”.
En réalité , c’est dans le milieu universitaire où la bât blesse le plus et avec des inégalités intolérables , ce qui aide à construire des générations qui s’adhèrent facilement à ce système .
Bien , que cette analyse est intéressante et servira de base pour les détenteurs du pouvoir à tirer les conclusions nécessaires pour éradiquer ce flux et pallier ces défaillances flagrantes , la conclusion et les recommandations de l’éditeur semblent pressées , superficielles et ne remédient pas la cause.
Mais , il est intéressant de remarquer que la justice , l’équité , la légalité et la réduction des écarts notables , alarmants et inquiétants pour cette catégorie doivent être des sujets de travail à court , moyen et lent terme.
Le développement des régions intérieures et particulièrement le sud et le nord ouest est d’une urgence majeure.
Bref , partager de façon acceptable les richesses du pays entre la population et les régions.
Je tiens à vous remercier pour votre commentaire concernant ce texte. Néanmoins j’ai quelques remarques à vous faire:
• Lorsque vous dites, je vous cite ” L’éditeur n’a pas compris que pour les ” étudiants qui ont passé plusieurs années à l’université ne sont pas épargnés de ce phénomène et les anticorps sont absentes ou insuffisantes pour jouer leur rôle ”. Pourtant j’ai bien souligné que le désespoir s’est généralisé et a touché même les jeunes qui ont eu des diplômes et qui se sont trouvés après, au chômage. ” Ce ne sont plus uniquement les ratés de l’école qui cumulent le désespoir. Ceux qui font l’école de la république sont eux aussi touchés et qui, après des années passées à l’université, obtiennent les diplômes qui ne sont que des contrats de chômage à durée indéterminée. Le désespoir toucha désormais tous les jeunes du pays.”
• Je suis d’accord qu’il faudrait repenser le développement dans le pays et en particulier les régions défavorisées. Mais attention, en Tunisie les régions qui en souffrent le plus sont le Nord-Ouest, le Centre-Ouest et le Sud-Ouest. On peut épargner le Sud car il y’a une vraie dynamique depuis des décennies.
• A travers ma conclusion j’ai voulu mettre en premier l’investissement dans le capital humain. Ce n’est pas uniquement en désenclavant une région qu’on réduirait les frustrations, les inégalités et le désespoir. La preuve, c’est que les jeunes terroristes proviennent de toutes les régions y compris les villes côtières.
• La révolution culturelle devrait revoir la place de nos enfants de nos jeunes et de l’individu en général au sein de la société. Ça devrait commencer depuis le jeune âge. Comment pouvez-vous expliquer le nombre de choses que nos parents nous disent que c’est Haram, alors que ça ne l’est pas. Comment on peut construire une jeunesse avec un papa qui rentre ivre les samedis soir et lorsqu’il atteint un certain âge, il devient pieux et interdit tout à ses enfants et à sa famille.
Le développement régional, l’égalité des chances certes, mais il faudrait développer le Tunisien,…
Merci encore.
Oui, tout a fait, il faudrait développer le Tunisien, mais ce développement personnel, ou culturel ou bien encore familial passe par des infrastructures d’éducation et de formation, par des institutions sérieuses, au quelles devraient être dédiées des moyens pas seulement financiers mais aussi scientifiques et humains.
Aujourd’hui “l’école de la république” dont vous parlez n’en est pas une!
C’est un foutoir total, dans lequel l’obsolescence des programmes d’éducation et de formation se mêlent a la corruption des personnels de tous les rangs en partant d’en haut du ministère jusqu’en bas de la crèche.
L’affaire de la fraude au bac qui a eu un écho et des répercussions particulières cette année, n’est que l’illustration du désarroi et de la désorientation totale dans lequel sont plongés les “enfants de la république” durant tout leur cursus scolaire et universitaire. Diplômes et programmes d’éducation rebutants et obsolètes, la triche n’en est que plus inutile.
Éducation, Santé et Défense. Les trois fondamentaux du développement humain et économique, sans avoir à forcer quoi que ce soit.
Le politique n’est qu’un microbe accroché a une plaie sociale.
Nous avons pas besoin de politiciens mais de réformes profondes des systèmes d’éducation, de santé et de défense.
Nous n’avons pas besoins d’hommes a poigne mais d’hommes INTÈGRES ET DE PAROLE!
C’est peut être aussi ce que croient trouver certains jeunes tunisiens désorientés dans le discours radical de la mouvance salafiste. L’illusion de valeur et de principe. Après tout, n’est’il pas pour ça que certains “spécialistes” de l’islam radical disent que le salafisme est une sorte de refuge ultime de la dignité?
Les piliers de tous systèmes c’est l’éducation, la santé et la défense.
Le système de l’éducation nationale fondé par Bourguiba était incomparablement plus efficace, adéquat et en phase avec les besoins de la société tunisienne de son époque que l’est le système d’éducation aujourd’hui en Tunisie.
Ben ali a foutu en l’air l’éducation publique pour mettre les économies dans sa poche, et a voulu faire de l’éducation un marché d’écoles privées qui n’ont aucun standard et aucun niveau. Le meilleur moyen d’en quantifier le résultat c’est de compter le nombre de jeunes tunisiens qui s’adonnent au crime, à la corruption et bien entendu au guerres qu’il qualifie de “sainte”. Il n’a même pas lu son coran tout seul. Quelle misère et quelle tristesse.
En haut de la pyramide des responsabilités, ce n’est pas les parents, mais les politiciens, car nous sommes dans un système ou c’est la soit disant république qui prend en charge l’éducation, des enfants et aussi des dits parents.
Les politiciens aux commandes sont des microbes qui n’existent que grâce aux problèmes sociaux.
Je suis parfaitement d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il y’a un vrai problème à l’école, sauf que pour moi, l’école commence au sein de la famille, qui est le premier noyau de la société et la première écologie dans laquelle se forme un Tunisien. Puis, il y’a cette grande école qui est la société et au sein de laquelle on trouve l'”Ecole de la République”. Ceci dit, pour changer le moule, qui est usé et défiguré, on doit remettre en question les codes qui régissent notre société et nos familles. Il faudrait aussi instaurer le dialogue au sein de la famille, entre le père et la mère d’un côté et entre les parents et les enfants d’un autre côté. Certes, le père doit continuer de jouer un rôle capital au sein de la famille, mais il devrait être en parfaite synchronisation avec la mère mais aussi avec les aspirations des enfants. Le père doit être en mesure d’accepter les critiques et les avis contradictoires. Parce que ce qu’on voit aujourd’hui en réalité, est une véritable hypocrisie sociale, qui est le fruit d’une hypocrisie née au sein même de la famille. D’où l’idée de faire la révolution culturelle, qui, à mon sens, doit être initiée par les élites du pays, en présentant un grand projet sociétal. Ce projet devrait être endossé par la société civile et le pouvoir en place.
Merci encore.