Sélectionnée aux Journées Théâtrales de Carthage, Plateau a été jouée vendredi 23 octobre, au 4ème Art à Tunis. La pièce est mise en scène par Ghazi Zaghbani et produite par le Théâtre National. Elle traite d’un sujet brûlant qu’est la manipulation médiatique au profit des pouvoirs politiques et économiques. Adaptation de la pièce « Nekrassov » de Jean Paul Sartre dans laquelle il critique la diabolisation du socialisme par la presse française, « Plateau » dresse un tableau complexe mais juste des médias tunisiens aux ordres des plus forts.
La pièce raconte l’histoire d’un escroc, Moncef Valera, poursuivi par la police et sur le point de se suicider, qui se fait passer, à travers une chaîne de télévision, pour un chef de groupe terroriste, le plus redoutable en Tunisie. La journaliste qui court derrière une interview « exclusive » de Valera est sous pression de son patron en quête de buzz. Le patron de la chaîne est sous les ordres d’un Big Boss, dont on ne connaît ni le nom ni l’identité, mais qui arrose le média et soutien en même temps une candidate aux élections. Comme l’a bien expliqué Noam Chomsky, « La propagande est à la démocratie ce que la matraque est à la dictature », Ghazi Zaghbeni décortique la fabrication de l’opinion publique menée par l’argent politique. Une fabrique qui mélange le mensonge (le faux chef du groupe terroriste) et le sensationnel (la journaliste hystérique) qui rendent impossible toute critique rationnelle.
Dès le début, Ghazi Zaghbani prend le contre-pied du récit fictionnel classique. À la place du traditionnel carton précisant « Cette narration est ouvrage de pure fiction. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé, des événements ayant eu lieu, n’est que pure coïncidence », un écran noir insiste sur le caractère bien réel des personnages et des situations. Comme pour marquer le positionnement brechtien de l’auteur, le spectateur se retrouve immédiatement projeté sur écran. Une mise en abîme qui le projette violemment sur scène.
Loin de la critique frontale, Plateau raconte la complexité des situations mais aussi des personnages. Pour Zaghbani, la télévision n’est pas la réalité mais la fabrication d’une réalité de toute pièces. Le patron de la chaîne, interprété par Mohamed Grayaa, ne respecte aucune déontologie et ne cherche qu’à faire un plus grand profit au détriment de la vérité et de l’information. Dans son bureau, il donne ses instructions aux journalistes :
je veux une actualité qui terrorise le téléspectateur, le cloue à son divan, l’empêche de réfléchir ou de réagir … une actualité effrayante! Une actualité accablante !
La réponse à sa quête ne tarde pas à arriver. Il s’agit d’un « scoop sur le terrorisme » propose l’un de ses employés. Sans citer des noms en particulier, Ghazi Zaghbani, a ficelé le personnage du patron en observant plusieurs propriétaires de chaînes de télévision tunisiennes. Il pourrait être Nabil Karoui, propriétaire de « la chaîne de la famille », Nessma TV ou Arbi Nasra, ex-propriétaire de Hannibal TV, nommé par “باعث القناة” ou encore Tahar Ben Hassine, ex-propriétaire de la chaîne Al Hiwar Al Tounsi, qui, sans exception, exploitent leurs chaînes au profit de leur intérêt personnel et leur ambition politique. La quête de l’audience passe avant la déontologie et l’appât du gain passe avant le droit à l’information.
Le chef du groupe terroriste annonce une liste de personnages publics qui sont la cible de prochains assassinats terroristes. Sur la liste figure le nom de la candidate soutenue par le Big Boss qui lui consacre le prime-time de sa chaîne de télévision. Le discours de la candidate était une transcription vivante des discours politiques. Ce personnage principal dans la pièce est interprété par la grande comédienne Fatma Saiidane qui dans sa longue tirade devant les caméras réduit le discours électoral à une simple expression : la promesse non tenue.
Si la critique de la télévision tend à devenir un sujet récurrent dans les créations théâtrales tunisiennes, Plateau s’en distingue doublement. Objet central de la pièce, la télévision apparaît comme une machine encore plus inquiétante qu’elle ne l’est en réalité, car incarnation du pouvoir elle est aussi un objet de lutte sans merci pour le pouvoir.
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