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Alors qu’une campagne de boycott a été lancée contre son nouveau livre « L’invention d’une démocratie, les leçons de l’expérience tunisienne» par des éditeurs tunisiens*, Marzouki rencontre pour l’occasion des journalistes du Parisien et de France Culture pour deux entretiens, le 2 et 8 avril, où il livre son expérience de président provisoire ; sans cravate mais dans le décorum de l’ancien bureau de Ben Ali, transformé en salon présidentiel.

Ennahdha, l’union sacrée…

« Cette osmose est absolument nécessaire. Tous les pays arabes, tous, sans exception ne peuvent pas être gouvernés ni par les laïcs seuls, ni par les islamistes seuls parce que ce sont des sociétés profondément divisées»

Ne rompant pas avec ses habitudes, Marzouki débute ses deux entretiens en revenant une nouvelle fois sur son choix d’une alliance avec Ennahdha ; choix qu’il n’a cessé d’essayer d’expliquer et justifier aux yeux des Tunisiens, mais également des Français, dont les critiques semblent toujours autant l’irriter.

« Quand j’entends, sur certaines chaînes de télévision françaises, parler du gouvernement « islamiste » en Tunisie et du danger « islamiste » au Mali, en utilisant le même adjectif, je saute au plafond ! »

« La Tunisie n’est pas gouvernée par le mouvement islamiste. La Tunisie est gouvernée par une troïka dans laquelle il y a un gouvernement de coalition, deux présidents laïcs entre guillemets […] le président de l’Assemblée nationale et le président de la République,  et un chef de gouvernement qui est islamiste».

Une Troïka dont il retrace la naissance à mai 2003, lors d’une réunion dans un cloitre à Aix-en-Provence, « un Sant’Egidio tunisien » où un consensus a été trouvé entre islamistes d’Ennahdha et laïcs de gauche. Une union dans laquelle, il affirme avoir bataillé afin de conserver les grands acquis de Bourguiba et d’instiller une culture des droits de l’Homme dans cette frange politique religieuse .

« En Tunisie, il existe deux grandes familles : les modernistes et les traditionalistes. Alors de deux choses l’une, soit ces familles s’opposent et nous allons à la fracture et au chaos, soit nous trouvons une solution médiane. C’est cette voie que j’ai choisie. »

Aux critiques qui insinuent que Marzouki aurait sous-estimé ou ignoré le double jeu d’Ennahdha, dont l’agenda serait l’instauration d’un état islamique, il répond comme à son accoutumée par un revers de la main « Ils sont prisonnier de leur doxa. Il n’y a rien de pire qu’une doctrine idéologique fixe. »

Le Salafisme ? Pas une menace pour l’État ou les libertés individuelles… Juste « […] un danger pour l’image de la Tunisie et [qui nuit] gravement au tourisme. »

« Le manque d’empathie d’une France emprisonnée dans ses paradigmes »

Il en profite pour régler encore une fois ses comptes avec une certaine France qui selon lui stigmatise la Tunisie et use de raccourci facile, amalgamant l’islamisme au Mali à celui présent en Tunisie.

Attristé, il regrette des Français à « l’oreille branchée sur un seul canal », à la recherche de « clones », prisonniers d’une doxa et obnubilés par un Printemps islamiste ; des Français « encore en panne dans la mesure où ils ne veulent toujours pas comprendre ».

Une France qui, selon lui, a mis un siècle pour instaurer sa démocratie, dont 70 ans pour sa république, et qui reprocherait à la Tunisie de ne pas avoir réussi à l’implanter en deux ans.
Une France qu’il n’hésite pas également à comparer à l’Allemagne, et pas particulièrement à son avantage… Au contraire de leurs homologues germaniques, le gouvernement français a ainsi refusé de convertir une partie de la dette tunisienne en projets de développement. L’Allemagne, au pied levé, a concédé à la Tunisie 60 millions d’euros, un tiers de la dette. Somme certes minime comparée aux 15 milliards dus à la France, mais Marzouki estime lui que si cela représente « […] un lac pour la Tunisie, ce n’est qu’une goutte d’eau pour la France ». À bon entendeur…

Des critiques à peine tempérées par sa relation plus chaleureuse avec l’actuel chef de l’État français. « L’arrivée des socialistes au pouvoir a été quelque chose d’extrêmement rassurant. J’ai vu François Hollande à quatre reprises depuis. Le courant passe. Même si […] la gauche française a toujours du mal à comprendre le monde arabe et l’islamisme.»

La France l’autre pays de la ‘littérature’…tunisienne

Pourtant, son attachement profond à la France et aux Français, malgré ces critiques acerbes, ira jusqu’à leur réserver l’honneur de la présence de son épouse (inconnue en Tunisie) à ses côtés lors de sa visite présidentielle à François Hollande, ainsi que de leur faire bénéficier de la primeur de son livre ; lui qui pourtant s’était fait le chantre de la Tunisianité.

Marc Voinchet, journaliste à France Culture, ne manquera pas de noter cette énième polémique crée par le président, concernant cette fois le choix de son éditeur, français en lieu et place d’un compatriote tunisien. L’occasion pour Marzouki de donner sa version des faits et de taxer l’incident de « mauvaise querelle » de plus, affirmant que cet ouvrage était le fruit de la demande directe de la maison d’édition française « La Découverte ». Selon les dires du président, celle-ci aurait contacté, deux homologues tunisiens, afin de diffuser l’œuvre en Tunisie, mais ces derniers auraient refusé. Le président certifie néanmoins que le livre sera disponible en Tunisie – un troisième éditeur ayant répondu favorablement-… mais à une date ultérieure à sa parution française.

La Gauche…ces extrémistes laïcs

« Ce pays ne peut être gouverné que par un consensus, au centre »

Fustigeant les « extrémistes laïcs », la gauche, les modernistes et les classes bourgeoises en prennent également pour leur grade. « […] nous sommes dans le dialogue permanent avec l’autre camp. Hors de cette politique, il n’y a que l’affrontement et ils n’obtiendront rien. »

Remontant sur son cheval de bataille favori, les droits de l’Homme, Marzouki martèle sa volonté de ne pas accepter qu’un groupe rejette les opinions politiques et idéologiques d’un autre, reprochant à la gauche sa « violence verbale »… qu’il met sur le même pied que « la violence physique » de leurs adversaires, à savoir des groupuscules islamistes.

« La grande bataille économique et sociale, c’est de sortir les 2 millions de tunisiens de la pauvreté […] et chacun garde son idéologie pour lui. »

Une position, privilégiant le volet économique, qu’il avait déjà tenue quelques jours auparavant en écho au Forum social mondial :

«Dans un contexte de pauvreté et de marginalisation, les valeurs de libertés et de démocratie peuvent ramener la dictature.»

La Tunisie ? Deux blocs distincts et antagonistes qui s’affronteraient…