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A l’origine du long feuilleton d’instabilité politique vécu en ce moment en Tunisie, le refus du parti Ennahdha d’écarter deux ministres : Noureddine Bhiri (Justice) et Rafik Abdeselem Bouchleka, gendre du chef d’Ennahdha (Affaires Etrangères). Dans cette ambiance tendue, deux responsables politiques ont annoncé leur démission : Le Chef du gouvernement Hamadi Jebali et le SG du CPR Mohamed Abbou.

Après les diverses tractations que nous avons vécues en Tunisie, notamment depuis l’assassinat de Chokri Belaïd, une chose est sûre : il n’y aura pas de gouvernement de technocrates. Et pour le reste rien n’est encore clair dans ce que certains citoyens, notamment un chauffeur de taxi, appelle :”le Cirque de la politique tunisienne”.

Dans ce “cirque”, deux hommes ont mis leurs partis respectifs au pied du mur : M. Hamadi Jebali, SG d’Ennahdha et Mohamed Abbou, SG du CPR. Par ailleurs, les décisions importantes du pays sont de toute évidence du ressort du Conseil de la Choura. Et à l’Assemblée Constituante, ce sont ses décisions qui prévalent. Leur véritable “porte-parole” n’est autre que Habib Khedhr, rapporteur général de la Constitution. En effet, c’est lui qui a coupé court à l’initiative du Chef du gouvernement lors de son allocution le 14 février où il a déclaré qu’aucun ministre ne sera dans le gouvernement sans passer par l’Assemblée Constituante.

Dans les faits, le parti Ennahdha a besoin de coalition, vu le mode du scrutin de 23 octobre, jugé “inique” par Rached Ghannouchi et opportun pour l’opposition qui peut bloquer les initiatives du parti “majoritaire”. Ainsi, Ennahdha a besoin du CPR et des autres partis- si cela est possible. Sauf que le Congrès pour la République, bien qu’il ait été très conciliant avec le parti islamiste, n’a pas toléré les abus des deux ministres Noureddine Bhiri et Rafik Abdeselem Bouchleka (Ministères de a Justice -Affaires Etrangères).

D’emblée, Ennahdha a refusé le remaniement ministériel exigé par ses deux alliés dans la Troika, CPR et Ettakatol, chose qui a eu pour conséquences une instabilité politique de plus en plus accrue en Tunisie. Le ministre de l’Intérieur lui même affirmera, lors de sa dernière apparition médiatique, que cette instabilité à un impact sur la montée de violence et d’insécurité dans le pays. Suite aux bras de fer successifs, le parti islamiste décide de céder pour le ministère des Affaires Etrangères, sans pour autant concrétiser cela, et accepte la formation d’un nouveau gouvernement.

Outre les déclarations des leaders d’Ennahdha, rien de concret n’a été fait. Les pourparlers continuent au sein de la Troïka et avec l’opposition dont le parti Nidaa Tounes reste exclu. Avec l’annonce de la démission de M. Jebali, entre 10 et 20 personnalités pourront le remplacer, notamment des membres de la Choura, du Bureau politique et de l’exécutif d’Ennahdha.

Hamadi Jebali, le SG d’Ennahdha, face à son propre parti

Le Chef du gouvernement, Hamadi Jebali a fini par démissionner hier soir 19 février, puisque son initiative a échoué. Il a beau eu s’entourer d’un nouveau Conseil des sages, le pouvoir pesait ailleurs, au sein du Conseil de la Choura où le vote a été unanime : Il n’y aura pas de gouvernement de technocrates mais plutôt un gouvernement politique.

Dans une tentative de recherche d’un semblant de consensus, le parti islamiste a fait appel à la rue, et aux partis de l’opposition, sans succès. En effet, les « supporters d’Ennahdha » ramenés de tout le territoire tunisien, le samedi 16 février, étaient à peine 16 000. Le parti Al Jomhouri, ‘réserve de compétences nationales’ a fini par couper court, deux jours plus tard, à tout espoir d’un élargissement de la coalition du pouvoir.

« Nous ne ferons pas partie de la coalition, avait déclaré le porte-parole du parti Al Jomhouri, mais on soutiendra le prochain gouvernement. »

Le Chef du gouvernement a fini par démissionner, désobéissant ainsi à la décision du Conseil de la Choura. En effet, dans la journée, sur la radio Shems FM, le chef du parti Rached Ghannouchi prévoyait autre chose pour M. Jebali

« Nous ne prévoyons pas cela. Il demeure comme avant notre secrétaire général du parti et notre chef du gouvernement, nous croyons qu’il continuera avec nous car telle est la décision du mouvement».

Jebali a désobéi et a concrétisé sa promesse : démissionner s’il ne parvennait pas à mettre en place son gouvernement de technocrates.

Gouvernement dissous et vide politique

“Je respecte ma promesse… Notre peuple cherche de la crédibilité car il a une grande déception de son élite politique. Il faut récupérer cette crédibilité. Ceci est un premier pas et une épreuve pour tous les partis”, affirme l’ex-chef du gouvernement

Ainsi, avec la démission de Jebali, la dissolution de son gouvernement s’en suit. Et, c’est à l’article 15 qu’on va recourir pour la formation d’un nouveau gouvernement avec un nouveau chef.

Face à la déclaration de l’ex-chef du gouvernement, le chef de la Choura (d’Ennahdha) Fathi Ayadi a répondu que : “Jebali reste le premier candidat pour être à nouveau Chef du gouvernement, s’il refuse vingt autres noms seront proposés pour le remplacer”.
En effet, c’est le parti majoritaire qui se doit de proposer le nouveau chef de gouvernement.
M. Jebali acceptera-t-il la fonction ? Probablement oui puisque, jusqu’à cette heure, il n’a pas encore infirmé cela.

“Il n’y aura pas de vide politique ni de vide des institutions de l’Etat. Elles continueront à fonctionner comme ça l’a été après le 14 Janvier” a insisté M. Jebali.

Sauf qu’en réalité, nous sommes dans un vide politique et tout le gouvernement est dissous. Les ministres continueront quand même à travailler, selon la loi provisoire de l’organisation des pouvoirs publics le temps qu’ils soient remplacés par les nouveaux membres. Quel chef guidera le gouvernement ? Et surtout, quel programme politique sera-t-il adopté ?
La Tunisie aura-t-elle un nouveau gouvernement d’ici 15 jours comme le prévoit la loi ? Aucune promesse ni déclaration ne peut être concluante vu les manquements précédents.

Le parti Ennahdha va dans la direction d’un gouvernement politique, dont les membres ne pourront pas se présenter aux prochaines élections. Ainsi, une partie de l’initiative de Jebali a été reprise, coupant court aux probables membres de l’opposition qui feront partie du nouveau gouvernement à se présenter aux prochaines elections. “Deux coups avec une seule pierre” dira-t-on.

Quel parti acceptera d’être membre du nouveau gouvernement ? De toute évidence, ce ne sera pas Al Jomhouri, mais plutôt le parti Wafa ou le bloc parlementaire Liberté et Dignité de Nejib Hosni.

Mohamed Abbou, le SG du CPR, face à son propre parti

Du côté du CPR, premier allié d’Ennahdha, la crise est sans précédent. Le parti a volé en éclat. Principalement du fait du non respect par les ministres Slim Ben Hmidame, Abdel Whaeb Maater et Sihem Badi, d’exécuter la décision du Conseil national du CPR de se retirer du gouvernement.
Il faut rappeler que cette décision du Conseil date de plusieurs mois et ce après l’ultimatum du CPR exigeant un remaniement ministériel imminent des ministères des Affaires Etrangères et de la Justice.

Lors de notre interview au mois de décembre 2012 avec le vice-Président d’Ennahdha, Abdel Majid Jelassi à ce sujet, ce dernier a répondu : « Je ne considère pas qu’il y ait lieu de poser des “conditions” entre les membres [Troïka]… » et qu’il se pouvait que du fait des divergences, Ennahdha et le CPR ne deviennent plus partenaires au sein de la Troïka pour rester amis.

« Nous pourrons continuer à servir la Tunisie, mais chacun de son côté. Mais nous restons désireux de poursuivre l’alliance pour que la Troïka réussisse. »

Après maintes péripéties entre Ennahdha et le CPR qui a conduit au refus du remaniement et du refus des ministres mêmes du CPR de quitter leurs postes, Mohamed Abbou a fini par se décider en quittant son propre parti pour en fonder un nouveau sur de nouvelles bases affirme-t-il dans sa lettre de démission.

Par ailleurs, dans une dernière tentative pour le dissuader, une réunion des membres du Bureau Politique, qui a eu lieu le 18 fervier, M. Abbou a fini par « accepter » de rester le secrétaire général du CPR, en imposant deux conditions sine qua non : que les deux membres du BP Slim Ben Hmidame, Abdel Whaeb Maater aient leur adhésion gelée au sein du parti et que les ministres se retirent du gouvernement.
M. Abbou leur a donné la possibilité de se décider dans la journée mais ils ont fini par refuser de le faire sacrifiant ainsi le SG du parti…

Le “cirque politique” continue quand même …

Jusqu’à aujourd’hui, M. Abbou n’a pas encore annoncé publiquement sa démission, chose que M. Jebali a faite hier. Entre temps, avec la montée en popularité du parti dit « des destouriens », Nidaa Tounes, la panique du parti islamiste s’est manifestée avec des accusations de corruption (RCD)à tort et à travers, sans passer par la Justice avec en parallèle des manifestations mettant à l’index le parti de Béji Caid Essebsi :
« A bas le parti destourien, A bas le bourreau du peuple », slogan que l’on a pu entendre lors de la manifestation de samedi dernier. Bien sur, on ne pouvait accuser directement Nidaa Tounes par son nom mais la périphrase, “parti destourien”, une manière comme une autre de le citer tout en évitant des démêlés judiciaires.

Entre discours et faits, le parti Ennahdha accuse, exclue, sans vouloir passer par la justice. Un chaos politique est encore en cours à cause d’un refus de remaniement. Pourquoi bloquer à ce point le cours normal de la justice ? Quel genre de “transition dite démocratique” voudrait donc accomplir le parti islamiste ? Et quel rôle jouera ses alliés, CPR et Ettakatol, dans ce qui reste de la “Troïka” ?