Réélu avec 94% des suffrages, le président Ben Ali n’a aucune raison de renoncer à ses méthodes dictatoriales, note le journaliste marocain Ali Lmrabet. D’autant qu’il bénéficie de la complicité de l’Occident.

Dessein de Glez paru dans Le journal de jeudi, Ouagadougou. - 69.4 ko

Dessein de Glez paru dans Le journal de jeudi, Ouagadougou.

Il est incroyable que l’on puisse encore, en 2004, dans ce XXIe siècle que certains nous prédisent radieux et d’autres épouvantable, se passionner pour une élection présidentielle tunisienne quand tout le monde sait que le satrape local gagne toujours haut la main. Et que son score est toujours à la hauteur du pouvoir qu’il détient.

Dimanche 24 octobre, donc, Le président Zine el-Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis le “coup d’Etat médical” de 1987 – lorsque le Combattant suprême, Habib Bourguiba, fut déboulonné pour cause de “sénilité” -, a été réélu premier magistrat de la Tunisie. “Un si petit pays pour un aussi grand dictateur”, comme le dit si bien l’humoriste marocain Ahmed Sanoussi “Bziz”. Jusqu’a dimanche soir, le souci qui taraudait le palais de Carthage, siège de la présidence à vie du despote non éclairé, n’était pas de savoir si Ben Ali allait gagner ou non, la réponse étant évidente, mais plutôt de deviner quel score il al1ait faire face a l’opposant communiste Mohamed Ali Halouani, qui avait, dit-on, mené une bonne campagne.

LE PRÉSIDENT JACQUES CHlRAC EST LE “PARRAIN DE BEN ALI”

“Bac moins trois” – c’est le surnom que donnent certains Tunisiens a leur président – n’a finalement été réélu qu’avec “seulement 94,48 %“. Une misère, pour celui qui avait gagné la précédente élection présidentiel1e de 1999 avec 99,44 %. Mais pouvait-il en être autrement ? Même dans cette petite république bourgeoise, féodale et abrutie par la bonne tenue de l’économie, les scores à 99 % sonnaient comme une élection soviétique. Et puis, cette année, pour la première fois, Ben Ali avait en face de lui un challenger qui osait dire des choses rayées du lexique politique du pays. A savoir que le pays est dirigé par un “pouvoir personnel absolu“.

Dimanche soir, comme le redoutaient les observateurs, le score du candidat d’Ettajdid (ex-Parti communiste), Mohamed Ali Halouani, était de 0,95 % de voix. Quant aux deux autres “candidats de l’opposition”, si l’on peut appeler ainsi ces deux marionnettes du pouvoir, Mohamed Bouchiha, secrétaire général du Parti de l’unité popu1aire (PUP), et Mounir Béji du Parti social libéral (PSL), ils ont obtenu respectivement 3,78 % et 0,79 % des voix. Il est vrai que ces deux “terribles adversaires” du président sortant ont tout fait pour perdre l’élection. Durant toute la campagne, les deux hommes ont loué sans cesse la gestion bénalienne de la Tunisie, ont chanté des odes au dictateur et ont quasiment appelé à voter pour lui. Au pays de la harissa, le ridicule ne tue plus, sinon Bouchiha et Béji seraient morts durant la campagne.

Les élections législatives qui se sont déroulées en même temps que la présidentielle ont elles aussi confirmé cette mascarade électorale. Comme l’y autorise la Constitution, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali a raflé 152 des 189 sièges à pourvoir dans la future Chambre des députés. Il a piqué 80 % des strapontins parlementaires, laissant en guise de cadeau les 20 % restants aux autres formations politiques.

Ainsi va le monde dans les dictatures arabes. Pour cinq ans encore, Zine el-Abidine Ben Ali va gouverner son pays d’une main de fer et allonger la liste de ses forfaits. Hamadi Jebali, directeur de l’hebdomadaire Al Fajr, organe officieux du mouvement islamiste Ennahda (c’est l’un des plus anciens prisonniers d’opinion au monde puisqu’il est incarcéré depuis 1991) devra se résigner a pourrir en prison. Son confrère Abdallah Zouari, qui est resté onze ans en prison, devra accepter d’être condamné à d’autres peines de prison pour avoir, par exemple, simplement voulu utiliser Internet. Hedi Yahmed, ancien journaliste à la revue Réalités, a intérêt à continuer se cacher puisque la police le cherche pour un article sur les prisons tunisiennes écrit en décembre 2002. La journaliste Néziha Rejiba, de la revue non autorisée Kalima, risque cinq ans de prison pour avoir remis à un jeune Tunisien 170 euros en devises. Un crime pour le moins horrible. Enfin, certains des jeunes internautes de la ville de Zarzis, arrêtés et sauvagement torturés par la police pour avoir “cherché a établir des contacts avec le mouvement terroriste Al Qaida pour un soutien logistique.” (sans qu’aucune preuve de cette accusation n’ait été apportée), vont devoir se résoudre à rester vingt-six ans en prison. Toute une vie.

Quant a la famille du journaliste Taoufik Ben Brik, qui a mené une grève de la faim victorieuse contre la dictature de son pays, elle a intérêt a bien se tenir. Jalel et Nejib Zoghlami -les frères de Ben Brik –ont été agressés et emprisonnés il y a un mois pour avoir résisté à une agression de gros bras du ministère de l’intérieur, une pratique que connaissent tous les dissidents qui s’acharnent à vouloir vivre en Tunisie. Ils devaient être jugés le 28 octobre, quelques jours après la réélection triomphale du despote. Et sans nul doute condamnés, sans que l’on connaisse jamais les noms de leurs prétendues “victimes”…

Toutes ces violations flagrantes des droits fondamentaux des personnes se font au grand jour, au su et au vu de la communauté internationale, de la France (dont le président Jacques Chirac est le “parrain de Ben Ali”), de l’Europe, qui finance une partie du “miracle économique tunisien”, et des Etats-Unis, qui voient en Ben Ali non pas le dictateur honni, mais le précieux allié contre la menace islamiste. Comme le disait récemment un universitaire tunisien en voyage en Europe, “on a l’impression que personne ne veut comprendre que la répression, le manque de liberté et le pillage économique du pays attisent les haines et rendent les extrémistes plus forts, et constituent le meilleur vivier pour les extrémismes d’aujourd’hui et de demain”. C’est vrai. Si nos dictateurs sont toujours là, ce n’est pas de notre faute, encore moins celle des peuples ou opinions publiques qui constituent ce Maghreb que l’on taxe de Grand. Si les dictatures qui nous oppriment, qu’elles soient de forme républicaine ou monarchique, sont encore là, accaparant pour longtemps non seulement le pouvoir suprême mais également les maigres richesses de cette région, c’est parce que l’Occident le veut bien.

*Cet article a été publié par le quotidien espagnol EL MUNDO. Repris et traduit par l’hebdomadaire français Courrier International nº 730 du 28 octobre au 4 novembre, il a été transcrit pour le site de nawaat par notre ami Radical.