Quelles que soient les justifications que lui donne le régime tunisien, quelles que soient les raisons que lui trouvent les analystes, l’invitation de Sharon est inacceptable dans son principe même. C’est un affront fait à ce qui nous reste de dignité nationale. Nous ne l’acceptons pas. D’abord, parce que Sharon est un boucher raciste et un criminel de guerre qui soulève dans le monde entier le haut-le-cœur qui le rend indésirable partout.

Nous ne l’acceptons pas, plus fondamentalement, parce que nous n’oublions pas l’agression sioniste de Hammam Eshatt et ses victimes sur nos propres terres ; nous ne cédons pas sur les droits arabes en Palestine ; nous ne tournons pas le dos à la résistance de nos frères palestiniens. Bref, parce que nous ne voulons pas de normalisation, qui veut dire abdication, avec le fait accompli raciste et militariste de l’entité sioniste.

La normalisation n’est nécessaire que pour les régimes arabes qui ont choisi d’adosser leur légitimité et de protéger leur pouvoir en s’aménageant les bienveillantes « amitiés » américaine et européenne… Ben Ali vient d’en faire la démonstration. Certes, il use depuis longtemps déjà de cette carte de l’ouverture et des services rendus au sionisme. Mais là, il en abuse à la manière de celui qui joue sa dernière carte. L’épouvantail de l’islamisme qu’il a coutume d’agiter pour légitimer l’étouffement des libertés et la répression de l’opposition ne suffit plus à voiler sa vérité tyrannique. Ridiculisé par ses 95.xx % qui lui collent désormais comme un stigmate risible de par le monde ; et face à la mobilisation autour de la lutte déterminée de Abdallah ZOUARI et aux critiques démystificatrices qui mettent à nu sa nature policière, et le pressent de respecter les droits démocratiques à la faveur des préparatifs de la tenue du SMSI ; face surtout aux bouillonnement des impatiences et des colères sur fond de crises, de misère, et d’injustice sociaux et économiques, de corruption et d’affairisme scandaleux qui aliènent et prélèvent toujours plus de richesse et de bien publics pour le compte d’une oligarchie mafieuse structurée autour d’alliances et de loyauté familiale, bref, pris à la gorge par la colère sourde, la contestation et les luttes bruyantes sous les fortes lumières que la tenue du SMSI braque sur son régime, Ben Ali joue la carte-choc de l’invitation de Sharon. Une carte de diversion pour substituer à la réalité de son pouvoir despotique l’image d’un dirigeant arabe tolérant servant la paix et la normalisation, et faire apparaître ses opposants, aux yeux de l’occident notamment, pour des rétrogrades fanatiques et autres terroristes…

Nous saluons chaleureusement et nous nous inscrivons dans le camp des forces démocratiques et patriotiques qui se sont dressées aussitôt contre l’invitation et dénoncé sa diversion. Non, nous n’oublions pas Abdallah ZOUARI, ni les centaines de détenus politiques, ni les milliers d’exilés et de familles déchirées, ni les libertés et les droits du citoyen déniés, ni la torture et les tortionnaires, ni les biens du peuples volés et lapidés, ni la justice domestiquée… Nous disons non à la visite de Sharon, non à la normalisation avec le fait accompli colonialiste, avec ou sans Ben Ali.

Nous saluons également et nous nous reconnaissons dans la levée populaire dont nous nous honorons d’être partie prenante contre cette énième humiliation que le terroriste de Carthage inflige à notre dignité nationale. Il appartient à notre peuple, aux forces et aux dirigeants de l’opposition patriotique démocratique et, au delà, à tous les patriotes atteints par l’affront fait à nos sentiments identitaires les plus ancrés, de faire en sorte que l’invitation de Sharon soit l’humiliation de trop : celle qui, cristallisant nos frustrations et nos colères, sonne le compte à rebours de la dictature et de ses mafias.

Les conditions d’une mobilisation populaire décisive pour notre émancipation sont réunies. Nous exhortons les dirigeants de l’opposition qui ont su par ailleurs faire honneur à leur peuple en relayant l’affirmation de sa dignité et de son attachement à la cause palestinienne d’assumer leur responsabilités jusqu’au bout en assurant au mouvement une direction cohérente avec les motivations du peuple et ses aspirations à la dignité et à la démocratie.

Or, nous ne croyons pas que la voie des élections, municipales en l’occurrence, soient cohérente avec les motivations des masses, ni avec la nature particulière et le moment exceptionnel de la mobilisation contre l’invitation de Sharon, ni de manière plus générale avec la nature dictatoriale du régime ainsi que démontré à souhait par le déroulement tragi-comique des dernières présidentielles et législatives.

Nous ne croyons pas non plus que la mobilisation contre l’invitation soit convertible en mobilisation pour les élections. C’est prendre la lourde responsabilité de la démobilisation que d’y croire et de vouloir forcer sa conversion, tout particulièrement dans la configuration douteuse d’une alliance avec les éradicationnistes de l’ID et d’ailleurs.

De l’Ukraine au Liban, ce ne sont pas les élections, mais des mouvements de masse dotés de direction loyale aux aspirations des peuples avec l’objectif proclamé d’en finir avec les pouvoirs autoritaires en place qui les ont fait plier.

C’est cette voie de la résistance, de la désobéissance civile, du soulèvement, qui peut s’ouvrir dans le moment présent pour autant que les dirigeants de l’opposition, idéalement sous forme collégiale, se décident enfin à s’y engager et à appeler à s’y fédérer toutes les sensibilités sans élitisme ni exclusive idéologique dans le but clairement énoncé d’obtenir le départ de Ben Ali.

Nous appelons dans ce sens :

  1. l’opposition tunisienne à adopter les postures de respect et de loyauté que le peuple est en droit d’attendre de ses dirigeants ;
  2. tous les patriotes en charge des fonctions de l’Etat, notamment dans la police, l’armée, la justice…, de s’abstenir si ce n’est de résister passivement et activement aux ordres de répression des manifestants ;
  3. les journalistes et les personnels des média à tout faire chacun selon ses moyens pour dévoiler autant que possible la vérité et, en tout cas, à résister au rôle de propagandiste que la dictature leur prescrit.

L’équipe de Nawaat
Le 5 Mars 2005