Avant la deuxième phase du Sommet sur l’information en novembre, le pouvoir déploie un impressionnant arsenal pour étouffer les militants des droits humains, les journalistes et les magistrats.

Ces derniers jours, les Congrès de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) ont été annulés, puis les locaux de d’Association des magistrats tunisiens (AMT) ont été bouclés par la police. Ces actes incompréhensibles font suite à une longue série de mesures de répression, alors que la Tunisie s’apprête à accueillir sur son sol en novembre le premier sommet onusien (SMSI) de son histoire. L’enjeu est capital pour le pays qui y voit l’occasion de s’assurer une reconnaissance internationale malgré les nombreuses dénonciations des organisations internationales de droits humains. Car la répression ne cesse de s’intensifier à l’égard d’une société civile qui espère attirer les projecteurs du monde sur une autre Tunisie que celle des plages et des cocotiers. De retour de Tunis, Yves Steiner, membre du Comité exécutif de la section suisse d’Amnesty International, se dit perplexe.

Qu’est-ce qui vous a le plus choqué sur place ?
Le fait qu’ils aient de la sorte verrouillé les locaux de l’Association des magistrats (la plus importante du pays) est significatif d’une dégradation grave. Les juges étaient relativement préservés car ils constituaient la vitrine d’un pseudo-Etat de droit. Mais depuis quelques années, les avocats tunisiens subissent des harcèlements et des pressions, et depuis l’arrestation et le jugement en février dernier de Me Abbou, le barreau a commencé à dénoncer le contrôle politique de la justice en Tunisie. Et là, c’est la base du mécontentement qui s’élargit aujourd’hui.

Pourtant il y aurait près de 10’000 ONG libres en Tunisie.
Du genre “l’Association du jasmin qui sent bon” (j’invente…). Elles sont entièrement pilotées par le pouvoir. En réalité, les organisations non gouvernementales (ONG) qui luttent pour les libertés individuelles ne sont pas plus de dix.

Mais il doit bien y avoir des associations qui s’occupent des déshérités sans être inféodées au pouvoir.
Oui, il y a des clubs de foot, de couture, de danse indépendants. Mais ces organisations ne placent pas le débat sur le plan politique des libertés.

Avez-vous eu des échanges avec des milieux autres que des opposants radicaux ?
Oui, j’ai engagé le dialogue avec un de ces policiers en civil qui m’ont suivi pendant mon séjour. Je lui ai proposé, à un moment où il était seul, de me rejoindre dans un café proche pour une discussion ouverte. Il est venu et m’a raconté que certains policiers commençaient à se distancer du pouvoir. Les anciens surtout avertiraient les plus jeunes, leur conseillant de ne pas avoir la main trop lourde. Car le régime n’est pas éternel, disent-ils, un jour, il y aurait des comptes à rendre…
Il a aussi expliqué que la police était très stressée par la préparation du sommet car elle se rend compte que les mesures imposées par Ben Ali élargit la masse des mécontents.

Comment ?
Durant deux semaines, toutes les artères de Tunis vont être bouclées et les commerces fermés sans aucune indemnité pour les marchands. Les policiers se rendent bien compte que la situation sera très tendue et ils ont peur des réactions de la population.

Comment reconnaissez-vous les policiers en civil ?

Ils ne se cachent pas, ils tiennent à montrer qu’on est sous surveillance. C’est leur tactique pour nous impressionner. Il ne faut pas oublier que nous étions une quinzaine d’observateurs étrangers venus pour le Congrès de la LTDH et du SJT. Cela pose un réel problème lorsque l’on veut rencontrer des Tunisiens car on risque de les mettre en danger après notre départ. On doit ainsi prendre des précautions insensées pour rencontrer des gens sans les menacer. Selon la rumeur, la Tunisie, avec ses dix millions d’habitants, compterait autant de policiers (165’000) que la France avec ses 65 millions d’habitants.

Source : InfoSud