Anti-américanisme, quête identitaire, désir de contrôler le pétrole : l’anti-impérialisme est de retour au Moyen-Orient. Religieux et laïcs se rejoignant idéologiquement.

L’anti-américanisme est aujourd’hui au Moyen-Orient la chose la mieux partagée. Mais loin d’être l’expression de l’hégémonie islamiste, c’est le signe d’un véritable phénomène politique : la renaissance du nationalisme arabe ou plutôt des nationalismes arabes. Partout, le ressentiment à l’égard des Etats-Unis, l’hostilité à Israël, le désir de contrôler la richesse pétrolière et la quête d’authenticité culturelle font vibrer les populations et les intellectuels arabes. Une situation qui rappelle le climat politique post-colonial des années 50 et 60. Comme si l’après-11 septembre et l’intervention américaine en Irak avaient ravivé ces vieilles blessures, l’anti-impérialisme est de retour au coeur des mobilisations politiques de la région. Et il estompe les frontières entre laïcs et religieux. Le vocabulaire de la contestation emprunte volontiers au registre islamique, d’autant plus efficace qu’il incarne la L’anti-américanisme est aujourd’hui au Moyen-Orient la chose la mieux partagée. Mais loin d’être l’expression de l’hégémonie islamiste, c’est le signe d’un véritable phénomène politique : la renaissance du nationalisme arabe ou plutôt des nationalismes arabes. Partout, le ressentiment à l’égard des Etats-Unis, l’hostilité à Israël, le désir de contrôler la richesse pétrolière et la quête d’authenticité culturelle font vibrer les populations et les intellectuels arabes. Une situation qui rappelle le climat politique post-colonial des années 50 et 60. Comme si l’après-11 septembre et l’intervention américaine en Irak avaient ravivé ces vieilles blessures, l’anti-impérialisme est de retour au coeur des mobilisations politiques de la région. Et il estompe les frontières entre laïcs et religieux. Le vocabulaire de la contestation emprunte volontiers au registre islamique, d’autant plus efficace qu’il incarne la part non occidentalisée de l’identité. Mais le socle de la revendication est bel et bien nationaliste. Cette imbrication du religieux et du laïc ne devrait pas surprendre. Car l’islamisme est, depuis longtemps, une nouvelle forme du nationalisme. En le reformulant, il a repris le flambeau de cette idéologie discréditée par le népotisme, la corruption, l’échec économique et l’impuissance à libérer la Palestine des régimes nationalistes laïcs de la région.

Impasse.

Incontestablement, l’islamisme se voulait à l’origine internationaliste, aspirant à placer la communauté des croyants toute entière sous un même leadership. Mais son échec fut de ce point de vue assez vite patent. Les mouvements qui prônaient, dans les années 70 et 80, la réislamisation des sociétés musulmanes « par le haut » – la construction d’un Etat islamique – ont abouti à l’impasse. Leur projet s’est heurté ici (en Iran) à la mise en oeuvre concrète d’un programme de gouvernement, là (Syrie, Egypte, Algérie) à la répression et au verrouillage du champ politique. Ces mouvements sont donc rentrés dans le rang national, laissant de côté leur projet révolutionnaire pour un programme mêlant lutte contre la corruption, conservatisme et nationalisme.

Aujourd’hui comme hier, le Hamas et le Jihad palestiniens ne contestent pas l’OLP sur le plan religieux, mais sur la « trahison » des intérêts du peuple palestinien ; le Hezbollah libanais a toujours présenté son combat au Sud du pays comme une lutte de libération du territoire national ; le FIS se réclamait du « vrai » FLN… L’organisation des Frères musulmans a toujours été divisée en chapitres nationaux, à mille lieues du fantasme de « l’internationale islamiste ». Et quand, en septembre 1980, l’Irak envahit l’Iran, pas un seul militant islamiste arabe n’a pris le parti de la révolution islamique… Dix ans plus tard, lors de la seconde guerre du Golfe, les branches nationales des Frères musulmans prendront position au gré des intérêts de leurs pays respectifs : les Jordaniens condamnent l’appel aux troupes occidentales, quand les Koweitiens l’approuvent…

Sur ces bases, la rencontre idéologique peut aujourd’hui avoir lieu avec les laïcs. Seule la charia distingue encore les militants, mais voilà lurette qu’elle ne constitue plus un casus belli : toutes les dictatures laïques arabes ont, au cours des années 80, adopté des législations conservatrices en matière de moeurs pour faire pièce à la montée de la contestation islamiste. Et la nouvelle donne régionale, en revigorant la rhétorique nationaliste, favorise la convergence : le soutien aux Palestiniens, l’hostilité envers Israël et les Etats-Unis sont une commune bannière. Mais cette renaissance de l’idéologie nationaliste est très ambiguë, car elle se situe à l’intersection d’un sentiment d’appartenance locale –syrienne, irakienne, libanaise, égyptienne, et même saoudienne – et d’un sentiment d’identité supranationale panarabe. Souvent hérité de la colonisation, le cadre étatique est à la fois revendiqué par les populations de la région et inassumé. A bien des égards, la renaissance nationaliste se vit donc sur un mode schizophrénique. Et cela d’autant plus que l’Etat est ici comme ailleurs mis à mal par les logiques économiques, culturelles, humaines de la globalisation.

Dans ce contexte, l’identité a tendance à se réfugier dans un imaginaire culturel, où l’islam est très performant ; à condition de se greffer sur l’idéal panarabiste. La rencontre de l’une et l’autre utopie prend de plus en plus corps dans le jihadisme salafiste incarné par Al Qaida, autour du dénominateur commun anti-impérialiste. Tout se passe comme si le sentiment de solidarité arabe était récupéré par le panislamisme. Etrange trajectoire d’un nationalisme qui s’exprime désormais par le biais d’un mouvement internationaliste par essence.

Contre nature, cette coalescence des idéologies est rendue possible par la mue de l’identité panarabe en identité sunnite au cours des vingt dernières années. La révolution islamique d’Iran a obligé les populations à choisir entre leur identité musulmane et leur identité arabe. Elles ont clairement préféré la seconde mais lui ont redonné au passage un sens religieux sunnite. Or cette affirmation identitaire est d’autant plus conflictuelle que le néofondamentalisme sunnite prétend détenir le « bon islam » en excluant tout ce qui n’est pas strictement sunnite. Les tensions entre les confessions sont désormais avivées par l’intervention des Etats-Unis en Irak. L’anti-américanisme viscéral des populations arabes conjugue ici ses effets à la haine de l’Iran pour charger davantage encore l’identité sunnite d’un sens nationaliste. Dans cette région qui fait volontiers siennes les théories du complot, la plupart des militants – laïcs et salafistes réunis –, du Caire à Damas en passant par Qatar, sont convaincus de l’existence d’une alliance occulte entre les Etats-Unis et le chiisme. Et, de fait, les Etats-Unis transfèrent aujourd’hui le pouvoir aux chiites majoritaires en Irak. L’objection de l’observateur occidental rappelant que le Pentagone rêve de bombarder l’Iran n’a aucun poids. Le chiite est plus que jamais la figure du traître, du Persan, de l’Américain…

Contre nature, cette coalescence des idéologies est rendue possible par la mue de l’identité panarabe en identité sunnite au cours des vingt dernières années. La révolution islamique d’Iran a obligé les populations à choisir entre leur identité musulmane et leur identité arabe. Elles ont clairement préféré la seconde mais lui ont redonné au passage un sens religieux sunnite. Or cette affirmation identitaire est d’autant plus conflictuelle que le néofondamentalisme sunnite prétend détenir le « bon islam » en excluant tout ce qui n’est pas strictement sunnite. Les tensions entre les confessions sont désormais avivées par l’intervention des Etats-Unis en Irak. L’anti-américanisme viscéral des populations arabes conjugue ici ses effets à la haine de l’Iran pour charger davantage encore l’identité sunnite d’un sens nationaliste. Dans cette région qui fait volontiers siennes les théories du complot, la plupart des militants – laïcs et salafistes réunis –, du Caire à Damas en passant par Qatar, sont convaincus de l’existence d’une alliance occulte entre les Etats-Unis et le chiisme. Et, de fait, les Etats-Unis transfèrent aujourd’hui le pouvoir aux chiites majoritaires en Irak. L’objection de l’observateur occidental rappelant que le Pentagone rêve de bombarder l’Iran n’a aucun poids. Le chiite est plus que jamais la figure du traître, du Persan, de l’Américain…

Paru dans « Les Enjeux 2006 », Alternatives internationales, en partenariat avec le CERI, Hors-Série, 3, décembre 2006.