Dans le texte amplement développé par Monsieur Moncef Marzouki, je suis déçue de constater une nième répétition d’un diagnostic que tous ceux qui se sont penchés sur le lit du malade ont aisément formulé.
Il a néanmoins le mérite d’amorcer une tentative de solution, un peu utopique à mon humble avis : la lutte passive. Or, ce n’est malheureusement pas le mahatma Gandhi, grand prêtre de la non-violence, qui a mis fin à l’empire britannique en Inde, mais bel et bien la lutte armée, toutes idéologies confondues : les musulmans ont pactisé avec les hindous pour se débarrasser d’un ennemi commun, puis se sont entre-déchirés jusqu’à la partition du Pakistan et Bengladesh, avec toujours des conflits ouverts sur le Kashmir et le Bengal, (mais ce n’est pas mon propos d’en analyser les raisons de cet état actuel).
Vous pourriez avancer l’argument de la démocratisation de l’Europe de l’Est, mais ce serait un mauvais exemple : après l’éclatement de l’Union Soviétique, toutes ses républiques satellites se sont trouvées privées du soutien nécessaire à la continuation d’une politique fortement centralisée et sans partage. Il ne faisait d’ailleurs pas bon être un pro communiste dans ce climat de post chute du mur de Berlin. Et il soufflait un vent de contre-révolution parmi cette jeunesse qui a œuvré pour l’instauration de ces jeunes démocraties, soutenues en cela par le désir américain, le souci même, d’étouffer toutes velléités conservatrices. D’ailleurs ne reste plus que Lukachtchenko dans sa pauvre Biélorussie et on le qualifie de dernière dictature de l’ouest. L’Europe a aussi beaucoup fait pour faciliter le passage à la démocratie en y apportant son soutien et politique et économique. Reconnaissons que le monde arabe dans sa marche vers la démocratie n’aura pas à compter sur un tel soutien.
Comme vous l’écrivez, et c’est un constat sur lequel nous sommes tous d’accord, l’ « opposition » qui s’est organisée aussi bien en Tunisie que dans le reste du monde arabe aspire à devenir partenaire et non alternative. On veut sa part du gâteau. Or, un tel esprit n’augure rien de bon : ce sera Moussa el Haj, el Haj Moussa.
J’ai récemment eu le plaisir de converser avec un ami journaliste en Tunisie et la conclusion de nos débats était amère : les tunisiens sont opprimés, mais apparemment pas suffisamment pour qu’ils se révoltent. Le régime est en train de faire un dosage savant de répression et de récompense pour ses serviteurs. Or dans ce pays il y a beaucoup de serviteurs. Hélas, nous avons les gouvernants que nous méritons…
Mais alors me diriez-vous, que faire ? Accepter le statu quo en espérant qu’aux prochaines élections de 2009 les dés ne seront pas plus pipés qu’ils ne l’étaient auparavant ?
J’ai personnellement applaudi au dernier coup d’état en Thaïlande, qui s’est opéré en douceur sans qu’aucune cartouche n’ait été tirée parce qu’au dessus de l’armée qui a tombé le régime corrompu de Thaksin, il y avait la personnalité du Roi Bhumibol Adulyadej, aimé et vénéré par tous ses sujets, et auxquels les militaires ont juré de rendre le pouvoir à un gouvernement civil dès que le choix sur la personne du premier ministre se préciserait. La population de Bangkok avait afflué vers Sanam Chai, le quartier des bâtiments gouvernementaux et du palais royal en arborant la couleur jaune, celle de leur attachement à la monarchie et ont offert des fleurs aux soldats pour les remercier.
En l’absence de Roi qui serait garant de la stabilité et de la continuité de certaines valeurs, et dont la constitution limite les pouvoirs pour ne pas justement tomber dans l’excès inverse tel que le vivent nos frères et sœurs sous les monarchies des émirs et des rois totalitaires, parce qu’ils règnent sans partage, il est nécessaire pour l’opposition de s’unir sur un projet commun, qui mobilise par extension les volontés du citoyen tunisien : nous avons le devoir de nous unir pour le bien de notre pays et notre peuple. Et quel projet pourrait être plus rassembleur que celui d’une nouvelle constitution séculaire et sacralisée qui ne sera pas remise en question à chaque évènement de nouveau président pour s’arroger les pleins pouvoirs ? Vous me diriez nous avons une constitution qui n’est pas moins progressiste, pourquoi réinventer la roue ? Aucun droit n’existe réellement s’il n’est qu’encre sur papier, s’il n’est pas librement exercé sans porter à conséquence.
Le but de l’exercice est surtout d’ancrer par le débat démocratique les principes de respect des libertés fondamentales. Ce ne sera pas une partie de plaisir, parce qu’il obligera ceux qui prétendront à l’exercice de l’autorité et garantir la démocratie à prouver leur bonne foi ! s’ils ne sont pas capables de s’entendre et de coopérer avec des courants de pensées divergents, parfois contraires pour servir une noble cause et où il n’y a rien à gagner matériellement, pourquoi leur ferait-on confiance le jour où ils accèdent au pouvoir ? Ceux qui se déroberont, ceux qui refuseront de se commettre avec tel ou tel parti pour des rancunes et des rancœurs passées et toujours ressassées ne nous seront d’aucune utilité non plus. Ils saisiront l’occasion pour régler des comptes que personne ne leur demande et ne seraient là que pour servir leur propre cause. On a déjà donné sur ce chapitre.
Nous avons peu de temps pour présenter une alternative avant les prochaines élections. Pourquoi ne pas commencer immédiatement ? La réunion d’Aix-en-Provence n’a pas eu de suite et c’est regrettable. Il est temps de remettre l’ouvrage sur le métier. Car en réalité peu de vivre sous un régime islamiste, républicain, monarchique, socialiste ou libéral pourvu que mes droits et mes libertés soient garantis et respectés. Je crois en toute sincérité que je ne suis pas la seule à exprimer ce vœu.
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