Depuis quelques semaines, toutes les associations, organisations professionnelles et autres institutions que compte la société civile tunisienne ne cessent de proclamer leur adhésion totale et absolue au “projet civilisationnel du Changement du 7 Novembre”, et appellent ainsi à la continuité.

L’absence de la moindre critique, du moindre avis divergeant et d’une façon générale d’exception à la règle de l’adhésion, peut signifier deux choses : soit les tunisiens sont arrivés à un stade de maturité citoyenne et civile avancé qui leur permet aujourd’hui de se rassembler tous et sans exception derrière un même projet, indépendamment de leurs opinions et de leurs sensibilités différentes. Soit on vit dans un régime totalitaire qui ne peut tolérer aucun écart et aucun avis différent. Sachant que la richesse d’une société civile ne peut provenir que de la diversité de ses composantes, on est tenté de croire au deuxième scénario…

D’autant que la façon brutale dont l’état vient de boucler son dernier “chantier” pré-électoral, en délogeant manu militari le Syndicat National des Journalistes de son bureau, ne peut que confirmer cette hypothèse. La mobilisation en nombre des forces de l’ordre pour empêcher les membres du bureau syndical d’accéder à leurs locaux en dit long sur la nature des rapports que l’état entretient avec les institutions, les syndicats, ou toute organisation pour peu qu’elle soit indépendante, critique ou non allié. Parce que le dernier rapport sur l’état de la presse nationale émis par ce syndicat a été critique, et du fait qu’il ne se soit pas prononcé en faveur de la candidature du président sortant, la punition est tombée : le syndicat vient de subir un véritable coup d’état perpétré par des journalistes putschistes pro-gouvernement, et aidés par une justice partisane…

Oui, il n’y a pas le moindre espace permis à la liberté d’opinion et d’expression, et surtout pas pour les journalistes. La tolérance de l’état dans ce domaine est proche de zéro. Et en l’absence de tout autre moyen de discussion ou de négociation pacifiques, le recours à la force ( qu’elle soit judiciaire ou physique) est devenu quasi-systématique dans le traitement de ce genre de conflits d’indépendance. Tel est le projet civilisationnel qu’on appelle de toute part à reconduire : l’allégeance comme unique moyen de survie et de reconnaissance, le recours à la force à la place du débat et la gestion politico-policière de toute tentative d’émancipation provenant de la société civile.

Carpe Diem