Abdelaziz Rahabi. Ancien ambassadeur d’Algérie à Madrid

Abdelaziz Rahabi a fait une carrière diplomatique au cours des années 1990 où il a été ambassadeur d’Algérie au Mexique et en Amérique centrale entre 1991 et 1994 et ensuite à Madrid en Espagne entre 1994 et 1998. Il a, par la suite, été ministre de la Culture et de la Communication, porte-parole du gouvernement entre 1998 et 1999.

Dans cet entretien, M. Rahabi rétablit certaines vérités quant aux véritables raisons qui sont derrière les blocages de l’UMA, nous expose la perception de l’Algérie vis-à-vis de l’intégration maghrébine et nous explique la nécessité d’une vision pragmatique dans le choix de ses stratégies d’intégration à des ensembles économiques régionaux.

– On parle beaucoup ces derniers temps du coût du non- Maghreb. Quelle lecture donnez-vous à cela ?

Le coût pour qui, c’est ça à mon sens, est la véritable question. Cette campagne sur «le coût du non-Maghreb» est une pure opération de marketing diplomatique qui a l’apparence d’un sincère constat de situation mais qui vise en réalité d’autres objectifs. Le premier est de faire accroire que l’Algérie est responsable de cet état de fait en maintenant sa frontière ouest fermée et en ne cédant pas sur ses principes concernant la question sahraouie (soutien de l’Algérie à la lutte du peuple du Sahara Occidental, ndds), alors que c’était une décision marocaine d’imposer le visa aux Algériens. Le second est une conséquence directe de ce qui précède et vise à accréditer cette thèse au sein des opinions publiques maghrébine et auprès des dirigeants occidentaux notamment français espagnols et américains.

Pour les promoteurs de cette idée, cela a été en partie un succès, il faut le reconnaître. Ils ont été servis aussi par le silence officiel ou l’extrême lenteur de la réactivité des Algériens.
C’est pourtant l’Algérie qui paye le prix puisqu’elle fait preuve d’une grande générosité vis-à-vis de ses voisins en faisant passer ses gazoducs par le Maroc et la Tunisie. Je pense que les Algériens en matière d’intégration maghrébine ont une perception assez romantique de la question.

– L’on entend souvent dire que la question sahraouie est à l’origine du blocage de l’UMA. Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas si c’est culturel, mais dans notre région si on ne parle pas du passé on ne peut pas expliquer le présent ni envisager l’avenir. C’est dramatique. On parle des acquis de l’UMA alors qu’elle n‘en a qu’un seul : celui d’avoir existé justement à un moment où la question sahraouie était une question centrale dans les relations intermaghrébines. Les plus hauts dirigeants pensaient que la dynamique de l’UMA née en 1988 à Zéralda pouvait favoriser le règlement de la question sahraouie qui existait déjà depuis 1975. Le propre de toutes les dynamiques d’intégration régionale est de favoriser aussi le bon voisinage. Alors dire aujourd’hui que c’est le Polisario qui bloque le Maghreb relève de la contre vérité historique.

– Le Maroc n’a pas cessé de demander pourtant la réouverture des frontières avec l’Algérie comme un pas en faveur de l’intégration maghrébine…

Il le fait avec insistance mais de façon ambivalente. La première, indirecte en faisant porter aux Algériens par Christopher Ross un message d’apaisement et de bonne volonté sur la volonté du Maroc de normaliser les relations avec l’Algérie. La seconde en tenant le lendemain un discours inamical et même belliqueux en direction de l’Algérie par la voix du même du roi. On ne peut pas valablement attaquer les Algériens et leur demander d’ouvrir leur marché et de partager la rente touristique avec la Tunisie. Car c’est cela en réalité le véritable enjeu, le Maghreb est le dernier des soucis des dirigeants maghrébins.

– L’Algérie a-t-elle aujourd’hui intérêt à faire réussir l’intégration maghrébine ?

Normalement l’intégration maghrébine est un facteur de prospérité pour tout le monde. Si l’UMA ne vous apporte rien, vous n’avez qu’à chercher d’autres espaces de coopération technique, économique et financière. Le non-UMA ne doit pas constituer un frein à la prospérité de l’Algérie. Notre pays peut se développer aussi bien au Sahel qui est à mon sens une région aussi sensible que le Maghreb, mais que nous avons négligée et qui aujourd’hui est en train de devenir une zone de non-droit. L’Algérie a des atouts à faire valoir dans le commerce avec le monde arabe, avec le Moyen-Orient ,Khaleej par exemple. Elle a aussi pleins d’atouts à faire valoir avec les pays de la région sud-méditerranéenne. L’Algérie ne doit pas rester l’otage de ce discours sur l’UMA, alors que ses propres voisins sont en train de chercher des intégrations avec l’Europe. Je pense que l’Algérie est aussi l’otage de sa propre culture politique. Sa classe politique développe un discours sur le Maghreb tout à fait archaïque, alors que les élites en Tunisie ou au Maroc sont un peu plus pragmatiques, un peu plus ouvertes sur le monde. La preuve, ces pays ont eu de l’avance sur nous dans les domaines des nouvelles technologies de la communication, en matière de maîtrise du commerce international, du coup ils sont plus intégrés au commerce mondial que nous. Ils n’ont pas attendu l’UMA, ils sont en train de s’intégrer à la mondialisation réelle, d’attirer les investissements directs étrangers. En revanche, nous, nous sommes ent rain d’attendre l’UMA.

– Mais l’Algérie aussi a signé un Accord d’association avec l’Union européenne et s’est intégrée dans la Zone arabe de libre-échange, cela ne prouve-t-il pas que l’Algérie aussi cherche des alternatives à l’UMA ?

Bien sûr et heureusement d’ailleurs que l’Algérie a signé cet Accord d’association avec l’Union européenne. Mais il faut dire qu’il a été signé dans des conditions assez difficiles puisque le pays était isolé sur le plan diplomatique, donc nous avons dû faire quelques concessions et nous l’avons fait sans consulter suffisamment le patronat. Nous en payons le prix maintenant, mais globalement sur le plan stratégique, ça a été un acquis pour l’Algérie. Mais il ne faut pas se contenter de l’Union européenne, nous devons regarder un peu plus vers le Brésil, l’Afrique subsaharienne et l’Asie.

L’Algérie n’est pas une zone exclusive. Elle ne doit pas subir un déterminisme géographique et consacrer uniquement son commerce à l’Europe ou au Maghreb. Nous devons plus nous développer en cherchant des marchés en Asie et en Amérique. Tout le monde a remarqué que nous recevons beaucoup de produits asiatiques. Il faut que nous sortions de cette construction du développement en regardant uniquement vers l’Europe. Il n’y a pas que l’Europe. Quand vous avez des moyens de payement, vous pouvez aussi bien chercher la technologie que les produits en Asie ou ailleurs.

– La question de l’intégration maghrébine peut-elle se faire sans le règlement des questions politiques ?

Bien sûr. Le commerce se fait toujours de toute manière, il se fait de manière informelle, mais il faut encore se demander qu’est ce qu’il y a lieu d’échanger. Les trois pays ont presque la même structure économique.

Ils cherchent tous des investissements étrangers, le transfert technologique. Je pense que le développement se fait à travers un principe qui est celui de la locomotive qui tire le wagon et non l’inverse. S’il y a quelque chose à faire avec les Maghrébins, il faut le faire, mais je le redis, quand vous avez des moyens des payement, il faut aller chercher la technologie ailleurs.

Safia Berkouk
El Watan