Par Salah Ben Omrane

Je me permets de citer les miens, venant du théâtre : Ariane Mnouchkine disait à ses comédiens pendant qu’ils répétaient tout en mesurant le long chemin à parcourir pour affiner leur spectacle alors que la date de la première était proche, elle leur disait : « Quand on est pressé, l’urgence est justement de prendre son temps ! »

Certes, le temps presse pour trouver une sortie à la fois rassurante et honorable pour tous, équitable et juste à la parole du peuple Tunisien, malheureusement tout n’est pas écrit dans la constitution . Plus grave encore, la constitution, dans présentation, ne garantit pas une réponse appropriée devant le soulèvement populaire . Il me semble qu’en effet, en ce moment, à Tunis, la Constitution Tunisienne fait l’objet de toutes les attentions, car c’est vers elle que les regards se sont tournés pour comprendre ce qui vient de se passer et voir ce qu’elle contient afin de trouver matière à ce que tout le monde puisse se projeter dans le futur . Mes quelques mots sont juste un rappel que tout n’est pas inscrit dans la Constitution actuelle, et pour preuve, elle n’avait pas prévu l’expression populaire sous la forme que la Tunisie vît en ce moment .

Il y a ce que j’appellerais : « du pragmatisme dans l’air » en ce qui concerne les récents recours à la constitution . On voudrait faire dire à la constitution ce qu’elle ne dit pas et faire taire ce qui semble inapproprié à la circonstance. Tout le monde semble être d’accord qu’il faut un président par intérim après tout et malgré tout, avec ou sans la constitution .

Mes remarques sont les suivantes : En effet, si l’article 56 de la Constitution permet au président de la République en l’occurrence la remise de la fonction n°1 de l’Etat à son premier ministre, il eut fallu, afin que cet article soit respecté, que cette passation du pouvoir par délégation se fasse par décret et que le président informe à cette occasion le président de la Chambre des Conseillers. Y a-t-il eu un décret présidentiel à cette occasion ? Le président de la Chambre des Conseillers a-t-il été informé ? . D’ordre pratique, ces questions ne se posent plus puisque l’ancien premier ministre n’a pas réclamé que sa mission soit prorogée sur le fondement de cet article. Les réponses à ces interrogations seront l’affaire des historiens, puisque le premier ministre, lui-même, n’a pas tenu à faire appliquer la Constitution sur le fondement de cet article . Il faut se dire que la voix de la sagesse, à plus forte raison celle de la rue, a été plus forte pour passer à l’article suivant .

Dès le lendemain du 14 janvier, c’est l’article 57 qui semble être plébiscité par les acteurs principaux au sommet de l’Etat et non du gouvernement, tout en associant à leur tâche quelques personnes de la société civile supposés par intuition qu’elles ont un rôle à jouer à cet instant crucial .

L’Article 57, s’il clarifie certaines choses, en même temps, il en assombrit d’autres .

Il est dit dans cet article : « En cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement absolu, le Conseil constitutionnel se réunit immédiatement et constate la vacance définitive à la majorité absolue de ses membres. » .

J’en profite pour répondre à Maître Maalej qui a écrit : « Les membres du Conseil constitutionnel ont manqué ainsi aux devoirs de leur charge et leur déclaration du lendemain, samedi 15 janvier 2011 apparait comme tardive, pour être hors délai, entrainant par là même sa nullité absolue . » Je dirais :Tout est dans les sens qu’on pourrait attribuer à la formulation « Immédiatement » Ce sont des sages, qui par définition, jouissent de la considération propre à leur âge, à rappeler qu’ils ne sont pas de toute jeunesse . A rappeler également, qu’il y a des snipers sur les toits et qu’ils sont des Constitutionnalistes et pas des Rambo qui peuvent slalomer entre les tirs pour se rendre au Conseil . Certes, facteurs et circonstances leur permettent de relativiser la notion du temps derrière l’expression : « Immédiatement » . Ceci dit, aucun nombre d’heures ni de jours n’ont été précisés dans la même constitution . Peut on véritablement leur en vouloir s’ils prennent leur temps et leur en tenir rigueur pour ne pas avoir constaté la vacance du pouvoir dans un temps non défini .

Par ailleurs, la Haute fonction de président de la République revient pendant la période transitoire au président de la Chambre des Conseillers. Celui-ci désigne un premier ministre chef de gouvernement, le temps que le peuple élit un nouveau président de la République .

C’est là que ceux qui sont à l’origine du mouvement de la destitution du président de République Ben Ali, à savoir l’ensemble des acteurs de la révolution, se rendent compte qu’il y a une victime de l’ancien régime non comptabilisée qu’est la Constitution . Que cette constitution qui devait préserver le peuple de tout excès de pouvoir en permettant sa transition en souplesse, elle a été malmenée pour verrouiller le seul accès à la fonction de présidence de la République à la personne qui occupe déjà la fonction ou celui qui aurait désigné par le noyau autour du même président . En quelque sorte c’est ce qui justifie la crainte de la population tunisienne devant la dernière promesse de Ben Ali, lorsqu’il a affirmé qu’il comptait quitter le pouvoir en 2004.

Tout le monde a compris qu’il était hors de question de lui accorder le temps « utile » pour préparer son successeur qu’il aurait choisi .

Or la Constitution Tunisienne telle qu’elle est actuellement, est elle fiable pour permettre véritablement à chaque Tunisien de choisir son candidat favori à la présidence de la République, sans que son candidat ne soit handicapé par la Constitution ?

La réponse est oui !

Les exigences de loi en matière de candidature à ce poste au sommet de l’Etat sont draconiennes .

N’est pas président qui veut et même s’il se targue d’avoir plus que la majorité des électeurs qui le soutiennent . Car si ce candidat n’a pas déjà le soutien de plus de trente députés ou Conseillers municipaux, tel que la loi l’exige, sa candidature ne sera pas validée.

Que dit la Constitution de la République Tunisienne, promulguée le 1er juin 1959 ?

Dans son article 40, il est dit ceci : « Peut se porter candidat à la Présidence de la République tout Tunisien, jouissant exclusivement de la nationalité tunisienne, de religion musulmane, de père, de mère, de grands-pères paternel et maternel tunisiens, demeurés tous de nationalité tunisienne sans discontinuité. En outre, le candidat doit être, le jour de dépôt de sa candidature, âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus et jouir de tous ses droits civils et politiques.

» Cependant, il est rajouté ceci : « Le candidat est présenté par un nombre de membres de la Chambre des députés et de présidents de municipalités, conformément aux modalités et conditions fixées par la loi électorale…. » Que dit La loi dans les dispositions à l’élection du Président de la République d’après le Code électoral ?

Pour se porter candidat au titre de Président de la République, l’ Art. 66 fait obligation que toute candidature doit être soutenue par au moins 30 membres de la chambre des députés (214) ou présidents des conseils municipaux (264) et que chacun des ces députés ou présidents de Conseils ne peut apporter sa caution par écrit que pour un seul candidat . Il est à rappeler que 161 (+ 80%) députés portent la couleur du parti du Président déchu Ben Ali et que certains des présidents de Conseils ont été nommés par lui .

Ceci est pour dire que sans modification de la Constitution, peu importe si celle-ci doit se faire dans l’urgence, il y a peu de chance que des candidats à la présidence de la République puissent voir le jour, alors que les tunisiens auraient souhaité les voir représentés, faire leurs campagnes électorales publiquement sans souffrir de la moindre dépendance et du bon vouloir des représentants de l’ancien parti de Ben Ali.

Que réclament les Tunisiens ? Un changement radical du sens du pouvoir chez celui qui a la mission et la responsabilité de diriger le pays . Si les foules dans les rues ont scandé la démission de Ben Ali, chef suprême à la tête du pays, ce n’est que parce qu’il a failli dans son exercice du pouvoir . La foule lui a répondu « Trop tard !» lorsqu’enfin lui-même avait fini par réaliser qu’il venait d’échouer en se justifiant par le : « On m’a trompé !».

Les Tunisiens ont fait passer le message, pas seulement à toute personne qui voudrait occuper la fonction de président de la République, mais encore à toute autre personne qui accepterait une fonction politique de représentation en tant qu’élu, de ne pas user du mensonge ou du mépris . C’est un avertissement clair et précis à celui qui serait tenté de rompre les liens avec la base qui l’a chargé d’une mission de service public. Un rappel éloquent que la politique demeure une fonction et non un métier.