Tap


 

Si la censure persiste encore sur internet (I), au niveau de la chaîne nationale, c’est encore plus grave, puisque manipulations et violations de la déontologie sont des pratiques ayant encore cours (II)

I.— La perpétuation de la censure sur Internet

S’agissant de l’internet d’abord, m’aurait-on dit qu’après la chute de Ben Ali, l’incarnation du visage de « Ammar 404 » (la censure de l’internet en Tunisie) deviendrait celle de Slim Amamou et de l’Atugien Sami Zaoui Secrétaire d’Etat chargé des TIC, j’aurai sûrement répondu par un sourire ironique.

Pourtant, c’est ce qui semble être devenu le cas lorsque je découvre la dépêche de la TAP qui rapporte : « L’accès à tous les sites web en Tunisie est libre, à l’exception des sites au contenu portant atteinte aux bonnes mœurs, comportant des éléments violents ou incitant à la haine, a annoncé le secrétariat d’Etat des technologies de la communication, dans un communiqué rendu public vendredi. Une adresse mail contact@web-liberte.tn est mise à la disposition des citoyens et des composantes de la société civile pour toute réclamation en relation avec la liberté d’expression sur Internet. (TAP – TUNIS, 22 jan 2011) »

 

Tap


 

Ce qu’il y a de fâcheux dans ce communiqué, c’est l’absence de toute référence à la justice pour suspendre un site internet. Le seul progrès par rapport au passé, c’est la possibilité de contacter quelqu’un (allez savoir qui ?) via une obscure adresse mail “contact@web-liberte.tn”.

Pour le reste, on constate la perpétuation d’une police discrétionnaire et non moins arbitraire qui semble s’arroger ce qui doit relever de la seule compétence des tribunaux.

Etait-ce un communiqué isolé et maladroit ?

En tout cas, je constate en navigant que ce n’est pas aussi isolé que cela puisque sur certaines pages, la censure est encore de mise et toujours selon les formes propres aux dictatures. Voici ce qui désormais apparaît sur les pages bloquées en Tunisie :

 

Censure-Tunisie-PostBenAli


 

On relève que sur la forme, hormis l’ancien mensonge de l’erreur 404, nous avons à présent « quelqu’un, quelque part » qui revendique cette censure. Pour le reste, les caractéristiques de la police de l’internet demeurent identiques à celle de Ben Ali. Des individus, derrière des écrans, décident discrétionnairement ce qui est accessible ou pas aux Tunisiens. Aucune décision de justice n’est mentionnée et aucune référence à un texte légal non plus (et bon courage à celui qui en sortira une de sa manche !).

Face aux sévères critiques que j’ai formulées sur twitter, le Secrétaire d’Etat au TIC Sami Zaoui abonde pourtant dans le sens de la seule compétence des tribunaux :

 

Tweet Sami Zaoui


 

Néanmoins, comme déjà relevé, cela demeure au niveau d’un discours contredisant ce que l’on observe en navigant sur internet. D’autre part, ce n’était pas exactement ce qu’indiquait le communiqué publié par la TAP.

Plus stupéfiant, ce sont les tweets de @slim404 nouveau secrétaire d’Etat à la jeunesse en réponse à mon grand étonnement devant le maintien de la censure :

 

Tweets - Slim Amamou


 

Ainsi, plutôt que de lever la censure totalement, on garde une liste des sites bloqués et quelqu’un se charge selon ses humeurs, sa morale, ses convictions de lever ou pas la censure (« décensurer»)

Slim Amamou comme Sami Zaoui reprennent à leur compte cette aberration de la censure discrétionnaire ; celle qui excipe de la pornographie, la pédophilie et le terrorisme pour justifier le pouvoir exorbitant et non moins tyrannique d’un tuteur protégeant les citoyens contre les vilains terroristes et pornographes.

Pourtant, on aura beau se contorsionner, l’argument de la pornographie est intenable. Du reste, l’affirmation selon laquelle « les Tunisiens ne veulent pas des sites pornos » — et à supposer qu’elle soit fidèle— ne signifie nullement que les Tunisiens acceptent de déléguer le filtrage de l’internet à une administration sous prétexte de les protéger des sites qu’ils ne souhaitent pas voir. D’autre part, pour ceux qui cherchent à accéder à l’information, il est tout aussi inadmissible qu’un bureaucrate censeur décide ce que le spécialiste en obstétrique, en MST ou le chercheur en sociologie des mœurs aient le droit de lire ou pas.

Qu’il y ait de « vieux croûtons » dans le gouvernement de transition qui soient prêts à sacrifier la liberté de l’internet sous le prétexte de préserver la société des dangers qui heurtent la morale, cela ne m’étonnerait guère. Qu’ils soient sincères dans leur vision du monde et de la morale, je peux le penser également. Mais, le problème c’est que ces derniers vivent encore dans le siècle dernier. Et je ne suis pas certain qu’ils soient en mesure de réaliser que la seule et UNIQUE garantie effective — et je mesure mes mots — contre tout glissement ultérieur vers un extrémisme de gauche, de droite ou religieux, c’est la liberté totale des médias, à commencer par celle d’accéder à l’internet.

Je l’ai déjà écrit, je fais partie de ceux qui sont terrorisés à l’idée de laisser un enfant seul devant un ordinateur connecté à internet. Mais je suis encore plus terrorisé à l’idée de transmettre une dictature à mes enfants. Les vieux croûtons qui sont prêts à sacrifier nos libertés pour satisfaire leur vision de la morale ne seront plus là dans une dizaine d’années. En revanche, mes enfants seront encore là et moi avec. Ne pas réaliser l’importance capitale d’un internet non soumis à la censure dans les années à venir pour préserver la démocratie des rédempteurs religieux, c’est jouer avec le feu qui brûlera les ailes de la nouvelle démocratie tunisienne.

Enfin, signalons la pétition d’un groupe d’internautes tunisiens très mécontent du maintien de la censure et qui demande l’arrêt total de toute forme de censure. Cette pétition demande également de laisser la responsabilité au citoyen de filtrer lui-même ce qui est susceptible de lui porter préjudice.

II.— Les atteintes à la déontologie sur la télévision nationale

Le 23 janvier 2011 survient un cataclysme dans l’audio visuel tunisien. Une parmi les trois chaînes à couverture nationale -Hannibal TV- est suspendue sans aucune forme de procès. Un écran noir remplace ses émissions. Cette suspension va durer jusqu’à 20h10.

Comment cela a eu lieu, qui l’a ordonnée et selon quelle procédure ? Nous ne le savons toujours pas.

Face à ce grave dérapage, le ministre du gouvernement de transition, A. Chebbi, prend en charge devant les médias le désamorçage de cette grave bévue. Il formule des excuses publiques et déclare que son gouvernement n’y est pour rien. Quant à savoir qui est derrière cette suspension, il s’est refusé à donner une quelconque information.

Ce qui est particulièrement inquiétant depuis la chute de Ben Ali, c’est cette opacité que l’on relève tous les jours concernant un certain nombre de décisions importantes. Et à ce propos également, tous les jours des informations affluent sur des arrestations de présumés collaborateurs avec l’appareil répressif de ben Ali, sans la moindre précision de « qui fait quoi ». Aucun porte-parole du ministère de la Justice ou du ministère de la Défense ne donne de détails sur les procédures suivies. Le pouvoir judiciaire, en terme de communication tout au moins, demeure le grand absent.

Quant à télévision nationale, elle ne parvient toujours pas à se défaire de l’une de ses plus dégradantes habitudes. La manipulation et la désinformation sous le couvert de la «source autorisée».

Une chaîne à couverture nationale est suspendue et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la présentatrice du journal télévisé de 20h de la chaîne publique l’annonce comme s’il s’est agi de la météo.

 



 

Et tout aussi invraisemblable, la présentatrice indique le plus naturellement au monde qu’elle tient ses informations d’une «source autorisée» (“masdar mâadhoun“). Un dictateur s’est fait virer et près d’une centaine de Tunisiens sont tombés, entre autres pour bannir ces «sources autorisées», mais la présentatrice n’est toujours pas au courant !

 

Censure Tunisie PostBenAli TVN 23-1-20011


 

Plus impardonnable, la présentatrice lit le communiqué de cette « source autorisée» qui accuse le patron de la chaîne et son fils de crime de haute trahison, et ce, en faisant fi des règles déontologiques les plus élémentaires. Le rédacteur en chef du nouveau cru de la chaîne nationale ne sait toujours pas ce que signifie la présomption d’innocence. Du reste, la détention de l’Arbi Nasra et de son fils ne durera que quelques heures. Ils sont actuellement libres.

Astrubal, le mardi 25 janvier 2011
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