Portraits of former Tunisian president Ben Ali (R) and former Tunisian president Habib Bourguiba (C up) seen in the Prime Ministry in Tunis, Tunisia, 17 January 2011. Tunisia's reappointed Prime Minister Mohamed Ghannouchi unveiled an interim power-sharing government, in which several members of former president Zine el-Abidine ben Ali's regime retained their posts but the opposition also took control of key dossiers. EPA

Le peuple a réussi à faire chuter Ben Ali. Mais la révolte gronde encore.

Depuis une semaine, les manifestations se poursuivent à travers tout le pays. Leurs revendications ?

Le départ de Ghannouchi, et de tout le gouvernement de coalition qu’il vient de former en attendant des élections libres qui devraient se dérouler dans quelques mois.

Alors que certains lui accordent leur confiance et attendent de lui de remettre le pays sur pied, les autres le considèrent comme les autres caciques du régime qui détiennent les ministères régaliens, des restes de l’ancienne dictature. Si on les laissait faire, ils ne tarderaient pas à s’approprier la révolution, en faisant main basse sur tous les rouages de la société tunisienne.

Sur le terrain se joue aujourd’hui un face à face bobos contre prolos : deux révolutions, deux forces en présence.

D’une part, la petite bourgeoisie citadine. Ce sont ces jeunes et ces moins jeunes qui se sont très vite rangés du côté des insurgés. Excédés par la censure, le manque de liberté et la répression, écœurés par la gloutonnerie matérielle des clans Ben Ali -Trabelsi, ils ont toute de suite saisi l’occasion d’exprimer leur soif d’indépendance et leur haine du régime. Ils ne sont pas toujours descendus dans la rue mais à travers leur manipulation de l’outil internet, particulièrement via les réseaux sociaux, ils ont parfaitement joué le rôle de média citoyens, relayant l’information, postant des vidéos en live de la situation sur le terrain. C’est souvent grâce à eux que les grandes chaînes d’informations comme Al Jazeerah, France 24 ou Al Arabya ont parachevé leur couverture des évènements de ce début du mois de janvier. En gonflant les rangs de la grande manifestation du 14 janvier, ils ont fourni la contribution nécessaire pour gagner la dernière manche, le coup fatal qu’il restait à apporter à la présidence de Ben Ali. Leur mission achevée, ils ont regagné leurs garnisons pour essayer de reprendre une vie plus ou moins paisible, laissant à la nouvelle équipe le soin de remettre les choses sur les rails.

Même si certains opposants siègent aujourd’hui au gouvernement, on ne leur connait pas de chef de file mais il est clair que cette tranche de la population sert de base au Premier ministre et à son équipe. Nul ne peut encore donner la mesure de sa solidité.

De l’autre côté, la population de l’intérieur du pays. Laissée pour compte depuis l’ère bourguibienne, c’est de chez elle qu’est partie l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. C’est cette population qui, bien que désarmée, est descendue dans la rue. C’est encore elle, acceptant de recevoir des balles réelles en pleine poitrine et à la tête, qui a fait face à la sanguinaire machine policière. Comme les jeunes citadins, les jeunes et les moins jeunes de l’intérieur étaient également excédés et écœurés, mais pour des raisons différentes. Si démocratie et liberté se retrouvent dans la nomenclature de leurs revendications, ils y ajoutent la précarité et le chômage. Aussi bien instruits et formés que leurs concitoyens citadins, ils se retrouvent obligés d’accepter des sous-emplois pour pouvoir trouver de quoi diner.

Ayant plus connu la répression brutale et souvent mortifère du gouvernement pour s’être parfois soulevée et avoir crié son désespoir, cette population n’accorde aucun crédit à tous ceux qui lui rappellent de près ou de loin les sombres années du régime de Ben Ali. Elle veut, exige et ordonne le départ séance tenante de Ghannouchi et de toute son équipe. Elle n’a pas oublié les promesses non tenues du 7 novembre 1987 et plus récentes encore, celles de Rdayef, le bassin minier de Gafsa.

Détachées du confort matériel que de toute façon elle ne possède pas, elle est prête à aller jusqu’au bout pour défendre ce qu’elle appelle « sa révolution ».

Armée de convictions très ancrées dans l’esprit de toutes ses composantes, soutenue par un syndicat très fort, elle a installée ses quartiers devant le Premier ministère en attendant d’en déloger ses locataires. Combien de temps ces derniers tiendront-ils ?

Deux camps, deux points de vue, deux revendications. Pluralités d’idées ou fissures dans la solidarité ?

La révolution du 14 janvier n’a pas encore dit son dernier mot. Il est certain qu’aujourd’hui la Tunisie va au devant de nouveaux évènements dont l’impact sera encore plus profond que le départ de Ben Ali ?

Il semble que comme dit si bien WINSTON CHURCHILL « This is not the end. It is not even the beginning of the end. But it is, perhaps, the end of the beginning”- Ceci n’est pas la fin. Ce n’est même pas le début de la fin. Mais c’est peut-être la fin du début.