Uncategorized

Beaucoup, parmi ses enfants, s’inquiètent pour la Tunisie après plusieurs semaines de révoltes et de manifestations.

Au lendemain du 14 janvier 2011, les prévisions et affirmations catastrophistes se suivent et ne se ressemblent pas : « Moody’s vient de baisser la note du pays » ; « les opérateurs de tourisme ont suspendu les vols » ; « la croissance tunisienne va perdre 2 ou 3 points cette année » ; « les événements ont couté 3 milliards de dinars » ; « les islamistes vont s’organiser dans le pays pour prendre le pouvoir » etc.…

Cette longue litanie de mauvaises nouvelles, maintes fois rabâchée et souvent égrenée sur un ton à la fois scandalisé et atterré, ne parvenait pas à briser mon euphorie, ma joie de voir mon pays libéré du joug tyrannique de la dictature.

Mais ce qui m’a vraiment horrifié et a fait disparaître ma joie, ce sont les événements qui ont eut lieu autour de la Kasbah les 27 et 28 janvier… Ces événements m’ont fait prendre conscience que la Révolution est loin d’être finie : nous sommes en guerre pour notre liberté. Et nos « ennemis » dans cette guerre sont les fidèles à l’ancien régime qui ont beaucoup à perdre dans cette révolution.

L’ennemi a tenté d’appliquer une des plus vieilles ruses de l’histoire humaine pour tirer son épingle du jeu et tenter de renverser la situation : Diviser pour mieux régner !

Ils ont tenté de briser l’unité du Peuple tunisien, opposer Nord et Sud, créer la division entre les citoyens et les faire s’opposer pour masquer la mascarade que représentait le 1er gouvernement de transition (dominé par des hommes du RCD proches de ZABA).

Leur première tentative pour nous opposer les uns aux autres a été de jouer sur les régionalismes et sur le mépris/dédain/ignorance qu’on parfois les citadins envers les « campagnards ». Ils ont voulu ridiculiser la Caravane de la Liberté (pour les profanes, il s’agit du nom donné aux manifestants regroupés sur l’esplanade de la Kasbah, venus à pied de toutes les régions de la République, et particulièrement du centre de la Tunisie [Sidi Bouzid, Gasserine, Thala etc…]).

Ils ont échoué une première fois !

Ils ont échoué car les « tunisois » n’ont pas cru à la propagande répandue par les miliciens du RCD. Une propagande honteuse qui a qualifié nos compatriotes « d’hordes de barbares sales qui viennent se saouler et fumer du cannabis sous nos fenêtres », « d’animaux ivres qui forniquent contre le mur de nos mosquées ». La police elle même a contribué à colporter ces mensonges éhontés (et je m’appuie pour étayer ces affirmations sur l’Ordre National des Avocats de Tunisie et la centaine de mes confrères qui ont été ainsi dissuadé par les forces de sécurité de rejoindre les membres de la Caravane de la liberté).

Ces policiers ont-ils agi sur ordre d’une hiérarchie fidèle au 1er ministre Ghannouchi ? J’en doute.

Mais la collusion entre la police et le groupement que j’appelle « les miliciens du RCD » (à défaut de lui trouver un meilleur nom) est flagrante et inquiétante!!

Dieu merci, les tunisiens ont su faire preuve d’une force de caractère inouïe pour faire face à cette situation. Après un premier mouvement de panique, la population de la capitale s’est organisée et a tentée d’apporter soutien, ravitaillement, et encouragements à ces manifestants de la liberté. Leur tâche n’a pas été facilitée par les forces de l’ordre (armée y compris) qui ont filtré les déplacements et confisqué une quantité non négligeable de l’aide destinée aux manifestants.

Dormant à la belle étoile (en plein hiver !!) et réclamant avec constance le départ des ministres proches de ZABA (y compris Mohamed Ghannouchi), ces manifestants d’un genre particulier ont éveillé la curiosité des habitants de Tunis.

Beaucoup de « tunisois », qui aspiraient à reprendre le cours de leurs vies et réclamaient la veille encore la fin de la « Dégage Attitude », ont été intrigué par ces manifestants têtus et bornés qui ont marché plusieurs centaines de kilomètres et qui ont bravé plusieurs nuits d’affilés le couvre-feu pour réclamer la tête des RCDistes.

Certains de ces « tunisois » ont franchi le pas et ont été à la Kasbah pour voir par eux-mêmes cette fameuse Caravane… Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils ont pris contact avec les tunisiens de la caravane de la liberté : ils se sont aperçus qu’il s’agissait de gens dignes, éduqués, respectables… rien à voir avec les animaux décris par les rumeurs… Et ce sont ces « tunisois » (dont parmi eux multitude de médecins et d’avocats) qui ont permis grâce à leurs témoignages de rétablir la vérité sur cette Caravane de la liberté.

Sous la pression de ces manifestants et de l’UGTT, le gouvernement de transition à été purgé des RCDistes et Benalistes.

Seulement voilà, Mohamed Ghannouchi a été maintenu. Et pour la plupart des manifestants de la Kasbah, Ghannouchi est comme les autres RCDistes (11 ans comme 1er ministre !). Même s’ils étaient globalement divisés sur la question, une majorité des manifestants penchaient pour continuer le mouvement jusqu’au départ de Ghannouchi… Ils pouvaient et voulaient faire durer le bras de fer pacifique.

Je différai sur ce point avec leur analyse politique de la situation : depuis le remaniement du gouvernement de transition du 27 janvier 2011, je n’étais plus en phase avec leur volonté de dégager M. Ghannouchi.

Mohamed Ghannouchi est à mes yeux un mal nécessaire.

Je n’ai que peu de sympathie pour l’homme lui-même, et j’espère qu’il peut se regarder tous les jours dans une glace sans rougir de honte devant son passé de vil serviteur décérébré de dictateur.

Mais Mohamed Ghannouchi a pour lui une qualité importante pour notre pays au vu des circonstances : c’est un technocrate doué (Je ne me prononcerai pas sur son éventuelle intégrité ou honnêteté dont nombreux de ses partisans nous rabâchent les oreilles, j’attendrai pour cela les résultats d’une Commission d’enquête nationale indépendante…).

Alors soit, Mohamed Ghannouchi a été le suppôt du « Satan » Ben Ali pendant les 11 dernières années et beaucoup ne veulent pas le lui pardonner. Mais la Tunisie a besoin aujourd’hui d’un technocrate zélé qui puisse mener à bien la période de transition.

C’est pourquoi je pensais proposer à mes compatriotes une solution intermédiaire : Nous, Peuple tunisien, donnons à Ghannouchi une chance de racheter sa conduite des années précédentes. Il va subir une sorte de purgatoire, une mise en liberté très surveillée. 10 millions de tunisiens vont scruter le moindre de ses faits et gestes. Et il devra payer de sa vie la moindre trahison à cette confiance.

C’est à ce moment là de mes réflexions que la répression contre la Caravane de la liberté est intervenue.

J’ai pensé à cet instant (comme beaucoup de mes compatriotes) : « C’est dommage de renier à ces gens le droit de manifester pacifiquement leur désaccord! J’étais d’accord avec leurs revendications pour dégager les ministres RCD trop proches du président déchu. Mais les traiter comme ça et les pourchasser à travers la ville alors qu’ils ne font qu’exercer leur droit de manifester (ils n’ont empêché personne d’aller travailler), c’est honteux!! ».

Mais les témoignages de médecins et d’avocats sur la violence de l’intervention des forces de l’ordre qui a dispersé manu militari cette foule pacifique sont tout simplement surréalistes !!!

Violences gratuites, tentatives de poursuite jusque dans les couloirs de l’hôpital Aziz Othmana, dégradation des biens publics pour faire croire à un saccage par les manifestants, agression contre la maison des avocats (Dhar el mouhami) où mes confrères ont tenté de protéger certains manifestants, disposition de fausses preuves (notamment des stupéfiants, cf. le témoignage du Docteur Sami Ben Sassi) dans les effets personnels abandonnés par les manifestants sur place etc.… La liste est longue et horrifiante. Pire, on y apprend une complicité passive d’éléments de l’armée sur place qui ont laissé les manifestants se faire tabasser.

Et la seule question logique qui vient à l’esprit est : QUI ??? Qui a osé faire ça??

Qui a donné cet ordre ? Qui se cache derrière ces agissements que la Tunisie pensait disparus avec le départ de ZABA ?

Ma première réaction a été de rejeter la faute sur le gouvernement de transition.

« Le gouvernement de transition et les forces de sécurité », me suis-je dis, « doivent se rappeler qu’ils sont là pour servir et protéger le peuple… Si c’est Ghannouchi qui a donné l’ordre, alors il s’est comporté comme ZABA aurait pu le faire dans les mêmes circonstances… ».

Puis une autre hypothèse m’est très vite apparue… Une hypothèse qui s’est renforcée d’heure en heure avec l’afflux de témoignages et de confidences : la véritable cible « finale » de ces événements, c’est le gouvernement de transition nationale lui-même.

Au lendemain d’une mise à l’écart des caciques du RCD du gouvernement, l’intervention inhumaine d’une unité spéciale de la police (la tristement célèbre BOP, Brigade de l’Ordre Public, qui a fait 4 morts et plusieurs centaines de blessés à la Kasbah) contre des manifestants que tout le monde savait pacifiques a choqué l’opinion publique. Tout le monde s’est demandé à quoi jouait le Ministre de l’intérieur à jeter ainsi de l’huile sur le feu. Une partie de l’opinion publique acquise au gouvernement de transition a été interloquée et a commencée à se poser des questions sur les agissements dudit gouvernement.

C’est encore une tentative de manipulation !

Après l’échec de la première tentative de manipulation qui a voulu faire passer ces manifestants pour des sauvages, les milices du RCD ont tiré profit de l’éviction des ministres RCDistes lors du remaniement : maintenant que le gouvernement de transition nationale est épuré des proches de ZABA (hormis Ghannouchi), toutes les actions officielles des appareils de l’Etat seront imputées à la nouvelle équipe gouvernementale !

Or selon tous les témoins et sources civiles présents sur la place du Gouvernement à la Kasbah, l’encerclement de la place par le BOP datait du 26 janvier (un jour avant le remaniement), alors qu’Ahmed Friaa était encore ministre de l’intérieur ! L’opération semblait donc planifiée avant le remaniement…

Ai-je besoin ici de rappeler la puissance et l’omniprésence du RCD au sein des administrations étatiques, et particulièrement au ministère de l’intérieur ?

Quelqu’un doute-t-il de l’existence d’un appareil d’Etat RCDiste fidèle à ZABA au sein de l’administration tunisienne ?

Cela semble-t-il si peu vraisemblable que le nouveau ministre de l’intérieur (nommé la veille) ne contrôle pas l’ensemble des effectifs de son ministère qui ont servis avec autant de zèle ZABA ?

Se pose alors la question du POURQUOI ?

Pourquoi ces milices agissent-elles ainsi ? Pourquoi les personnes qui composent ces milices continuent-elles à obéir à un parti rejeté massivement par le peuple ?

Leurs motivations sont aussi diverses que leur composition et leur statut social.

Certains agissent ainsi pour sauvegarder leurs positions ou acquis liés au régime ZABA. D’autres veulent tout simplement garder leur liberté et éviter la prison : tout les tortionnaires (et Dieu sait qu’ils sont nombreux) qui ont maltraité et humilié le Peuple tunisien, que ce soit par le passé ou durant la Révolution. Tout les corrompus, qui ont contribué au pillage du pays et/ou qui ont parasité par la « Rachoua » les efforts des citoyens tunisiens… Et je n’aborde même pas le cas de ceux qui ont du sang sur les mains !

Toutes ces personnes savent qu’à court terme, en cas de succès de la Révolution, elles feront l’objet d’enquêtes et de procès (que ce soit sur le modèle des procès de Nuremberg ou à travers la Cour Pénale Internationale) où la justification des actes par l’obéissance aux ordres (particulièrement pour la torture et les meurtres) sera caduque…

Nous, tunisiens, ne devons pas les laisser faire. C’est notre devoir de nous y opposer !

Pour notre pays, pour nos enfants, pour nos martyrs, pour notre honneur… Pour tout autant de raisons différentes, nous devons résister, garder la tête haute et ne pas nous laisser berner !

Ni la menace physique, ni la menace économique ne doit nous restreindre de réclamer et obtenir notre dû : La Liberté, la Démocratie, la Dignité !

Nous devons prendre conscience de ces manipulations pour les dénoncer (comme je le fais ici) et nous devons nous entraider pour venir à bout de ce danger.

A Mr. Mohamed Ghannouchi, j’aimerai adresser ce message :

Arrêtez d’avoir peur ! La peur a changé de camp au soir du 14 janvier et le Peuple n’a plus peur, nous n’avons plus peur de rien.

Appuyez vous sur le Peuple pour neutraliser ces milices qui ont infiltré l’ensemble de notre société.

Appuyez vous sur le Peuple pour démanteler l’appareil d’Etat RCDiste laissé par l’ex-dictateur et qui cherche à jeter le discrédit sur la nouvelle équipe gouvernementale.

Nous les pourchasserons et nous les mettrons en échec comme nous les avons mis en échec les soirs de veilles populaires lorsqu’ils tentaient de piller nos maisons et plonger le pays dans le chaos.

Appuyez vous sur le Peuple pour relancer l’économie et préserver la croissance. Mohamed Bouazizi et beaucoup de martyrs ont souffert du chômage, n’oubliez jamais cette revendication économique d’une population qui veut travailler.

Ne nous mentez pas ! Dites nous lorsque vous ne maîtrisez plus les évènements ! Le Peuple saura vous soutenir au nom du bien suprême de la Nation.

Et surtout, n’oubliez jamais plus que votre allégeance va au PEUPLE, pas à une personne physique particulière ou un parti… Vous êtes le garant de l’intégrité physique de la population : vous ne devez donc pas faire couler son sang.

A mes amis et au Peuple de Tunisie, j’aimerai dire :

Nous avons tous tremblé de peur pour nos proches lorsque la police et les snipers tiraient dans la foule. Nous avons tous hurlé de joie en apprenant le départ de Ben Ali. Nous avons tous été choqué par les pillages qui ont suivis. Nous sommes tous un peu de Sidi Bouzid/Gasserine/Thala/Kef/Sfax/Zarzis etc. Nous avons tous un peu de Mohamed Bouazizi en nous. Nous sommes tous Tunisiens.

Et, pour le moment, nous sommes tous libres.

Mais la révolution n’est pas finie, loin s’en faut ! Elle ne fait que commencer !

Nous entrons dans une période où les manipulations deviennent de plus en plus vicieuses et difficiles à déceler (et a fortiori à contrer). Nous nous devons d’être vigilant et de lutter contre les agissements des milices du RCD qui veulent faire régner le chaos et nous opposer les uns aux autres. N’ayez aucune confiance dans les institutions car elles sont gangrenées par le RCD.

Faites votre devoir de citoyen en dénonçant tout abus commis devant vous ou contre vous.

Nous devons nous opposer par tous les moyens possibles à un « vol » de la Révolution ou à un retour en arrière, un retour aux anciennes pratiques !

Nous devons préserver pour nos enfants cette liberté si chèrement payée avec le sang des martyrs…

Mais cette opposition ne doit pas systématiquement signifier descendre dans la rue. Le temps de la rue est à mon avis théoriquement achevé. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas descendre manifester notre mécontentement dans la rue si l’on a l’impression de se faire voler NOTRE révolution… Non, nous devons tous être prêt à cela, quelle qu’en soit les circonstances et le prix à payer ! Mais ce type d’expression doit rester rare et utilisée uniquement en cas d’extrême urgence, en dernier recours !

Si nous voulons préserver notre pays du chaos et de l’islamisme politique (même modéré), nous devons relancer l’économie. Travailler et être productif deviens dans ces conditions une nécessité nationale, un acte patriotique. Et investir en Tunisie deviendra une marque de confiance dans le succès (inévitable) de la démocratie…

Ne perdons pas de vue ce qui nous unis et luttons tous ensemble contre ceux qui nous divisent.

Merci de partager si vous agréez, merci d’argumenter si vous désapprouvez.

Mohamed Ali Khelil Charef
Avocat auprès du Barreau de Tunis