[NDLR: Cet article nous a été envoyé par email en réaction à un entretien du ministre des Affaires étrangères du nouveau gouvernement de transition, M. Ahmed Ounaies, publié le 29.01.11 sur le quotidien “La Presse de Tunisie”]

Le ministre des affaires étrangère tunisien, Ahmed Abderraouf Ounaies avec son homologue français Michele Alliot-Marie, lors de sa visite à Paris le février 2011. (Emma Foster, EPA)

Par Salem Fourati
Ambassadeur de Tunisie à la retraite

Je dois reconnaitre, tout d’abord, le courage politique dont a fait preuve, en son temps, l’Ambassadeur Ahmed Ounaies pour avoir notamment dénoncé publiquement les agissements néfastes des familles et alliés du Président déchu. Personne ne peut mettre en doute le militantisme en matière de défense des droits politiques de M.Ounaies.

Je voudrais cependant faire quelques commentaires sur certains points de ladite déclaration :

1.— Les performances diverses enregistrées par la Tunisie et que fait ressortir Monsieur Ounaies sont fragilisées par la situation précaire que vit notre pays, situation que nous devrions vivement normaliser rapidement. La révolution tunisienne déclenchée par le peuple des campagnes et du monde rural n’a pas encore, selon mon appréciation, achevé sa gestation ;

2.— Les méthodes de gestion des affaires de l’Etat dans tous les domaines sont à reconsidérer, car le langage et les réflexes hérités de l’époque précédente et développés par des moyens douteux ne peuvent plus trouver une crédibilité auprès de l’écrasante majorité de la population. Les Tunisiens doivent en leur âme et conscience reconnaitre qu’ils ont -eux aussi- été prisonniers du jeu des outils de propagande, outils qui leur ont été imposés sans scrupule par des intérêts mafieux ;

3.— Si personne ne peut mettre en doute la nécessaire continuité de l’ouverture de la Tunisie sur le monde extérieur, laissez-moi dire que ce ne sera plus à n’importe quel prix que cette ouverture se poursuive. Les intérêts vitaux de la Tunisie dans le contexte de la mondialisation en mutation devront être défendus sans complaisance et sans compromis préjudiciables aux concessions globales réciproques ;

Je ne citerai ici que les conditions dans lesquelles ont été privatisées certaines entreprises industrielles, de services, de commerce et autres. Et il est du devoir naturel du peuple tunisien de revoir- en toute transparence- les conditions dans lesquelles les dites cessions ont été concrétisées. La Tunisie a été spoliée, par diverses procédures, de certaines de ses richesses et c’est seulement en respectant les engagements transparents pris sur le plan international que notre pays redorera son image et sa crédibilité ;

4.— M. Ounaies n’ignore pas que la diplomatie tunisienne est un outil d’exécution de la politique extérieure de la Tunisie et que depuis le 14 janvier 2011, le peuple a donné un signal irréversible de réexamen approfondi de toutes les orientations y compris celles liées à cette politique. Nos Partenaires devront tenir compte des mutations nationales intervenues et changer de mentalité et de conduite à notre égard ; l’ouverture équilibrée de notre pays et que défend, d’ailleurs, M. le Ministre est notre affaire ;

5.— Alors, laissons – ou mieux encourageons- cette Tunisie éveillée et réveillée, à poursuivre sa profonde mutation dans le calme et dans la stabilité, car atrophier cette mutation aura des effets, à moyen terme, graves, à grande dimension nationale, ouvrant la voie à des déséquilibres structurels locaux qu’il sera très difficile de redresser ensuite ;

6.— Que Monsieur le Ministre Ounaies me permette de lui rappeler ce qu’il savait déjà c’est que j’étais mis à la retraite d’office et par anticipation en 1997 pour faux prétexte de refus d’acceptation de poste diplomatique alors que j’étais en réalité sanctionné pour avoir exprimé de sérieuses réserves professionnelles quant aux orientations et aux concessions devant être adoptées à l’occasion des négociations avec l’Organisation Mondiale du Commerce et l’Union Européenne dont j’assumais la responsabilité depuis 1992, concessions et orientations imposées sur la base de fausses évaluations ;

Je voudrais saisir cette occasion, de mon lit de convalescence, pour lancer un appel solennel et urgent au vaillant peuple de la Révolution de janvier 2011 pour qu’il protège aussi bien l’esprit que les acquis de celle-ci pour l’amour de la patrie, la stabilité de notre pays et la sagesse qui lui est reconnue. Sauvegardons par tous moyens pacifiques l’image que le monde a de cette Tunisie tolérante et désormais transparente et reprenons nos activités quotidiennes pour que notre chère Tunisie ait toujours la tête haute, respectée de ses voisins, des ses amis et de tous ses partenaires sincères.

Le peuple tunisien devra laisser aux volontés sincères la chance de faire retrouver un rééquilibrage pacifique interne, mais ce peuple devra rester très vigilant pour contrecarrer les forces occultes et très diverses qui tentent de faire normaliser une situation et circonscrire l’esprit et les acquis historiques de la révolte populaire en recourant à des procédés qui n’ont plus leur place dans un pays où les langues y ont été à jamais déliées et où la peur ne signifie plus rien.