Catherine Ashton, Vice Présidente de la Commission Européenne et Haut Représentant de l'Union Européenne. Crédit : Reuters

Alors même que l’Union Européenne et d’autres pays occidentaux aient fait preuve dans certaines circonstances d’un certain laxisme dans leurs rapports avec le régime du Président tunisien déchu, nous devons apprécier l’initiative de Mme Catherine Ashton, Vice Présidente de la Commission Européenne et Haut Représentant de l’Union Européenne de se rendre à Tunis les 13 et 14 de ce mois pour s’entretenir avec les dirigeants politiques ainsi que les représentants des Partis politiques et de la Société civile. C’est un signal fort de l’UE, notre premier partenaire, à un moment où la Tunisie traverse une profonde et historique mutation.

La Tunisie a une très longue tradition de coopération avec l’Union Européenne, coopération structurée datant depuis 1976 et qui a évolué sans cesse, influencée en cela par les très nombreux mécanismes mis en place – souvent sous la pression de la conjoncture- allant de l’Accord d’Association en passant par le Processus de Barcelone jusqu’à l’implication dans cette UPM « en hibernation », assortie de ce soit -disant statut avancé dont les contours restent flous au niveau du devenir des rapports euro-méditerranéens et en ce qui concerne la Tunisie en particulier eu égard aux secteurs des services et des produits agricoles pour lesquels l’Union Européenne ne pouvait que créer en sa faveur et à long terme un déséquilibre structurel dont il serait difficile à notre pays de s’en sortir, contraint de respecter des règles de jeu de libéralisation combien contestée par le jeu des interprétations erronées de l’esprit des accords conclus dans le cadre de l’OMC. Quant au volet politique dudit statut, convenons que les perspectives de refonte et de transformation structurelle des institutions et des règles de droit en gestation en Tunisie, pourraient surprendre l’UE tant elles répondent à des attentes mais aussi à une tendance internationale que rien ne pourrait arrêter.

Cela ne devra en aucune manière occulter les contributions importantes – de toute sorte- que l’Union Européenne a apportées depuis plusieurs décennies à la Tunisie et qui lui ont permis de favoriser substantiellement une accélération de son développement économique et social et de se promouvoir dans les mécanismes du marché international.

La question que nous devrions nous poser concerne l’avenir des relations UE-TUNISIE, relations qu’il serait impossible de dissocier du contexte géostratégique et de celles entretenues par l’UE avec les autres pays de la région ou des régions voisines.

Nous ne prétendons pas se présenter en donneur de leçons mais notre croyance profonde qu’entre nous et nos voisins du Nord, il devrait exister des rapports mutuels de respect et de tolérance à l’égard des valeurs respectives de chacun de nos peuples, valeurs rattachées à l’ histoire, la civilisation, la culture, les croyances religieuses mais également à des intérêts réciproques à enrichir et à protéger.

Dans un tel cadre, il en résulte une série de suggestions de nature à aider les Partenaires Européens à mesurer l’ampleur de ce qui vient de se passer en Tunisie et qui se poursuit en Égypte et qui inévitablement se développerait – malgré certaines tentatives – comme un élan spontané et naturel que plus rien n’arrêtera compte tenu de l’accumulation incommensurable des injustices et des effets néfastes de la dictature.

1)Tout d’abord, l’Union Européenne devrait s’imposer une nouvelle stratégie politique à l’égard des pays du sud de la Méditerranée, du Proche et du Moyen Orient; les précédentes expériences n’ont pas pu atteindre les objectifs assignés et se sont traduites, dans certains cas, de quasi-faillite tant les différents mécanismes mis en place ont été très souvent remodelés ou modifiés ne donnant pas la possibilité aux structures des pays récipiendaires de s’adapter;

2) L’étape de Tunis devrait être l’occasion pour l’Union Européenne de mieux saisir les profondes raisons et situations ayant abouti à une révolution populaire spontanée, sortie des campagnes et du monde rural et relayée par des foules et des techniques de communication que partagent désormais des populations de pays divers;

3) Au niveau de la coopération bilatérale, euro-méditerranéenne, au Proche-Orient ou au Moyen-Orient, il est temps pour l’Union Européenne de renoncer à certaines pratiques interprétées ou assimilées à des tergiversations politiques conjoncturelles observées à l’occasion de l’examen des problèmes politiques qui ne cessent de se poser avec acuité et particulièrement le problème palestinien pour lequel, d’ailleurs, l’Union Européenne a, non seulement régressé dans ses positions de défense de droits légitimement reconnus sur le plan international, mais Elle n’a pas eu le courage politique d’appuyer -en toute justice- de légitimes revendications pour toutes les Parties en présence ce qui aurait permis l’émergence de rapports de coopération et de bon voisinage entre tous les peuples de la Région sans distinction. Certes une politique extérieure européenne faisait défaut outre le fait que – dans leur grande majorité – certaines puissances occidentales ont abandonné aux USA et la gestion et le devenir stratégique des Régions concernées avec toutes les conséquences que nous connaissons outre celles à venir;

4) L’Union Européenne devrait éviter d’interférer de quelque manière que ce soit dans les choix que le peuple tunisien décide d’adopter et de mettre en œuvre au niveau politique, économique, social et stratégique et, dans ce cadre, se limiter – en partenaire crédible – à accompagner les réformes multiples envisagées ou en cours en moyens techniques et humains transparents et en concours avec ceux mis localement en place outre ceux du système de Nations Unies;

5) L’Union Européenne devrait reconsidérer les principes, méthodes et réflexes dans l’établissement d’un nouveau genre de Partenariat avec la Tunisie sur des bases retenant les intérêts de chaque Partie, intérêts qui soient considérés en fonction d’une coopération équilibrée, stratégiquement stable et orientée vers un avenir et une solidarité partagés et dont les paramètres sont : paix, sécurité, bon voisinage, stabilité et tolérance.

Qu’il s’agisse du Processus de Barcelone, de la Politique Méditerranéenne de bon voisinage, de l’UPM ou du Statut Avancé, l’avenir des relations entre l’Union Européenne et la Tunisie et – dans une seconde et prochaine étape – avec les pays de la rive sud de la Méditerranée y compris Proche Orient, Moyen Orient – s’accommoderait d’initiatives de l’Union Européenne de saisir l’unique et historique opportunité de l’éveil des peuples des dites régions pour anticiper une place de Partenaire crédible, soucieux certes de sa sécurité mais également acceptant de s’ouvrir en toute réelle transparence à des peuples que des intérêts stratégiques ont ignoré leurs légitimes aspirations que l’avenir ne pourra plus arrêter.

L’étape de Tunis est une chance pour l’Union Européenne de revoir fondamentalement ses relations stratégiques avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, du Proche Orient et du Moyen Orient et tenter d’aider certains membres de ses membres de dépasser les vicissitudes de l’époque coloniale et aborder la coopération et les problèmes politiques de la Région avec une approche qui retient le respect du droit, de l’équité, la justice, la liberté et la paix. L’Union Européenne est en présence d’une mutation historique en mouvement, irréversible à court et à moyen termes et où des peuples commencent à voir la fin d’ injustices interne et internationale, d’humiliations et de discrimination alors que ces peuples n’aspirent – à l’instar d’autres – qu’à vivre en paix et de recueillir les fruits du développement qu’ils souhaitent mener avec de vrais partenaires.

Au moment où j’achevais la rédaction de ces lignes, l’Égypte s’ancra au mouvement dont je parlais! Pour conclure, je dirai: « la force des peuples qui se révoltent pour la liberté, la justice et la démocratie n’a pas de limite. L’histoire dira que c’est un renforcement de la paix internationale et une avancée considérable pour toute l’humanité. »

Salem Fourati

Ambassadeur de Tunisie à la retraite.