Bachar El Assad. Crédit photo : REUTERS/Benoit Tessier

Le vent de la liberté qui souffle sur les pays arabes ne semble pas encore avoir atteint les côtes syriennes. Quelques voix se sont bien élevées sur Face book pour appeler la jeunesse à opérer un printemps syrien, mais elles sont restées lettre morte pour la plupart. La révolte va-t-elle également bientôt gronder en Syrie ou ce pays sera-t-il l’exception qui confirme la règle ?

Syrie, l’une des sept dictatures les plus dures du monde Au même titre que tous les autres, la Syrie n’échappe pas au prototype du pays arabe gouverné de manière tyrannique par un clan qui se partage les richesses des pays. Ajoutée à l’hégémonie des castes mafieuses qui entourent le pouvoir syrien, la transition vers l’économie de marché a entraîné une hausse considérable de l’inflation des prix des vivres et du carburant, creusant encore plus l’écart entre les riches et les pauvres.

Dans un pays où 30% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, la tranche de la population, composant la classe moyenne, est obligée d’avoir deux voire trois emplois pour survivre.
Craignant la contagion des mouvements populaires qui secouent le reste de la nation arabe, le gouvernement vient de promulguer un décret créant un Fonds national pour les subventions sociales destinées à 420 000 familles dans le besoin. Dans la foulée, une hausse substantielle de la subvention sur le fuel destiné au chauffage vient également d’être appliquée.

Mais ces gestes ne signifient par pour autant que le régime en place est prêt à faire des concessions en matière démocratiques.
Plombée par la présence du clan Assad au pouvoir depuis 1970, la situation des droits universels ressemblent en tous points à celle des autres pays arabes. S’appuyant sur une alliance solide entre la minorité alaouite dont il fait partie, une frange de la population sunnite argentée et le parti Baath, ce clan dirige la Syrie d’une poigne de fer. Dans un pays mis sous coupe réglée depuis plus de 41 ans, quadrillé et contrôlé par des services de sécurité et de renseignements omniprésents, l’autoritarisme de ce régime policier et le contrôle de l’information sont un frein considérable au développement économique. En dépit de sa production de pétrole, de phosphate, de coton, de céréales, etc., la Syrie souffre de stagnation économique dans les différents secteurs productifs. Elle doit faire face au quart de million d’étudiants qui alimentent chaque année un marché de l’emploi déjà saturé et à un taux de croissance démographique élevé de plus de 3,4%, selon certaines évaluations, et au-delà de 5%, selon d’autres.

Certains économistes estiment que 5% de la population syrienne bénéficient de plus de 50% du revenu national. Ce privilège n’a rien à voir avec une quelconque participation à la production des richesses de la nation, mais à la place que les barons du régime, leurs enfants et leurs proches occupent dans les postes de décisions, et surtout par la généralisation de la corruption. Ce fléau est vital pour la survie de la bureaucratie administrative, du parti au pouvoir et des appareils policiers. En se propageant verticalement et horizontalement, la généralisation de la corruption est devenue le fondement de la reproduction du système syrien.(sce : Démocratie et Droits humains en Syrie)

Baath, nationalisme arabe et Palestine

Pilier du régime syrien, le Baath puise ses sources dans le mouvement politique du début du XXème siècle. Son idéologie est la réalisation d’une unité arabe qui prône la suppression des frontières, permettant la mise en commun des ressources de chaque pays avec pour corollaire la libération de tout le territoire palestinien.
Eclipsé une courte période, le Baath revenu au pouvoir pendant la présidence d’Hafez al-Assade est actuellement loin du parti de masse rêvé par ses fondateurs qui avait fait de la Syrie l’un des pays phares de la renaissance panarabe et de la pensée socialiste et humaniste dans la région. Il est devenu l’un des leviers de la domination du clan Assad sur le reste de la société : état policier, armée baasiste, répression contre les opposants, absence de pluralisme des partis et de liberté syndicale. Aujourd’hui, malgré le déclin de son rôle social au profit des « indépendants », nouvelle et ancienne bourgeoisies ralliées au régime, le Baath y garde les prérogatives du pouvoir par plusieurs moyens.

Paradoxalement et malgré toutes les vicissitudes du régime syrien baathiste, la mise à l’index par l’Occident pour son alliance avec l’Iran, son soutien indéfectible au Hezbollah libanais et au Hamas palestiniens dont plusieurs de ses dirigeants vivent en exil sur son sol, a jusque là fait jouir la Syrie du soutien respectueux de la majeure partie de la population arabe.

Dans un Moyen-Orient cible de prédilection des prédateurs occidentaux, tant de fois humilié par un Israel conforté dans son arrogance et son assurance par un soutien sans faille de l’Occident, méprisé par des gouvernements marionnettes à la solde des grandes puissances, la résistance du régime syrien à toutes les tentatives de déstabilisation israélo-occidentales ainsi que la position intraitable de Bachar Assad sur le dossier israélo-palestinien lui ont permis de tacitement s’ériger en nouveau héros d’un pan arabisme en mal de Zaïm, rôle dans lequel continue à le conforter la politique du deux poids deux mesures que les Etats-Unis persistent à appliquer dans leur gestion de la politique américaine au Moyen-Orient.

Le deux poids deux mesures américain

Dernièrement, le veto américain bloquant le projet de résolution arabe qui a réaffirmé que «les colonies israéliennes établies dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, sont illégales et constituent un obstacle majeur à la réussite d’une paix juste, durable et globale» n’a pas manqué de choquer. Parrainé par quelque 130 pays, le projet a été voté par les 14 autres membres du Conseil.

There will be repercussions for Palestinian-American relations if you … ignore our requests in this matter” – Barack Obama-

Plus choquantes encore sont ces menaces proférées par Obama à l’encontre de l’autorité palestinienne qui pour sa part a indiqué qu’elle allait «réévaluer» l’ensemble du processus de négociations de paix après le veto américain.

Premier gouvernement après l’Autorité palestinienne à dénoncer ce veto, l’Egypte post-révolution a estimé que « ce veto qui a déçu les espoirs du peuple non seulement palestinien et arabe, mais aussi au niveau international, a contredit les déclarations américaines rejetant la politique de colonisation, entamera encore plus la crédibilité des Etats-Unis comme médiateur des efforts de paix».

Sans se précipiter à prédire un bouleversement radical de la politique égyptienne appliquée par le régime déchu de Moubarak, il n’est pas illusoire de penser qu’à long terme, ce pays finira par se libérer de ses chaînes américano-israéliennes pour reprendre sa position de chef de file d’un monde arabe complètement déstructuré depuis que« la mère du monde » ne joue plus son rôle de guide et de maître à penser.

L’Egypte rejoindra-t-elle l’axe des récalcitrants qui est train de s’élargir avec l’adhésion imminente de la Turquie dans son cercle ? On peut peut-être s’attendre à quelques changements apportés en réponse à la demande d’un peuple dont la grande majorité a rejeté d’emblée tous les accords signés avec Israel qu’il continue de nommer « l’entité sioniste ».

Les répercussions du Printemps arabe

Plus que tous les autres Arabes, les Syriens suivent sûrement de très près l’évolution de la révolution égyptienne. De sa réussite dépend leur avenir. Le retour d’une Egypte démocratique au sein du giron familial arabe, ôtera à la dictature syrienne une carte majeure dans son rôle de défenseur exclusif de la cause palestinienne si chère à tous les Arabes. Ce retour révèlera le leurre du discours universaliste et panarabe utilisé par le régime syrien pour discréditer toute forme d’opposition à la dictature et masquer la domination particulariste du clan Assad derrière un écran de fumée panarabe. Les autorités syriennes ont toujours exploité l’état de guerre avec Israël et d’adversité avec l’Occident pour réprimer, sous prétexte de trouble de l’ordre public, ceux qui réclament entre autres la levée de l’état d’urgence et le recouvrement des libertés fondamentales. Ilan Pape le résume bien « Les traités de paix avec Israël sont des symptômes de corruption morale pas d’une maladie en soi, c’est pourquoi le Président syrien Bashar Asad, sans aucun doute un leader anti-israélien, n’est pas immunisé de la vague de changement.»

Ce changement tant attendu n’a pas échappé au Président Obama. De son discours au lendemain de la révolution égyptienne, deux phrases sont à retenir : « Nous avons vu une nouvelle génération émerger, une génération qui demande «un gouvernement qui représente leurs espoirs et non leurs peurs. Nous avons vu des jeunes égyptiens dire pour la première fois de ma vie, je compte vraiment. Ma voix est entendue ».

Effectivement la voix élevé depuis la place Tahrir, au Caire, constitue un avertissement adressé de manière sous jacente à l’Occident, lui rappelant que dans la guerre sourde que se livrent les Etats-Unis et les régimes de l’axe réfractaire, les nouvelles générations arabes ne veulent être prises en otage par deux protagonistes se nourrissant l’un de l’autre.

La solidarité et le soutien apportés par les autres peuples de la région aux révolutions tunisienne et égyptienne sont le témoignage d’un espoir partagé d’en finir avec les structures répressives des tenants des régimes dictatoriaux anti-impérialiste ou pro-occidentale toute nature confondue.

Dans des pays où les forces sociales et politiques on été laminées par des décennies de répression impitoyable, la jeunesse a fait preuve d’une volonté inouïe et d’un cran exceptionnel, exorcisant de la sorte une malédiction qui pesait sur les nations arabes depuis plu de cinquante ans. Ce juste retour du droit à la parole du peuple n’est pas propre aux seuls Tunisiens et Egyptiens. Une révolution couronnée de succès est possible. Tous les autres peuples arabes en sont capables. Alors pourquoi pas en Syrie ?

Fatma Benmosbah