Libye: Kadhafi fragilisé par la défection des deux derniers membres du groupe des « officiers libres» libyen.

René Naba | 22.02.22 | Paris

La défection des deux derniers membres du groupe des «officiers libres» libyens, artisan du renversement de la Monarchie, en 1969, fragilise considérablement le pouvoir du Colonel Mouammar al-Kadhafi, déjà en butte à la rébellion d’une fraction des provinces libyennes, dans l’épreuve de force qui oppose le clan Kadhafi à la population depuis près d’une semaine.

Le colonel Abdel Moneïm Al Houni, représentant de la Libye auprès de la Ligue arabe au Caire, a annoncé dimanche 20 février son ralliement à «la révolution populaire» et sa détermination à porter le combat à Tripoli, le centre névralgique du pays, dans une démarche de défiance contre les abus de son ancien compagnon d’armes.

M. Al Houni a été l’un des mobilisateurs de la grande manifestation qui se déroule depuis lundi dans la capitale libyenne. Dans des déclarations à la presse arabe, le dissident a annoncé la mise sous résidence surveillée d’un autre compagnon d’armes de Kadhafi, le général Abou Bakr Jaber Younes, inamovible commandant en chef de l’armée depuis trente ans. Deux pilotes qui se sont refugiés à Malte ont par ailleurs accusé le colonel Kadhafi d’avoir passé par les armes des pilotes récalcitrants à bombarder la population.

Sur fond de démission collective du corps diplomatique libyen, notamment des représentants libyens en poste aux Etats-Unis, aux nations Unies, en Indonésie et en Chine, la disparition d’un autre proche collaborateur de Kadhafi pose la question de la capacité de survie du régime.

M. Abdel Rahman Chalgham, ambassadeur de Libye aux Nations Unies, est en effet porté disparu depuis dimanche, sans qu’il ait été possible de savoir s’il s’agit d’une désertion de poste, d’un enlèvement par les hommes du clan Kadhafi ou plus simplement d’un ralliement à la contestation populaire.

M. Chalgham, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur à Rome, a été l’un des artisans du rapprochement entre la Libye et les pays occidentaux, le négociateur de l’accord accordant cinq milliards de dollars à la Libye par l’Union Européenne en vue de lutter conte l’immigration clandestine africaine à destination de l’Europe.

Dans cette épreuve de force avec ses opposants, Le Colonel Kadhafi est handicapé par le bouleversement de la géo stratégie régionale, avec la chite de ses deux alliés naturels, Hosni Mouabark (Egypte) et Zine El Abidine Ben ALI et l’absence d’un clair et ferme soutien d’un quelconque pays arabes

Au terme d’une semaine de contestation, ci-joint un bref descriptif de l’état des lieux de la configuration tribale et de la lutte de pouvoir en Libye:

La zone rebelle:

Benghazi, la grande ville portuaire de l’Est du pays, zone la plus proche de l’Egypte, d’où le coup d’Etat des officiers libres a été annoncée le 1 er septembre 1969, chef lieu du grand résistant libyen à l’occupation italienne, a la première fait sécession. Sa’adi, le 4eme fils de Kadhafi, ancien footballeur en Italie, aurait chargé de la mater.
La région orientale du pays, (Benghazi et Al-Bayda) n’a jamais été soumise à Kadhafi. L’Emirat de Barka, qui s’étend de la frontière égyptienne au Golfe de Syrte est demeuré fidèle aux traditions de la dynastie senoussie, particulièrement Al Bayda, La Blanche, ville des 250 000 habitants, au cœur du Djebel El Akhdar, La Montagne Verte, est à égale distance à vol d’oiseau (800 km) de Tripoli et d’Alexandrie, mais elle est plus proche par la route de la métropole égyptienne que de la capitale libyenne. Son nom était Al Zaouiya Al Bayda, La Confrérie blanche, du nom du siège de la confrérie senoussie, dont le siège domine la ville. Elle mérite aussi son nom par les abondantes chutes de neige qui la recouvrent en hiver. Vendredi 18 février 2011, Al Bayda aurait été libérée du régime kadhafiste, et la population, appuyée par la police locale, y aurait pris le pouvoir, au terme d’affrontements qui auraient fait près de 108 tués du côté des contestataires.

La zone loyaliste :

Le centre du pays, autour de Syrte abritent les deux grandes tribus qui se sont partagés le pouvoir sous l’ère post monarchique: Al Kazazafa (la tribu de Kadhafi) et Al Moukarfa (la tribu d’origine d’un des membres du groupe des officiers libres, artisan du coup d’état, le commandant Al Moukreif. Objet de l’attention de Kadhafi et cible d’une expédition punitive l’aviation américaine, dans la décennie 1980, pour châtier Kadhafi de son soutien au terrorisme, la zone centrale devrait constituer l’un des points fort du régime.

Bien que généralement loyaliste, la configuration tribale de la zone qui comporte douze tribus parait partagée entre loyalistes et contestataires. Les tribus Wazen, Kaba, al Badr, tiji, selon des informations recueillies de source arabe en relation avec l’opposition libyenne, ont gagné le camp de la contestation et ne demeurent en lice en faveur de Kadhafi que sa propre tribu Al kazazafa et son allié al Moukarfa.

La région capitale qui va de Tripoli à Ghadamès, dans la zone frontalière méridionale. Elle abrite les tribus de Zentane et Ourfala, ralliées à la révolution populaire. Une 3eme tribu Mayaniya est demeurée fidèle à Kadhafi.

La zone du Fezzan, elle, a, dès le début des troubles, tranché en faveur de la contestation. Zone frontalière du Mali, du Tchad, du Niger, le trafic à destination de ces pays a été fermé. Abritant la vile de Sebha, base arrière de la guerre du Tchad, dans la décennie 1980, la zone a beaucoup souffert des hostilités et des variations d’humeur du colonel Kadhafi dans sa politique à l’égard de la main d’œuvre africaine.

Au vu de ce tableau, la bataille décisive devrait se porter sur le contrôle de l‘agglomération de Tripoli, qui abrite la caserne d’al Aziziya, la résidence officielle du Colonel Mouammar Kadhafi.

Un tournant pourrait être pris dans ce conflit avec la grève de l‘industrie pétrolière, poumon du régime, où le boycott des produits pétroliers par l’Europe.

La Libye exporte 80% de son pétrole vers l’Europe, qui a considérablement participé au renflouement politique du dictateur avec sa réception officielle notamment en France par le président Nicolas Sarkozy, en décembre 2007.