Le feu des révolutions arabes ne cesse de se propager, provoquant sur son passage des incendies à travers républiques, monarchies, sultanats et émirats dont les gouvernants se sont crus immunisés contre cette érosion qui a entraîner l’éveil de leur peuple.

Ni les fonds versés à l’Occident, avec les Etats-Unis en chef de file, pour relever ses économies affaiblies, ni les signatures d’accord de paix injuste et artificielle, ni les bases militaires, ne sont en mesure de stopper l’écoulement des laves qui risquent d’entraîner les régimes sur leur passage. Ce soutien semble lui-même tétanisé par une éruption volcanique qu’il n’a pas vu arriver.

Les soulèvements ont tous un même slogan « la chute du régime », mais les Arabes ne forment pas une nation totalement homogène. Face à leurs multiples spécificités, comment va faire l’Occident pour reprendre les choses en main ? D’où vient le fait que les Etats-Unis, pays autoproclamé gendarme du monde, et du monde arabe en particulier pour avoir fait main basse sur ses richesses, n’ait pas été en mesure de prévenir ce tsunami révolutionnaire ?

Une allégeance devenue régence

On répète souvent que les révolutions arabes sont le fait de l’Occident et des Etats-Unis en particulier. Non seulement cette vision très réductrice leur accorde des victoires qu’ils n’ont pas méritées mais elle ne tient pas compte des paramètres qui ont fait éclater la situation dans ces pays.

L’analyse des révolutions arabes doit tenir compte de trois points essentiels : l’environnement international, l’environnement arabe, et l’environnement spécifique à chaque pays.

Aujourd’hui, le monde traverse une période semblable à celle de l’après première guerre mondiale quand les peuples colonisés ont décidé de retrouver leur indépendance. Après son passage dans les pays du Sud, la déferlante de la vague nationaliste avait balayé des siècles de colonisation. Aujourd’hui, avec la mondialisation, la chute du libéralisme sauvage à laquelle nous assistons a entraîné une nouvelle vague de soulèvements contre l’impérialisme capitaliste.

Amorcé en Iran avec la chute du Shah, relayé par les pays d’Amérique latine contre l’empire américain du Nord, le mouvement a atteint aujourd’hui les pays arabes où la colère a atteint son point de non retour face aux méthodes répressives de gouvernants dictatoriaux, à la solde des Etats-Unis.

Dans ce monde arabo –islamique, où la plupart des économies sont libérales, le joug du FMI et de la Banque mondiale ont achevé d’appauvrir la plus grande partie de populations déjà exsangues du fait des crises, du chômage et de la corruption des dirigeants. A travers les accords militaro-économiques bilatéraux, l’Occident est devenu un co-gouvernant de fait, régentant indirectement ces pays à travers les dirigeants, leurs services de renseignements, leurs polices politiques et les membres de leurs sûretés nationales.

Si les sociétés diffèrent d’un pays à l’autre, tribale ici, bédouine là-bas, citadine ailleurs, lettrée ici, analphabète ailleurs, riche ici, pauvre là-bas, certains de leurs problèmes sont communs. On retrouve dans tous ces pays des chefs d’Etat séniles ou malades, des règnes de longue durée, des richesses accaparées par les mafias au pouvoir, des jeunesses aux rêves volés, des médias étouffés et des droits de l’homme bafoués.

Gouvernants arabes, un bouclier perforé

Après avoir franchi les trois étapes qui précèdent une révolution – répression, prise de conscience, dépassement de la peur- les populations arabes ont aujourd’hui atteint la dernière étape, celle du soulèvement. Partout dans les rues, les populations scandent un même intitulé : « le peuple veut la chute du régime ». Fait étonnant, rares sont les slogans qui concernent l’Occident. Toutes les revendications sont liées aux problèmes internes et aux solutions à leur apporter.

Il faut savoir que les révoltes populaires commencent à un niveau strictement individuel. Les répressions s’abattent sur l’individu, l’injustice est un ressentiment individuel, la prise de conscience, le courage et l’aptitude au sacrifice sont eux-aussi individuels. Les premières revendications ne sont donc qu’individuelles – amélioration des conditions de vie, liberté, dignité…

Il ne faut cependant pas se tromper. Derrière les clameurs contre les gouvernants, il existe un message adressé à l’Occident auquel les peuples reprochent d’avoir servi de parapluie aux tyrans qui les gouvernent. Ils ont pris conscience que le bouclier occidental ne peut plus contrer leur désir d’indépendance Ils savent qu’en résistant, ils peuvent briser les étaux de leurs régimes et ceux de l’Occident qui les appuient.

Grâce aux médias et aux télécommunications, ils ont été informés des résultats des guerres au Sud Liban. Même en Irak et en Afghanistan, où sans avoir totalement perdu la face, les Etats-Unis n’ont pas réussi à venir à bout des populations insoumises.

Conscients qu’il ne suffit pas de faire partir un dirigeant, mais que tout le système doit être modifié et particulièrement les modalités de base des relations bilatérales avec cet Occident, les manifestants ont adopté une stratégie qui consiste à avancer par palier.

Il suffit de voir ce qui se passe actuellement en Egypte où, même après le départ de Moubarak, des manifestations et des sit-in quotidiens continuent de réclamer l’arrêt des livraisons de gaz à Israël, la rupture des accords de Camp David et fait nouveau, la participation du peuple à la résolution des questions stratégiques.

Lors de la tournée d’Hillary Clinton en Egypte et en Tunisie, les jeunes cyberdissidents d’Al Tahrir ont refusé de la rencontrer. Le quotidien tunisien Le Temps titrait « Mme Clinton, les Etats-Unis ne nous impressionnent plus ». Toujours en Tunisie, le nouvel ambassadeur de France n’a –t-il pas été contraint de présenter des excuses publiques aux journalistes tunisiens ?

Ces prises de positions ne sont que la face immergée de l’iceberg. Les changements en cours d’opération sont encore plus profonds et la crise libyenne va surement aider à les révéler au grand jour.

Les ornières de l’Occident

Forts de convictions basées sur des préjugés construits à partir d’un prisme colonialiste et impérialiste, l’Occident s’est enfermé dans une attitude autiste l’empêchant de prendre la mesure des réalités. Pendant que la jeunesse arabe s’instruisait et s’ouvrait sur le monde grâce aux nouvelles technologies, il persistait à la considérer apolitique, loin de la démocratie, sans projections d’avenir, seulement portée sur le terrorisme islamiste. A la question pourquoi nous détestent-ils, les Américains répondaient de manière constante : parce que nous sommes riches et que nous avons la démocratie. Fallait-il être petit pour réfléchir de la sorte ?

La jeunesse arabe a depuis longtemps compris que pour les Etats-Unis, la démocratie est une culture à double vitesse, intramuros et extramuros. La démocratie extérieure signifie accepter les projets américano-sionistes pour le Moyen-Orient. L’appel américain à plus de démocratie est en fait un appel à une culture de soumission à leur diktat. Jusque là, ils ont obtenu des réponses positives parce que dans cette région du monde, ils ne se sont jamais souciés de l’avis des peuples, d’où leur trouble face aux soulèvements. La différence entre divers commandement se situe au niveau de la célérité dans l’aptitude, à trouver une solution de rechange en cas de problèmes sur le terrain.

En Israël, au lendemain de la guerre du Liban, outre les erreurs logistiques et organisationnelles, la commission Vinograd a mis le doigt sur les deux principales défaillances de l’armée israélienne – la faiblesse des renseignements sur les capacités et les positions de l’adversaire, et l’incapacité à établir des stratégies de rechange. Si les Etats-Unis se soumettaient à pareille commission, il en sortirait la faiblesse de leur lecture des évènements actuels.

Jusque là, leurs rapports avec le monde arabe se sont limités à leurs relations avec les gouvernants. Même dans les milliers de notes de Wikileaks, on ne retrouve que des rapports d’entretiens dans divers ministères et chancelleries ou de médias qui reprenaient la voix de leurs maîtres. Dans aucune note on ne peut lire un avis ou un propos tenu par les forces vives des nations. Ce qui explique la méconnaissance profonde des Etats-Unis et de tout l’Occident des sociétés arabes.

Aujourd’hui, les Occidentaux réalisent que les dirigeants arabes ne sont plus en mesure de défendre leurs intérêts. Incapables d’appréhender les révolutions, ils n’ont pas eu la possibilité de placer « l’homme providentiel » de leur choix. Bien plus encore, à ce jour ils n’arrivent pas à définir des politiques de rechange pour s’adapter aux nouvelles données.

Signe de leur incapacité à faire des projections concernant le terme de cette guerre et l’avenir de la Libye, les hésitations des Etats-Unis concernant la position à adopter face au problème libyen en ont étonné plus d’un.

Les deux phases clé de la réussite des révolutions sont celles du déconstruire et celle du reconstruire. Si les révolutions arabes n’en sont encore qu’à leur première phase, le plus important est qu’à ce stade, elles vont déjà obliger les Etats-Unis à tirer les leçons. A un moment où ces derniers sont en proie à une grave crise économique, un échec militaire patent, une perte de crédibilité internationale, ils sont dans le besoin urgent de réviser leurs politiques dans le monde arabe. Il est urgent pour l’Occident de nouer des liens de confiance avec tous les interlocuteurs des ces sociétés et surtout d’apprendre à dialoguer avec eux en leur prêtant une oreille modeste et respectueuse.

Fatma Benmosbah