Par Gadhoumi Atef

On se bouscule, désormais, au portillon du Bourguibisme. Les voix revendiquant l’héritage politique de Habib Bourguiba se font de plus en plus entendre. On ne s’empêche plus à se référer à ses idées pour alimenter des discussions et rehausser le niveau des débats ou, même, pour argumenter certaines prises de position. Le legs du “Combattant suprême” est, comme par “révolution”, hautement sollicité … hautement convoité …

La ruée vers le Bourguibisme, onze ans après le décès de son “théoricien” et instigateur, est une réalité bouleversante. Ses motivations sont plurielles et sujettes à controverses. Nous ne prétendons, dans ce qui suivra, détenir les raisons de cet engouement, mais contentons-nous d’en relater quelques unes fortement significatives.

Le besoin d’une réhabilitation posthume de Bourguiba…

Aussi étrange, que cela puisse paraître, la doléance de réhabiliter le président Bourguiba de son vivant n’a pas été émise par ses partisans mais par un opposant et grand patriote tunisien : Georges Adda!!! Dans une lettre ouverte datée du 4 Novembre 1997 à l’attention de Ben Ali (7/11/1987- 14/01/2011), Mr Adda a sollicité la libération de Bourguiba en ces termes :

je vous prie, Monsieur le Président, de rendre la pleine et entière liberté de se déplacer et de recevoir à celui qui a conduit notre peuple à l’indépendance nationale, à celui qui fut, durant trente ans, le premier président de notre République, à celui qui , entre 1934 et 1955, a passé dix ans de sa vie en prison, en camp de concentration ou en déportation, et qui, ces dernières années, vit actuellement presque centenaire, interdit de liberté dans notre Tunisie indépendante, suite à des vicissitudes politiques dont certes il porte une grande responsabilité.

La motivation de celui qui a partagé la gamelle des prisonniers de l’occupant étranger avec Bourguiba est, certes, humaine mais elle est mitigée entre, d’une part, le respect voire la reconnaissance de l’œuvre du premier Président de la Tunisie, du moins dans la période du colonialisme, et de la compassion, d’autre part, pour son sort après sa destitution. Mr Adda dénonçait cette situation ,dans cette même lettre, comme suit :

Aujourd’hui, je suis affligé, lorsque je vois dans mon pays un de mes vieux compagnons de camp de concentration être le plus vieux interdit de liberté du monde. Je suis attristé de voir que le grand dirigeant qu’il fut ne vive pas libre à Tunis ou dans sa banlieue, près de sa famille et au milieu de ses petits-enfants et arrières petits-enfants.

La lettre, sincère soit-elle , restera sans suite. Pis encore, les obsèques du Président Bourguiba ont indigné plus d’une personne. Elles furent une pure mascarade, honteuse et pleine d’hypocrisie.
Le Dr Saida Douki qui a accompagné Bourguiba jusqu’à son dernier soupir a délivré ce témoignage émouvant :

Quelle ne fut pas ma consternation d’attendre en vain, devant des documentaires animaliers tournant en boucle, la retransmission télévisée de l’enterrement ! Et quelle ne fut pas ma stupéfaction horrifiée d’apprendre par la suite le traitement qui avait été réservé au Zaïm dont le catafalque avait été transporté dans la soute d’un avion ! Je ne pardonnerai jamais à ceux qui ont commis ce suprême outrage.

C’est dans ce désir, voire cette nécessité, éprouvée par une partie de la population, d’une réhabilitation, même posthume, de Bourguiba en tant que victime de Ben Ali que se situe les premiers éléments de réponse de ce retour du Bourguibisme.

Le besoin de se faire pardonner…

Autre levier, à mon sens, de la montée du Bourguibisme est cette charge affective envers l’œuvre et la personne de Bourguiba. Une nostalgie et un sentiment de culpabilité trahissent ces “pèlerins” de son mausolée érigé à Monastir, sa ville natale. Ils comptent par milliers ce 6 Avril 2011.

Ces nostalgiques sont surtout ceux qui ont côtoyé le Président Bourguiba et l’ont accompagné dans l’édification du nouvel Etat tunisien. Ce sont, les mêmes, qui ont animé et contribué à cette effervescence d’idées, de tous bords, qui a secoué et la société et la génération de l’indépendance. Mais, ils sont, aussi, ceux qui ont vécu toutes les dérives et le déclin de Bourguiba. Et cette fin les hante car, impuissants ou lâches, ils l’ont laissé tomber.

Quant aux inconnus, nombreux, ils plongent dans l’ère bourguibienne comme pour comprendre comment la Tunisie a basculé dans le règne de la médiocrité 23 ans durant.

Le besoin de nier le Benalisme…

Autre raison possible est que Bourguiba est présenté, le plus souvent, comme étant le contre exemple de Ben Ali. Car tout, ou presque, les oppose. D’une part, un bâtisseur, cultivé, intègre et ayant le sens de l’Etat. De l’autre, un pilleur, chef de réseaux occultes sans scrupules, ignorant et transgressant toutes les lois de la République.

Une frange de tunisiens s’identifie dans le “Zaïm” Bourguiba, partageant ses valeurs et défendant son œuvre. Niant, ainsi, toute une phase de leur histoire celle de Ben Ali qui est, désormais, l’incarnation du mal, infréquentable et impardonnable.

Quant à Bourguiba, et même pour ses abus et son pouvoir absolu, on lui trouvera des circonstances atténuantes. Son actif plaide en sa faveur. La modernité, les droits de la femme, l’éducation … ne lui sont-ils pas attribués ?

L’opportunisme politique…

La raison la plus sordide est, peut être, celle-ci. Rallier le Bourguibisme et s’approprier son héritage politique pourraient “sauver la face” tel est le mot d’ordre de certains opportunistes. Leur motivation n’est que politicienne. En se démarquant de l’ère Ben Ali, ils étaient pourtant complices, ils essaient de retrouver une virginité, une position dans le nouveau paysage politique qui leur garantira, qui sais-je, une impunité tant recherchée…

Leur opportunisme sera, très vite, mis à nu et leurs basses manœuvres seront vaines.

Aussi, attribuons-nous, cette recrudescence des appels en faveur du Bourguibisme à la désertification de la scène politique, actuelle, œuvre préméditée de l’ancien dictateur.