Par Ali Gargouri

Le journalisme en Tunisie était pendant près d’un quart de siècle, et tout au long de l’ère de Ben Ali un journalisme de gratitude, superficiel, sans âme. Une presse féodée pour ne pas dire formatée, étant donnés sa structuration et sa dépendance financière, les modalités de recrutement de ses effectifs et les modes de fonctionnement pour l’exercice de ce métier. Si ce n’est pas des tribunes sur le sport, la musique ou les faits divers, c’est majoritairement pour ne pas dire exclusivement une revue de presse des faits, bienfaits du seul et unique sauveur de la nation, ainsi que sa belle famille et les premiers cercles du pouvoir.

Cette presse, ces médias (dans les deux langues, tous supports confondus) ainsi que l’ensemble du payasage médiatique “classique, ne s’aventuraient pas sur le terrain de la critique : critique de la politique économique, sociale, des actes de censure… Ils ne soulevaient aucun débat..

Je me demande alors, et je pense que c’est légitime, si les journalistes en herbe ont été formés à ces modalités de travail et ont subi ce formatage dans les quelques écoles de journalisme du pays ou c’est “la pression du travail” et le gagne-pain qui a fait qu’ils ont oublié certains pré-requis professionnels. Après je ne m’étonnerais pas quand je vois que Belhassen Trabelsi disposait d’une carte de journaliste !

Je me rappelle avoir connu un des fondateur de plusieurs magazines qui vantait l’ex-président et sa famille alors qu’il se présentait comme un opposant ! Est-ce bien ça qu’on lui a appris à l’école de journalisme ?

Depuis que je vis en France, je m’intéressais très peu aux médias tunisiens, je ne les consultais presque jamais étant donné leur côté de confiance au-dessous ou proche de zéro.

Depuis le départ de Ben Ali, je me suis dit que c’est l’occasion que les choses évoluent et j’ai commencé à me mettre à jour en lisant la vingtaine de médias disponible à ce jour. Mais la déception était encore une fois au rendz-vous. Aucun changement de fond, aucune profondeur de traitement de l’information, très peu de contenus proposant des idées constructives, de vraies fausses critiques, et surtout une course à la médiatisation, au clic et à la peoplisation de l’information.

Si je prends le cas par exemple des autorisations de création des partis politiques, je n’ai vu passé aucune explication (dites moi si je me trompe) relative à leur programme, leur tendance, les modalités de financement de leurs activités, les compte-rendu de meeting qu’ils proposent…

Le seule media Web qui a parlé des partis politiques est businessnews, en reprenanat le documents wikipédia et on y ajoutant quelques attributs graphiques.

Un élément qui me semble révélateur de ce manque de professionnalisme est l’absence de contenus relatif aux différents meeting organisés par Ennahdha. Seuls les videos sur Facebook et les messages sur Twitter, avec leur lot de désinformation et d’inexactitudes constituent le peu d’activité journalistique citoyenne du pays. A part peut être des incidents et des faits divers relatés par ces médias, nous assistons à une forme de black-out de la part des journalistes de la place… un traitement des infos sur ces partis politiques leur fait peur ? ou est-ce que Ennahdha est mieux organisée ? Peut être qu’il s’agit d’une tentative de temporisation de la part de certains journaleux qui attendent l’élection d’un nouveau “patron” pour faire ce qu’ils maîtrisent le mieux : lui faire l’éloge.

Aucun journaliste ne s’est intéressé au financement d’Ennahdha ? pourquoi ? ils ne maîtrisent pas les techniques et méthodes d’investigation ? Ils manquent de moyens ? Ou de volonté ?

Toutefois, je me rends compte que je m’informe mieux et plus en passant par d’autres médias, qui se trouvent être des médias étrangers :

– Le site OWNI.org lâche une bombe le 3 mars 2011 concernant le scandale de l’implantation d’Orange en Tunisie mais personne ne semble s’y intéresser, à part l’opérateur français bien évidemment !

La société canadienne Dualex annonce qu’elle estime à plusieurs centaines de milliers de barils, voire plus, les réserves pétrolières à Bir Bouhajla mais personne ne semble s’y intéresser, alors que la population ne cherche qu’à trouver des emplois

La Suisse annonce officiellement que la demande de la Tunisie portant sur la restitution de l’argent de Ben Ali est insuffisante mais personne ne semble s’y intéresser. La seule réaction, c’est d’accuser la Suisse de non coopération, sans remettre en cause, le manque d’éléments fournis par les autorités tunisiennes actuelles !

– Des documents authentiques démontrent l’implication de plusieurs organismes bancaires et gouvernementaux dans des scandales financiers comme ceux de la Banque du Sud mais personne ne semble s’y intéresser.

– Hedi Jilani ancien patron de l’Utica qui a été blanchi, a pu récupérer l’usus et le fructus de ses biens

Un travail de cartographie des biens de l’ancien président Ben Ali, Leila trabelsi et sa famille

La promotion du général Ammar dont les médias français ont parlé en premier s’avère déjà publié dans le JORT depuis le 12 avril. Comment est-il possible alors d’expliquer ça ! Surtout en voyant un documentaire produit par la chaine TV nationale qui se rapproche plus à une mise en scène télévisé d’un numéro du roman policier Adham Sabri qu’un travail journalistique professionnel. Une auto forme de censure ou plutôt d’auto-censure ? La peur, mais de quoi ? Peut être qu’ils attendent un autre “Maître” qui les guidera, leur donnera des directives et des ordres pour s’exécuter et s’auto-féliciter ?

L’heure est grave comme diraient certains. Beaucoup de médias actuels (sans parler des autorisations qui viennent d’être accordés à de nouveaux intervenants sur la scène médiatique) méritent qu’on leur retire leur carte de presse. Un travail de refonte du cadre règlementaire et des pratiques professionnelles est plus que nécessaire pour assurer la survie d’un des métiers les plus nobles de l’Histoire. Il n’est pas exclu non plus de leur demander de rendre des comptes quant à leur soutien au régime de l’ex-président Ben Ali.

Un nouvel air souffle depuis quelques années sur une population jeune, sensible et motivée pour redorer le blason du journalisme tunisien, avec les nouvelles pratiques actuelles : blogging, journalisme citoyen, data-journalism etc