Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Par Lotfi Aïssa.

En terminant la lecture de l’ouvrage de l’anthropologue anglais Jack Goody « The Theft of History » traduit en français sous le titre « Le vol de l’histoire : Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde », une question loufoque sauta brusquement à mon esprit : S’il est historiquement prouvé que c’est présomptueux de croire que seul l’Occident aurait inventé la démocratie, le capitalisme de marché, la liberté individuelle et même l’amour courtois fruit de sa modernisation urbaine et que de tels éléments se retrouvent du moins à l’état embryonnaire dans bien d’autres sociétés, pourquoi une société comme la notre et après avoir réussit la première cyber-révolution dans l’histoire de l’humanité ne voudrait-elle pas garantir sa transition démocratique et déjouer tous les scénarii en offrant le pouvoir suprême à la seule militante audacieuse et créatrice de renom impliquée aujourd’hui dans les instances politiques provisoires ?

Bouazizi, le Jan Palach tunisien s’est immolé le 17 décembre par le feu, son décès survenu quelques jours après suite à ses brulures sonna le glas de l’ancien régime et ouvra le pays sur un printemps révolutionnaire porteur de frilosité de trouble et d’espérance bien évidemment. Notre « président-philosophe », le Vaclav Havel de la nouvelle Tunisie dont la trajectoire de vie peut prétendre au qualificatif Kunderien « d’œuvre d’art » a gratifié les inconditionnels de son art exceptionnel, militant, expérimental et collectif depuis 1976 date de la fondation du la compagnie du Nouveau Théâtre de tant de chefs-d’œuvre théâtraux et cinématographiques de haute facture.

De l’Instruction à Yahya Yaïch en passant par Comédia, Familia, Aïda, Junun, Khamsoun et j’en passe la talentueuse comédienne ovationnée pour ses performances détonantes, la fine dramaturge du psychodrame à la tunisoise et l’auteur scénariste d’un cinéma alternatif a su susciter la curiosité et l’intérêt d’une jeunesse instruite, usant sa culotte sur les bancs de l’école républicaine, croyant aux vertus du mérite et militant pour l’égalité des sexes et des chances entre tunisiens. Ceux-là même qui se reconnaissent aujourd’hui avec une facilité déconcertante dans sa quête de liberté et surtout dans son combat pour une émancipation irréversible d’une Tunisie mosaïque et citoyenne.

Je comprends parfaitement que d’aussi extravagantes qu’impromptues tergiversations pourraient troubler l’humilité d’une militante qui a toujours préféré travailler dans le silence et que seule une croyance indéfectible dans le génie créateur de ses compatriotes l’a poussé à changer de fusil d’épaule, mais je n’ai pas pu – et qu’elle m’excuse l’audace- ne pas saluer un itinéraire exceptionnel auquel je me reconnais avec tant d’autres tunisiens et ce en imaginant le temps d’un furtif instant qu’une comparaison même si elle n’est pas raison rapproche beaucoup plus qu’une opposition tranchée entre pays d’Occident et pays d’Orient.