Par Bassam Bounenni.

Ne tournons pas autour du pot : la police tunisienne nécessite un balayage. C’est un vaste chantier qui doit s’ouvrir dans le cadre de l’édifice de l’Etat de droit et des institutions. Tourner la page, en évitant de faire la lumière sur plusieurs décennies d’abus, d’excès et de dérives portera un coup fatal au processus de normalisation entre l’appareil sécuritaire et les citoyens.

La Tunisie de Ben Ali n’était pas uniquement mafieuse mais aussi et surtout policière. On avance le chiffre de 150 mille policiers pour une population frôlant les 11 millions d’habitants. Sans compter les indics et autres subordonnés. Jouissant d’une impunité absolue, les services de sécurité, auteurs d’abus de pouvoir et d’atrocités, échappaient régulièrement à toute forme de sanction.

Changement, dites-vous ?

Depuis le 14 janvier, les gouvernements transitoires successifs ont manqué de fermeté voire de volonté pour réformer cet appareil très contesté. Hormis la dissolution de la police politique et la suspension de dizaines de hauts gradés, aucune personne n’a été poursuivie en justice pour le bain de sang commis au cours de la Révolution. Pis, tout laisse à croire que les différents services du ministère de l’Intérieur n’ont toujours pas abandonné leurs vieilles pratiques. Ainsi, a-t-on enregistré la répression de plusieurs manifestations, l’agression de journalistes, des accusations de torture et de viol – comme dans le cas présumé du jeune Oussama Achouri -.

Pourtant, des milliers d’agents sont descendus, aux les premières heures ayant suivi la chute de Zine El Abidine Ben Ali, dans les rues pour crier haut et fort leur désolidarisation avec le régime déchu, promettant au peuple de meilleurs lendemains. “Plus jamais ça”, scandaient-ils.

Une RSS

Mais, les bonnes intentions pourraient-elles suffire pour que l’appareil sécuritaire puisse surmonter les vieux dossiers ? Dans les phases de transition, plusieurs Etats ont opté pour la Réforme du système de sécurité (RSS). Fondée sur des principes précis, à savoir la responsabilisation, la transparence, l’égalité, la protection des civils, les normes démocratiques et le respect des droits humains, cette formule vise, à long terme, à faire de la sécurité un domaine de droit et une garantie pour une citoyenneté responsable. Cela étant, le concept de “sécurité” ne concerne pas simplement les institutions centrales, mais s’étend aux tribunaux, au système pénitentiaire ainsi qu’aux organes de contrôle civil, tels que le parlement. La RSS devient, alors, la pierre angulaire de la bonne gouvernance.

Certains pays ont même dépassé le concept de réformé pour parler de transformation des services de sécurité. En Afrique du Sud, la police avait pour mission de défendre le système politique de l’apartheid qui assurait la domination blanche, contre les mouvements de libération de la majorité noire. Mais avec la fin de l’apartheid et les premières élections démocratiques de 1994, le principe de transformation a mené la police à faire de la sécurité de la population et de la protection des libertés sa préoccupation primordiale.

Fin de l’impunité

Tout cela pour dire que pour promouvoir la bonne gouvernance et la primauté du droit et le respect des droits de l’Homme, il est essentiel de mettre en place un système de sécurité efficace et responsable ainsi qu’un système de justice impartial et accessible dans un Etat fragile, des suites de plusieurs décennies d’autoritarisme.
Mais, avant cela, force serait de faire la lumière sur les antécédents des services de sécurité, véritable Etat dans l’Etat, voire l’Etat au sein du non-Etat.

Car, l’impunité ne ferait qu’attiser les tensions entre la police et les citoyens. “Non à la chasse aux sorcières”, avertissent certains. Mais, pour d’autres, il s’agit de panser des plaies. De chercher justice. Il y va, d’ailleurs, dans l’intérêt des services de sécurité. Car, ce que retiendront les annales de l’Etat policier de Ben Ali n’est pas des moindres.

L’alibi du vide sécuritaire

Toutefois, cette œuvre est semée d’embuches. Des caciques de Ben Ali sont toujours influents ou jouissent de l’indifférence des différentes instances d’investigation. Ajoutons à cela le rôle douteux des médias qui banalisent, d’une part, les crimes commis par la police contre le peuple tunisien, et brandissent, d’une autre part, la menace exagérée du vide sécuritaire. Les partis politiques n’étant pas impliqués dans la restructuration de l’appareil sécuritaire, contribuent, quant à eux, à la dépolitisation du dossier. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une question cruciale pour la consolidation de vraies et solides pratiques démocratiques.

L’aboutissement de la Révolution tunisienne passe, donc, inévitablement par un processus juridictionnel, afin de juger les criminels de la police à leur juste valeur, sans concessions, ni surenchères. Et, partant, reconfigurer la doctrine de l’appareil, dans le strict respect des principes fondamentaux de l’Etat de droit et des institutions.