Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Par xena,

Cette note est une réponse à une attitude des « Tunisiens autochtones » à l’encontre des Tunisiens vivant à l’étranger qui consiste à les exhorter au silence sous couvert qu’ils sont à l’étranger, et par conséquent incapables de comprendre la situation en Tunisie… voire pire encore, n’ont aucune légitimité à exprimer leur opinion et encore moins de condamner certains abus comme par exemple la dernière vague de violences policières. Certains souhaiteraient même la passer sous silence ou pire encore la justifier au nom du maintien de l’ordre :

Certes, les tunisiens vivant à l’étranger ne sont pas sur place mais souvent leur famille y est et certains d’entre eux ont certainement été confrontés à cette violence aveugle et féroce perpétrée à l’encontre de personnes pacifiques levant leurs bras en signe de soumission ! Rien ne justifie de telles barbaries!! Et encore moins celles qui se poursuivent après le 14 janvier et tout ce sang versé!!!

Je suis pleinement consciente qu’il faut du temps pour que ces pratiques changent mais cela n’implique pas de fermer les yeux sur de telles violences. Je sais pertinemment que rien n’est noir ou blanc, et qu’il y effectivement des casseurs, des jeunes qui provoquent la police et qui doivent être punis mais il y a une majorité qui manifeste pacifiquement et qui a des revendications tout à fait légitimes… et d’ailleurs combien même elles ne l’étaient pas, cela ne devrait pas remettre en question le droit de s’exprimer, ni justifier les violences perpétrées…

Ces personnes qui nous exhortent au silence devraient réaliser que cette répression féroce et abjecte peut un jour les concerner ou concerner leurs proches ou leurs enfants ! Cela n’arrive pas qu’aux autres…

Elles doivent également intégrer que vivre en dehors de la Tunisie n’implique pas nécessairement que l’on soit moins apte à appréhender la situation et en avoir une lecture pertinente!!

Ce genre de raccourcis, (comme s’il fallait être sur place pour pouvoir donner son avis et être apte à comprendre la situation) est arbitraire, déconcertant et dénote le manque de maturité et de clairvoyance de certains concitoyens qui croient détenir la vérité et ne respectent pas l’autre dans sa différence …

Ce n’est pas parce que l’on est pas géographiquement pas en Tunisie, que cela fait de nous des personnes moins apte à porter un jugement pertinent, à se sentir impliqué et surtout d’avoir le droit de s’exprimer sans être agressé par certains “autochtones” qui croient détenir la science infuse et comprendre la situation mieux que quiconque…

Ces personnes doivent également comprendre que les tunisiens qui vivent à l’étranger et par voie de conséquence non confrontés directement à la violence et au stress ambiant, se sentent investi d’une responsabilité que chacun tente d’assumer avec ses moyens et ses compétences via :

  • des groupes de réflexion tentent de trouver des solutions concrètes par rapport aux défis qui nous attendent (économiques, sociaux, etc.),
  • le social ou l’humanitaire en s’impliquant dans des associations
  • la diffusion un éclairage sur la situation via divers supports de communication (articles, vidéos, blog etc.)et en dénonçant certains abus car justement ils peuvent le faire sans vraiment risquer leur vie (du moins j’espère) …

En résumé, les tunisiens qui vivent à l’étranger ne sont pas moins patriotes, moins tunisien, moins objectifs que les “tunisiens autochtones” et en particulier ceux qui ont opté pour une stratégie oh combien pratiquée : celle du silence ou de l’évitement … Mais quand ton voisin se fait battre, tôt ou tard cela finit par te concerner et c’est ce que certains tunisiens ne veulent toujours pas comprendre et intégrer!!

Quand Bouzazi s’est immolé, beaucoup de tunisiens ne se sentaient pas concernés et considéraient cela comme de l’ordre du fait divers ..un de plus parmi d’autres qu’il n’était pas nécessairement utile de le relever…Certes, cette attitude pouvait se comprendre vu le caractère plus que surprenant et surtout l’enchainement inattendu de la suite des évènements….

L’effet d’un battement d’ailes d’un papillon diraient certains… qui provoque une tornade à l’autre bout du monde (et c’est ce qui s’est réellement passé !) ..C’est pour vous dire à quel point nous sommes tous connectés à l’échelle mondiale et encore plus aujourd’hui avec les NTIC qui font du monde un “village planétaire”. Cette interconnexion est encore plus vraie l’échelle d’un pays, d’une ville etc. et c’est ce que nous a appris cette révolution 2.0.

En effet, aujourd’hui, à postériori et avec du recul par rapport à cette révolution et le cheminement qu’elle a pris, nous devrions tous comprendre que le malheur de d’autrui finit toujours par nous toucher (directement ou indirectement) …

C’est non sans une certaine consternation que j’ai observé que quand il y’a eu des morts pendant cette révolution, d’autres tunisiens continuaient à partager allégrement de la musique et faire la promotion des soirées etc…Pire encore d’autres s’en amusaient en écrivant sur leur statuts “Sidi Bou Saïd vs Sidi Bouzid” ou “peuple de merde” ou autres blagues de mauvais goût dénigrant ces tunisiens venus du centre et du sud …

Mais fort heureusement, certains ont eu l’intelligence de se remettre en question et de changer d’attitude et de l’affirmer…et d’autres continuent, hélas, jusqu’à aujourd’hui, à avoir une attitude bornée et égocentrique…

N’en déplaise à certains, lors de cette révolution ce sont ces tunisiens venant des villes les plus défavorisées qui ont donné une leçon de civisme, de solidarité et de courage à une pseudo “élite” frileuse, dépassée par ce qui se passait, egocentrique, et pensant détenir la science infuse et être plus intelligente que ce “peuple” .

Ceux qui ont dormi dans le froid et risqué leur vie pour qu’enfin nous puissions tous relever la tête et enfin exister en tant que citoyen et entité pensante capable de contribuer à la construction et l’évolution de son pays et non une entité passive préoccupée uniquement par son ventre et son bas ventre….

Cela me renvoie à la déclaration de Chirac en 2003, lors d’une visite officielle en Tunisie, au cours de laquelle il a confirmé et salué le respect des droits des tunisiens… en les limitant aux droits les plus élémentaires : le droit de manger et d’avoir un toit” (la SPA réserve les même droits aux animaux qu’elles récupèrent :).

J’ai vécu cette déclaration de Chirac comme une offense à tout un peuple réduit à des entités consommatrices non concernées par les libertés d’expression , d’association etc. Bref le droit d’exister en tant que citoyen et respecté quelque soient ses opinions, ses choix de vie, sa religion etc…

Au yeux de nos bourreaux directs ou indirects, nous n’étions qu’un peuple assimilé à un troupeau de moutons au sens propre et figuré.. Ceci dit, je crois beaucoup à la notion de responsabilité et récuse fortement la tendance à considérer l’autre comme la source de ses malheurs ou déboires…

D’ailleurs, auparavant, je disais souvent que les tunisiens avaient le régime et le président qu’ils méritaient. En effet, j’ai toujours pensé (et à tort compte tenu de la contribution active de la jeunesse à cette révolution) que la majorité des jeunes tunisiens étaient happés par des préoccupations bassement matérielles et sans aucune conscience politique ..

Lors de cette révolution, j’ai découvert le peuple tunisien et j’en suis tomée amoureuse…Je suis fière de tous ces jeunes instruits, courageux, créatifs, matures… et entre autres ceux qui ont dormi à El kasbah, sacrifié leur confort et leur sécurité et qui nous ont donné une leçon de courage, de patriotisme et de solidarité, nous qui étions bien au chaud chez nous…

A mon sens, si nous devions tirer une leçon de cette révolution, c’est l’humilité et la remise en en question de nos jugements et notre regard sur cette “autre Tunisie” que l’on a occultée consciemment ou inconsciemment pour nous focaliser sur “le miracle économique tunisien” admirant toutes ces pacotilles violettes, une couleur considérée parfois (et à juste titre pour le cas de la Tunisie) comme une couleur désagréable car elle évoque la mélancolie et la solitude ou le besoin d’identification à un modèle…Zaba a incarné “un modèle” imposé et omniprésent et ce même chez l’épicier du coin:). Il nous a plongés dans une solitude inconsciente, car ce n’est qu’après le 14 janvier que nous avons commencé à interagir, à échanger et se découvrir…

Cette révolution m’a permis de découvrir une nouvelle facette de mon entourage, de mes amis, de ceux qui ont décidé de me supprimer de leur contacts parce que j’ai eu des opinons différentes des leurs….et surtout de nouvelles affinités et de nouvelles rencontres virtuelles entre deux entités pensantes animées pas les même valeurs et le même objectif : contribuer à la construction d’un avenir meilleur pour les générations futures et endosser pleinement notre rôle de citoyen responsable et pensant (et ce que nous soyons en Tunisie, ou ailleurs…)

Mais au vu de des réflexions du type : ” tu ne vis pas en Tunisie, tu ne comprends rien et tais toi..”je suis à la fois déconcertée mais commence enfin à comprendre et expérimenter le mécanisme par le quel Ben Ali a pu se maintenir au pouvoir pendant si longtemps…

Mais vient un moment, ou l’on s’arrête deux secondes et on se dit: j’essaye de” me battre” (en toute modestie et chacun avec selon ses possibilités) sans rien attendre en retour, si ce n’est la fierté de voir mon pays évoluer dans le bon sens ou du moins ce qui me semble être le bon sens et en retour mes contacts tunisiens m’invitent parfois gentiment et parfois d’une façon agressive à me taire car le fait d’être à l’étranger fait de moi “moins tunisienne” qu’eux, moins patriote qu’eux , moins apte à comprendre la situation, moins concernée par ce qui se passe et moins légitime à ouvrir ma gueule et critiquer…Ont-ils seulement conscience que la critique n’est pas forcément négative …et qu’elle peut s’inscrire dans démarche constructive afin d’avancer…

N’ont-ils toujours pas compris que tôt ou tard, eux aussi, pourront avoir à faire à la barbarie du système policier ou aux abus d’un système judicaire nauséabond???

Oui messieurs les détenteurs de la vérité absolue, ça n’arrive pas qu’aux autres et le malheur de notre voisin finit tôt ou tard par nous atteindre …Il m’arrive parfois à penser à ces instants de terreur (et encore j’estime que j’ai eu beaucoup de chance par rapport à d’autres..) au cours desquels j’ai connu la négation totale de l’être humain dans ses droits les plus élémentaires: la protection de l’intégrité physique et morale des individus…

Désormais, j’ai presque envie de laisser le soin à ” la majorité silencieuse” de continuer à se taire en guise de soutien au gouvernement transitoire, et je devrais en faire autant c’est certainement plus reposant!!!