Avant le 14 Janvier, un nombre restreint de partis politiques a eu le mérite et le courage d’évoluer dans l’opposition et la répression. Il s’agit, pour eux aujourd’hui, d’asseoir la réputation durement acquise sous Ben Ali. Apres le 14 Janvier, un nombre impressionnant de partis politique se sont créés pour certains et ont commencé à prendre de l’ampleur pour d’autres. Pour tous, l’important est de proposer des réformes innovantes et réalistes.

Ces différents partis politiques dessinent actuellement le futur de la scène politique tunisienne. Il est de notre devoir de citoyen de nous tenir informé des différents programmes politiques, économiques, sociaux et culturels que présenteront les politiciens.

L’échiquier politique étant vaste, il sera alors du devoir d’un journaliste politique de sélectionner certains partis, tous ne pouvant être étudiés par une seule personne. Un choix sera fait et l’analyse politique sera publiée à raison d’une fois par semaine environ, jusqu’aux élections du 23 Octobre.

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Interview de M. Moussine Jaziri un des Porte-parole d’Ennahda

M. Moussine Jaziri (au milieu) lors d'une conférence de presse à Paris

Pour entamer cette série, le choix a été porté sur Ennahdha,l’un des partis les plus controversé de la scène politique tunisienne. Interdit depuis le début des années 90, le représentant de l’islam politique en Tunisie revient en force et ne compte pas faire de la figuration lors des prochaines élections du 23 octobre 2011.

La ligne politique du parti pourrait être interprétée sur un échiquier occidental comme étant de droite conservatrice. La longue période d’exil pour certains et pour d’autres d’emprisonnement, de torture et autres types d’exactions subies ne permettent pas au parti d’avoir un programme politique, économique et social bien établi et construit, pour le moment.

La priorité du parti est de « réussir des élections démocratiques et aller vers une vraie démocratie ”. La volonté affichée est d’aller vers « une République tunisienne ou la justice serait indépendante et ou les médias seraient libres », rappelle M.Jaziri.

Les priorités économiques seront les suivantes : remédier au problème du chômage mais également celui du déséquilibre entre les régions ou il faudrait redistribuer les richesses et développer l’infrastructure. Mettre l’accent sur le secteur de l’agriculture sera primordial également. Il s’agira de trouver des investissements étrangers et de relancer le tourisme à travers un angle plus culturel et une accentuation des normes de sécurité.

« Les libertés individuelles ne seront absolument pas remises en question » ni en ce qui concerne le code du statut personnel pour la femme ni en ce qui concerne « la liberté de culte ou de non culte ». M.Jazziri ajoute par ailleurs qu’il y a « une exception féministe en Tunisie, la femme doit lutter pour cela, et notre parti la soutiendra ». Sur la question un peu plus délicate qui est celle du port ou non du voile il indique que « les deux cas sont normaux et que les filles seront apte à choisir. »

Enfin le message que souhaite transmettre M.Jaziri est le suivant : « La Tunisie doit aller vers une vraie démocratie, elle en est capable ! L’ensemble du peuple tunisien doit développer sa conscience citoyenne afin de pouvoir triompher il se doit !»

N’avez vous pas l’impression qu’il y a des divergences de positions au sein de votre parti au niveau de la chariaa par exemple ?

Aucun de nos responsables a parlé de l’application de la chariaa, je l’ai dis je le redis, on le redit ! On cherche une Tunisie renforcée dans sa culture arabo-musulmane, et qui est ouverte sur le monde d’aujourd’hui, un monde d’internet, un monde de facebook.

Les discours de Rached Ghannouchi sont tous cohérents. Il n’y a qu’un seul courant dans Ennahda, il y a un ordre politique fixe et hiérarchique, il y a une cohérence politique incroyable. Il y avait deux courant pendant Bourguiba et Ben Ali, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Evidemment il y a des dérapages parfois, mais ce n’est pas au sein de la hiérarchie. Entre la base et les élites, les différences sont parfois notables mais le problème reste identique dans tous les partis. Notre ligne de pensée est claire et tout le monde l’approuve au sein de Ennahda, nous voulons une république et évoluer dans un esprit démocratique.

Que répondez vous aux accusations selon lesquelles vos financements seraient étrangers ?

Personnellement, ca fait 21 ans que je suis en France, je travaille dans le domaine culturel et je suis bénévole pour Ennahda. Le parti Ennahda va entreprendre une campagne électorale, on va demander a tous les partis, toutes les associations, qu’ils nous montrent comment est ce qu’ils vont mener cette campagne. Il est nécessaire de savoir d’ou l’argent provient. Le parti Ennhada va montrer un bilan passif et actif de toutes nos actions, nos discours et tous ce qui est nécessaire et demandé. Nous demandons également à tous les autres partis de faire de même ! Nous voulons la clarté et la transparence ! Je ne sais pas si vous êtes au courant de cette rumeur mais, il a été dit que 50 millions de dollars ont été viré sur le compte d’Ennahda. La banque centrale tunisienne a menée son enquête, elle n’a strictement rien trouvé !! Je tiens à ajouter que s’il y avait un euro qui a été viré, vous le sauriez vu le nombre de journalistes qui traquent la moindre faute d’Ennahda !

Qu’avez vous a dire a propos des attentats des vingt dernière années ?

Des cas comme celui de Slimane ont été effectués par les djihadistes ! De toutes façons en 2009 on était en exil ! Notre parti na jamais fait d’attentats ! Ca existe même en Tunisie ! Ils ont été jugés et, aujourd’hui via la révolution ils sont amnésiées par le pouvoir tunisien. Ca na rien avoir avec Ennahda ! Penser que nous en sommes les auteurs, c’est impensable. Nous sommes le fruit de l’université tunisienne, nous sommes pacifiques. Ennahda c’est le peuple tunisien, nous ne tuerons pas les nôtres !

Que pensez vous des différents affrontements liés au film : ‘’Ni Allah ni Maitre’’, rebaptisé : ‘’Laïcité, nchallah’’ ?

Je trouve que ces derniers affrontements sont une véritable perte de temps, les idées extrémistes ne doivent plus exister ! On montre des vulgarités aujourd’hui, et en direct en plus ! Nous, politiciens, nous devons nous investir davantage afin d’apaiser le peuple. Ce qui se passe est périodique, ca ne reflète pas la réalité et la vérité tunisienne, qui est à l’inverse de ce film : pacifique ! Il faut se calmer. Ceux qui veulent toucher à la liberté de penser, de pratiquer et de limiter la liberté religieuse : il faut les arrêter. Les personnes athées ont le droit de vivre en liberté également. Il n’y a aucun problème, on est un peuple serein et calme, il ne faut pas croire aux conflits religieux en Tunisie. Ceux qui critiquent ce film ne sont pas d’Ennahda, ce sont des gens qui descendent la religion. Ennahda ne parle pas au nom de l’islam, mais le parti reste attaché au Coran. La société tunisienne a toujours trouvé la place pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. Le film ‘’Ni Allah ni maitre’’ a le droit de montrer ce qu’il veut mais est ce que son travail est critiquable c’est autre chose. On peut voir qu’on est dans l’idéologie, dans la provocation, on est dans l’antireligieux, ca na rien a voir avec la réalité tunisienne. Beaucoup sont tombés dans la provocation, je voudrai qu’on recentre le débat sur les choses nettement plus importantes comme la démocratie et la lutte contre le chômage ! Le débat autour de ce film nous éloigne de notre préoccupation actuelle. Est ce que le film est vraiment utile pour le contexte actuel ? Est ce vraiment nécessaire de créer des conflits ?? Je pense qu’une instrumentalisation de ce film est a envisager, ca me gène de le dire mais on en verra le résultats. La société tunisienne en sera la première perdante. Ca donne une mauvaise image de la Tunisie ! On na pas besoin de ca en ce moment…

A propos de cette phrase extraite du Coran : « Toutes réformes doivent être faites dans le temps » et que « tout peut être modifié », est ce que cela signifie que vous pourriez a terme changer vos versions ?

Je pense que vous faites référence a l’esprit des étapes, nous ne sommes pas des malins, au des intelligents, au sens mauvais du terme, nous ne voulons pas piéger qui que ce soit ! La société a déjà été assez piégée pendant Zine el Abidine Ben Ali. Cheihk a-fatah est quelqu’un de très intelligent, Ennahda ne cherche pas le populisme, on ne veut tromper personne, c’est notre pays, nous sommes les enfants de ce pays. Nous sommes même les plus légitime. Un parti du peuple ne piège pas le peuple, c’est un contre sens. Ennahda est le seul parti qui tient ses promesses.

Qu’est ce qui rattache le parti politique Ennahda à l’Islam sachant que nous les tunisiens, nous sommes en majorité musulmans ?

Ses racines culturelles… C’est une fierté tout d’abord, la culture arabo-musulmane a le droit d’être, elle doit même être exemplaire ! Nous voudrions que le monde arabo-musulman encore dominé pour beaucoup par la dictature, se refasse une nouvelle image, moins arriérée, plus moderne. Il nous faut une culture d’ouverture et de progrès. Ennahda comme parti politique ne change pas la religion, il change l’Etat, notre travail est de réformer l’Etat tunisien, aller vers une vraie République et une vraie démocratie. Ce sera à la société de réformer le plan religieux. Ce n’est pas au parti de le faire. Il fera partie du pouvoir donc il ne peut pas se mêler du domaine du religieux. Il y a une séparation entre la politique et la religion. Cette mouvance ce n’est pas Ennahda, c’est la société, peut être l’électorat… Il y aura des imams, des instances religieuses, et la société tunisienne. Il y aura aussi des associations, des muftis, qui se chargeront de savoir comment gérer et réformer le religieux dans ce pays. Ce sera la grande question de demain. Nous optons pour un Islam éclairé qui aura son rôle dans la société de manière éthique et pratique, il ne touchera pas aux libertés personnelles, mais il jouera un rôle important dans la société tunisienne.

Je tiens a vous dire à l’avenir notre comportement sera beaucoup plus visible comme parti politique et nous nous éloignerons de tout autre comportement. Hier nous étions obligé de défendre la religion et la politique, aujourd’hui nous pensons que le religieux trouvera sa place dans la société. Nous serons intègre et défini dans le champ politique. Nous sommes en pleine transformation et en pleine définition.

Pourquoi faudrait-il gérer et réformer le religieux en Tunisie ?

Parce qu’il est là et qu’il va nous dominer, il va dominer la société. Il y a un retour des salafistes et des partis comme tahrir ! La société autogérera la situation. L’état ne doit pas dominer la société. Le religieux aura son rôle et il sera important, n’challah. Il y a de l’extrémisme dans l’islam et il faut le combattre. Il faut moderniser ce domaine, c’est un travail philosophique d’interprétation, et le parti politique ne peut pas le faire. Il faudra un Etat fort qui sera a même de gérer tous les extrémismes.

Rached Ghannouchi a soutenu des propos sur la taxation de l’alcool et sur son éradication à terme du marché. Pouvez vous m’indiquer le positionnement du parti suite à cela ?

Effectivement il a expliqué que l’alcool serait taxé. Mais vous savez en France on taxe le tabac parce que la sécurité sociale est en déficit. Je pense que Rached Ghannouchi veut le bien de son peuple et à ce titre il voudrait taxer l’alcool pour la santé du peuple. En tout cas il n’y a aucun rapport avec la religion, on n’est pas dans la pratique de la chariaa. C’est certainement au sens de l’hygiène et de la santé, il aurait également pu parler du tabac. Nous savons que certains tunisiens boivent, nous n’avons aucun problème avec cela.

Quelle sorte de tourisme allez vous viser ? Concernant les pays du Golf ne craignez vous pas que l’on ne subisse les memes problèmes a terme (prostitution etc..) que le Liban ?
Le tourisme que l’on souhaite est celui qu’on appelle de haute gamme, aujourd’hui il existe en Suisse mais pas en Tunisie. Ce pays vise un certain public arabe ou musulman et je pense qu’on devrait le viser également. Je me balade un peu dans les quatre coins de la Tunisie et j’ai remarqué que la dégradation du service est grave dans le domaine du tourisme ! Il y a une défaillance, on doit arrêter ce système de nuitée quantitative. Ce n’est pas a moi de le faire comme politicien, ainsi on a invité des gens qui travaillent dans le secteur du tourisme et on prépare un programme qui sera dans la continuité mais ira vers de grandes réformes dans ce domaine.

Je parlais du tourisme de haute gamme, ca peut venir de la Russie, et de partout, mais vous savez certains russes sont aussi dangereux, comme n’importe quelle personne. Il y a des dépassements dans toutes les sociétés, on doit faire attention à ce que le tourisme soit un levier et non un trou béant.

Que pensez vous des propos tenu par Hamadi Jbeli au sujet de la polygamie ?

On n’opte pas pour la polygamie aujourd’hui, il n’y a aucune place dans notre programme pour ce type de pratique. Vous savez il y aura des lois et ces lois devront être respectées. On na pas le droit d’être polygame en Tunisie et on ne touchera pas a cette lois. Je ne pense pas qu’une telle loi passerait et je serai contre sa mise en place.

Quelle est votre vision du parti Hezb Tahrir ?

C’est un parti comme tous les autres. Il n’a pas eu son visa parce qu’il a tenu des propos un peu provocant. Je ne pense pas qu’ils seraient près à gouverner, il parle de Khalifa, etc.… Ils ont le droit à avoir une place, mais uniquement s’ils acceptent les règles du jeu.

Il se raconte que des évadés de prison ont rejoint Ennhada en échange d’un casier vierge, et qu’ils agressent les gens sur les plages (comme le fait divers de Bizerte), quelles sont vos positions sur ce point ?

Ennahda condamne tout ce qui touche aux libertés individuelle, il y aura plein de fait divers, j’en ai entendu a mehdia et tout… mais on les condamne a 100%. Vous trouverez Ennhada au devant de la scène pour garantir les libertés individuelles !

Sophie-Alexandra Aiachi