Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Nombre des jeunes migrants tunisiens arrivés d’Italie en France munis de titres réguliers de circulation continuent à vivre la pire détresse dans les rues de Paris sans que les représentants officiels de leur pays ne leur viennent vraiment en aide. Pourtant, les instruments pour ce faire ne manquent pas !

Un accord inutilisé à tort

Ainsi, l’accord cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire signé le 28 avril 2008 et comprenant deux protocoles additionnels et des annexes permet d’apporter une aide précieuse à nombre d’entre eux, sinon à tous.

Certes, dans cet accord, la motivation des autorités françaises était surtout d’obtenir des facilités pour la réadmission des ressortissants tunisiens en situation irrégulière, ce qui explique leur réticence à y recourir.

Il n’empêche qu’elles avaient dû y prendre quelques engagements du fait que l’accord a été placé dans un cadre de codéveloppement solidaire. Cela a constitué une concession puisque la France n’a pas eu de cesse, et ce depuis longtemps, d’obtenir de la Tunisie un pur accord de réadmission.

Déjà, du temps de mon exercice diplomatique au service social de l’Ambassade de 1992 à 1995, elle essaya en vain d’obtenir pareil accord auquel il fut répondu par un contre-projet d’accord liant la facilité de réadmission à la liberté de circulation, comme cela tombe sous le sens.

Dans l’accord finalement signé en 2008, l’aspect concernant la réadmission et l’identification des clandestins reste bien évidemment plus important aux yeux des autorités françaises que les mesures d’aide au retour et à la réinsertion, et encore moins d’admission au séjour et de facilité de circulation. Il n’empêche que les concessions faites se manifestent par des mesures concrètes que la Tunisie a tort de ne pas agir activement en vue de les mettre en oeuvre même si elle ne manquerait pas, ce faisant, de se heurter aux réticences de la France, ne serait-ce que du fait de les avoir acceptées à contrecoeur.

Pour cela, il ne serait pas étonnant qu’elle n’hésite pas à recourir à des arguties juridiques pour limiter la portée d’application de ces mesures aux Tunisiens arrivés d’Italie; il appartiendra aux diplomates tunisiens de faire montre d’intransigeance et de savoir oser s’opposer à toute tentative d’interprétation biaisée et restrictive de dispositions juridiques clairement exprimées de nature à profiter à nos ressortissants, en les situant notamment dans l’esprit supposé avoir présidé à la conclusion de l’accord, à savoir le développement solidaire à la mise en place duquel la situation de la Tunisie au sortir de sa Révolution offre le meilleur terrain d’expérimentation et d’épreuve de vérité pour les initiatives se voulant être les plus sincères et les plus volontaires dans ce sens.

Aujourd’hui, en effet, au vu de la condition de ces jeunes tunisiens en détresse en France et de la précarité de la sauvegarde de la modernité politique et sociale engagée en Tunisie qui ne saurait se passer du soutien du premier partenaire traditionnel de la France, et ce pour le moins dans le respect intégral et pointilleux, sans la moindre tentation de sophisme, de ses engagements contractuels, il est de la plus haute importance que les autorités diplomatiques et consulaires tunisiennes fassent montre de détermination en faisant en sorte de donner pleine application à l’accord précité dans ses effets les plus favorables à des ressortissants tunisiens désespérant de la protection qu’ils sont en droit d’attendre de leur pays.

Les jeunes de 16 à 18 ans peuvent choisir de rester en France

Ainsi, en vertu de l’article 2 du premier protocole annexe relatif à la gestion concertée des migrations, ajoutant un article 3 bis à l’accord du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail, tous les jeunes de 16 à 18 ans ont la possibilité de choisir de rester en France et, à cette fin, d’avoir le droit de conclure le contrat d’accueil et d’intégration prévu par la réglementation française.

En effet, les deux conditions exigées par cet article sont l’admission au séjour en France pour la première fois ou l’entrée régulière en France.

Il est bien évident qu’étant munis d’un titre régulier de circulation délivré par des autorités italiennes légitimes, nos ressortissants remplissent bien cette condition d’entrée régulière; dire le contraire, ce serait faire montre d’un juridisme sans fondement et, bien pis! de mauvaise foi que, peut-être, la situation politique intérieure française peut justifier, mais qui ne saurait en aucune façon lui donner validité juridique ni surtout une once de moralité.

Il est à rappeler que le contrat d’accueil et d’intégration est obligatoire en France depuis 2007, qu’il est conclu entre l’État français, représenté par le préfet de département, et l’étranger âgé de 16 à 18 ans qui est susceptible d’obtenir, entre autres, une carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle.

l’État français doit aussi, du fait de ce contrat, assurer en faveur dudit étranger un certain nombre de prestations, notamment de formation.

Le droit à une promesse d’embauche en Tunisie ou à un titre de séjour salarié sur présentation d’un contrat de travail

Par ailleurs, en vertu de l’article 2.3.1 du protocole précité, la France et la Tunisie sont tenues, dans le cadre de migrations pour motifs professionnels — ce qui est fondamentalement le cas des Tunisiens venus d’Italie — de favoriser la mobilité des jeunes entre les deux pays et de leur permettre, à l’issue de leur séjour, de revenir dans leur pays d’origine avec, si possible, une promesse d’embauche.

De plus, l’article 2.3.3. donne au ressortissant tunisien désireux d’exercer une activité professionnelle salariée le droit à un titre de séjour portant la mention « salarié », qui lui est délivré pour l’exercice, sur l’ensemble du territoire français, de l’un des métiers prévus par le protocole et ce sans que soit prise en compte la situation de l’emploi. Il suffit pour cela que le ressortissant tunisien présente un contrat de travail dans une des activités énumérées par une liste de métiers figurant à l’Annexe I du Protocole.

Il s’agit des domaines suivants :

  • Bâtiment et travaux publics
  • Hôtellerie, restauration et alimentation
  • Électricité, électronique
  • Maintenance
  • Ingénieurs, cadres de l’industrie
  • Transports, logistique et tourisme
  • Industries de process
  • Matériaux souples, bois,industries graphiques (industries légères)
  • Gestion, administration des entreprises
  • Informatique
  • Études et recherche
  • Banque et assurances
  • Commerce
  • Enseignement, formation
  • Télécommunications
  • Agriculture

Il est à noter que ce droit s’ajoute à celui prévu par l’article 3 de l’accord du 17 mars 1988 précité qui prévoit déjà la délivrance d’un titre de séjour valable un an renouvelable et de même nature pour le ressortissant tunisien qui présente un contrat de travail visé par les autorités après avoir subi un contrôle médical.

Il est vrai qu’initialement cette disposition était prévue dans le cadre du dispositif de droit commun supposant l’initiation de la démarche à partir de la Tunisie. Il n’empêche que, juridiquement, au vu des termes de formulation du texte et surtout de son esprit ainsi que de la situation actuelle de la Tunisie, rien ne doit s’opposer à son application aux Tunisiens présents sur le territoire français. Tout au plus pourrait-on, moyennant engagement formel à les reprendre, les inviter à suivre la procédure classique au départ de la Tunisie.

Il est à rappeler, d’autre part, que les autorités françaises se sont engagées, dans l’accord de 2008, à conjuguer leurs efforts avec les autorités tunisiennes pour faciliter la délivrance du titre de séjour susmentionné à 3 500 ressortissants tunisiens chaque année. Dans les faits, force est de constater que l’on demeure loin du compte, surtout si l’on fait le décompte depuis la date d’entrée en vigueur de l’accord, et donc de l’engagement, depuis le 1er juillet 2009, soit un minimum de 7 000 ressortissants de cette catégorie.

Le droit à un titre de séjour de travailleur saisonnier sur présentation d’un contrat de travail saisonnier

Dans le cadre du travail saisonnier, l’article 2.3.4. dudit protocole, prévoit que les ressortissants tunisiens peuvent prétendre à un titre de séjour pluriannuel portant la mention « travailleur saisonnier », d’une durée de trois ans, renouvelable, et permettant de travailler en France jusqu’à six mois par an.

Il suffit pour cela que le ressortissant tunisien présente un contrat de travail saisonnier d’une durée minimale de trois mois et qu’il s’engage à maintenir sa résidence hors de France.
Dans ce cadre, les autorités françaises se sont engagées à conjuguer leurs efforts avec les autorités tunisiennes pour faciliter la délivrance du titre de séjour « travailleur saisonnier » à 2 500 ressortissants tunisiens et ce chaque année.

Pareillement à la catégorie des travailleurs salariés, la France reste bien loin de ses engagements puisqu’elle aurait dû délivrer jusqu’ici ledit titre de séjour à un minimum de 5 000 ressortissants.

Le droit à des aides françaises en formation et à la création d’activité pour se réinsérer en Tunisie

Enfin, en vertu du deuxième protocole en matière de développement solidaire, la France a pris l’engagement d’aider à la formation et à la création d’activités productives en Tunisie, notamment dans les régions défavorisées.

Or quelle meilleure façon de le faire que de former et d’aider à se réinsérer en Tunisie les derniers migrants venant tous pratiquement de zones défavorisées en aidant à préparer de manière concertée entre les structures compétentes des deux pays les conditions de leur retour et de leur réinsertion économique en Tunisie, comme le prévoit l’article 6 de ce protocole?

Notons aussi que pour ce qui est des efforts de réinsertion sociale et économique des Tunisiens en France, l’article 9 de ce même protocole en fait bénéficier tous les ressortissants tunisiens établis en France de manière régulière ou irrégulière.

Certes, pour bénéficier du dispositif français d’aide à la réinsertion sociale et professionnelle qui comprend des programmes d’appui à la création d’activités économiques destinés à aider ces ressortissants à fonder une activité économique génératrice de revenus et qui incluent des formations professionnelles ainsi que des aides matérielles et financières au lancement et au suivi de leur projet économique, l’article 10 de ce protocole cible les ressortissants tunisiens qui, après un séjour en France, souhaitent rentrer en Tunisie pour y créer une entreprise; toutefois la durée de ce séjour n’est pas précisée et il est parfaitement possible et défendable d’étendre le bénéfice de cet article à tout séjour, même de courte durée et même particulièrement précaire, du moment qu’il est régulier selon la législation française et/ou européenne.

Il est important enfin de relever que d’après l’article 8 dudit protocole, la France s’engage en plus à favoriser avec la Tunisie des projets de coopération décentralisée et à appuyer auprès des instances européennes compétentes, en concertation avec la Tunisie, des projets de coopération décentralisée dans le cadre des programmes européens existants.

Voilà une batterie d’actions que des dispositions conventionnelles permettent bel et bien d’actionner en faveur de nos ressortissants et que les instances diplomatiques et consulaires tunisiennes en France seraient bien inspirées d’y recourir sans délai pour aider leurs concitoyens en difficulté.

Et ces mesures ne sont pas les seules à pouvoir être mises en oeuvre puisqu’elles ne font que s’ajouter à nombre de mécanismes prévus par la législation française et européenne qu’il suffira de songer à y recourir dans l’intérêt des ressortissants tunisiens pour peu que la volonté politique existe pour ce faire. Mais existe-t-elle vraiment, notamment en l’absence d’un cadre qui, délié des contingences politiques et idéologiques, soit dédié à pareille mission, tel le projet d’un observatoire socioculturel que j’appelais de mes voeux dans un précédent article ici même ?

Notons, pour terminer, que le texte intégral de l’accord franco-tunisien précité — ainsi que tous les autres accords franco-tunisiens — peut être consulté, entre autres, à l’adresse suivante : http://fothman.free.fr/index/indexacctn.html.