Finalement, Beji Caïd Essebsi, premier ministre du gouvernement de transition s’est décidé à répondre aux critiques émises contre le gouvernement provisoire quant à son faible rendement. Ces critiques concernant essentiellement la lenteur du jugement des symboles de la corruption et de la réforme du système judiciaire, le chômage et la cherté de la vie, les dérives sécuritaires et la situation des droits de l’homme, ainsi que le financement des partis politiques, se sont amplifiées ces dernières semaines, et ont été reprises sous la pression de la rue par les responsables des partis politiques représentés à la Haute Instance de la Protection de la Révolution, lors de l’entrevue qui leur a été accordée par le premier ministre le mercredi 17 août. Mais avant de voir si Beji Caïd Essebsi a répondu à toutes les questions, essayons d’abord de comprendre pourquoi a-il attendu jusqu’au 18 août pour réagir à ces critiques ?
En fait, force est de constater, qu’après avoir promis dès son premier discours du 4 mars 2011 la rupture totale avec le passé, plus de cinq mois après, les symboles de l’ancien régime sont toujours là, plus arrogants que jamais, certains d’entre eux poussant même le ridicule jusqu’à présider certains partis politiques candidats aux élections de l’Assemblée Constituante. D’autres, se baladent au vu et au su de tout le monde après avoir bénéficié de non lieux pour le moins douteux. D’autres encore sont même partis à l’étranger, et comble de l’ironie, après avoir été autorisés de quitter le territoire, ils sont maintenant recherchés par l’Interpole suite à une plainte du gouvernement Tunisien !
De plus, là où le bât blesse, c’est de remarquer que l’application de la décision d’exclusion des ex responsables du RCD et ceux qui avaient appelé à la candidature du dictateur déchu pour les présidentielles de 2014, baigne jusqu’à ce jour en pleine opacité. Le recyclage des cellules professionnelles du RCD en syndicat, et le rassemblement des partis d’ex destouriens et de RCDistes, ne peuvent qu’amplifier la crainte et le suspicion quant à l’issue des élections.
Sur ces deux points, le premier ministre s’est voulu rassurant, il affirme qu’une liste incluant les symboles de l’ancien régime encore en Liberté est en cours d’élaboration, le but étant de prendre des mesures préventives à leur sujet après la dissolution du RCD et l’exclusion de plusieurs d’entre eux de la vie politique.
S’agissant de l’assainissement de la magistrature, il s’est dit également satisfait de la création d’une commission au sein de l’Association des magistrats tunisiens qui aura pour mission d’élaborer une liste des magistrats corrompus. Le gouvernement prendra des mesures préventives à leur sujet dès l’obtention de la liste, a-t-il affirmé.
La question qui mérite d’être posée est de savoir si on peut réaliser en un mois à peine, c’est à dire juste avant le début de la campagne électorale, ce qu’on n’a pas réussi à opérer pendant cinq mois. Ne s’agit-il pas là encore une fois de promesses qui risquent de ne pas être tenues ou pour le moins éludées, comme celles faites le 4 mars 2011 ?
Quant au chômage et à la situation économique précaire d’une grande partie des tunisiens, notamment dans les régions dites « défavorisées », le premier ministre se limite à rappeler le programme mis en place par le gouvernement provisoire pour réduire les disparités entre les régions, désenclaver les zones démunies et créer des postes d’emploi moyennant une enveloppe de 125 milliards de dinars, sans donner plus de détail quant à l’échéancier et aux modalités d’application de ce programme.
Les deux dernières questions concernant les dérives sécuritaires et la situation des droits de l’homme, ainsi que le financement des partis politiques, ont été purement et simplement ignorées par Beji Caïd Essebsi.
Or, il n’échappe plus à personne que la situation sécuritaire dans le pays est plus que préoccupante. L’absence ou la faible présence d’agents de l’ordre continue dans certaines régions, et elle est en total contraste avec le fort déploiement policier à l’occasion de toute manifestation pacifique. D’ailleurs, d’après le premier rapport des Droits de l’homme sous Béji Caïd Essebsi, le bilan est sans appel : la torture continue, la répression résulte de décisions prises en haut lieu, une répression organisée, décidée au plus haut niveau et avec pour objectif d’instiguer la peur et d’intimider la population tunisienne pour la dissuader de manifester.
Quant à la question du financement occulte de certains partis politiques, en l’absence d’une législation claire et de garde fous dissuasifs, elle laisse la porte grande ouverte à toutes les manipulations intérieures et extérieures, qui risquent de donner corps à la somme de toutes nos peurs … un certain 23 octobre 2011, de voir le phœnix de la Dictature renaitre de ses cendres.