Avec ces mouvements, notre lexique s’est trouvé étoffé par de nouveaux termes dont on n’est pas habitué : révolution arabe, dignité des peuples, démocratie, mais aussi d’autres termes plus étranges tels que : illuminati, franc-maçonnerie, effet domino, etc.

Et la question qui se pose d’une manière intuitive est la suivante : les mouvements intervenus dans le monde arabes sont-ils le fruit d’une évolution normale des choses ou, au contraire, le fruit d’une manipulation à une échelle planétaire ?

Premier constat : il s’agit de mouvements qui se sont succédés d’une manière rapide mais enchainée, on a évoqué alors l’effet domino qui voudrait que la révolution tunisienne se propage d’abord à d’autres pays arabes, puis dans d’autres coins de la planète (Madrid, wall street, etc.). L’effet domino a été officiellement envisagé quand le secrétaire général de la Ligue arabe, l’Égyptien Amr Moussa déclare, le 19 janvier, soit 5 jours après la fuite du président tunisien, que « les citoyens arabes sont dans un état de colère et de frustration sans précédent ». De fait, dix jours plus tard, des troubles touchent plus ou moins fortement de nombreux pays arabes. La théorie des dominos appliquée au Maroc est énoncée début février 2011 en tant que « mythe de la contagion » dans l’hebdomadaire marocain Le Temps.

Deuxième constat : Le mouvement arabe a été boosté, si ce n’est causé, par l’effet d’internet et des chaines télévisées. Nous nous rappelons tous l’ampleur du vacarme créé par Aljazeera, Wikileaks, ainsi que des dizaines de pages et de messages dans les réseaux sociaux, principalement Facebook et Twitter. Jean d’Ormesson, pour ne citer que lui, souligne le rôle d’Internet et de la télévision qui ont permis « à la révolte de naître et de se développer » puis d’en répandre les images sur toute la planète.

Troisième constat : l’intervention des Etats-Unis dans les mouvements du printemps arabe est manifeste : les déclarations des hauts responsables américains, Clinton et Obama en premier, qui ont supporté les manifestations, invité les leaders arabes à se plier à la « volonté des peuples », mis la pression pour arrêter toute tentative à bloquer Internet et, last but not least, s’empresser à félicité les « changements » avant même que la vision sur l’aboutissement des choses devient claire. On se rappelle tous du responsable américain de la sécurité nationale dire, en invitant Mubarek de démissionner « now is now ».

L’intervention d’autres pays occidentaux n’est pas à occulter, mais tout le monde s’accordent que la France était en dehors du mouvement dans le cas de la Tunisie et l’Egypte, a joué en Lybie le sale boulot qu’a joué les Etats-Unis en Iraq.

Quatrième constat : toutes les révolutions arabes ont été, ou encours d’êtres, récupérées par des mouvements politiques d’inspiration islamiste. Par la même occasion, l’expérience tunisienne a démontré que les sensibilités de gauches ou progressistes ont été marginalisées, avec des résultats frôlant le ridicule.

Plusieurs questions se posent alors, suite à ces constats, pour lesquelles les réponses ne sont que fragmentées et incomplètes :

Premier ensembles de questions : Pourquoi l’effet domino n’a touché que certains pays et a épargner d’autres ? En d’autres termes : pourquoi l’effet domino est aussi sélectif que ça ? Le Maroc a échappé belle avec une « Révolution royale », les manifestations algériennes étaient très timides et rapidement avortées, les mouvements au Bahreïn on été tués au berceau. Mais aussi, la révolution yéménite qui semble n’intéresser personne est toujours bloquée. Tarek Ramadhan explique, dans une allocution, les secrets d’une révolution syrienne qui ne trouve pas le support habituel des occidentaux. D’après lui, la Syrie a joué depuis toujours un rôle idéal pour Israël en tant qu’ennemie nuisible mais pas dangereux, et qui est, de ce fait, utile pour justifier la politique géostratégique d’Israël dans la région. Ce que Tarek Ramadan oubli d’évoquer, c’est le fait que les morceaux du domino se sont arrêté à la frontière des pays du golf ! Pourquoi ? On verra.

Deuxième ensemble de questions : Jusqu’à quelle limite les révolutions arabes sont expliquées par la dégradation des situations économiques sociales et des libertés dans le monde arabe ? Certes la Tunisie était, aux dires d’un professeur de sciences politiques au Caire « un exemple extrême de dictature », l’Egypte, la Lybie ou d’autres pays de la région ne sont pas dans une situation meilleure. Toutefois, la situation ne date pas d’aujourd’hui. Le monde arabe a vécu des décennies entières dans des dictatures plus ou moins affichées. Et la situation économique n’explique guerre de tel soulèvement en Lybie. Pis encore, des soulèvements plus grave en apparence, tels que le soulèvement de la baie minière en Tunisie en 2008 n’ont pas donné le même effet, car, probablement, n’ont pas été récupérés par les forces manipulateurs qu’on évoque à fin 2010.

Pourquoi donc maintenant ? qui est derrière ? et pour quels mobiles ?

Afin de répondre à ces question : posons la question habituelle empruntée des sciences criminelles : à qui profite le crime ?

Plusieurs posts dans les réseaux sociaux essayent de trouver la réponse. Et pour cela, il faut revenir à 2003, à l’époque de George W Bush et l’invasion de l’Iraq. On se rappelle maintenant, comme par hasard, de ses allocutions sur la nécessité de mettre en place un « nouveau ordre » dans la région du moyen orient. On découvre, enfin, les cycles de formation, organisés par certaines institutions américaines, financées par le gouvernement fédéral ou par des fondations secrètes, et dont on a fait bénéficier des jeunes arabes, sur la thématique de « Mobilisation non violente des foules à travers internet et les réseaux sociaux ». On parle aussi d’un certain Popovich, qui était à l’origine du mouvement serbe contre Molosovitch et qui est derrière l’organisation de ces cycles de formation.

D’après certaines sources, ces cycles de formation ont été organisés en Jordanie. On atteste par la même occasion que tous les cyber-activistes se connaissent et ont coordonnés leurs activités durant les mouvements, mais encore, que le jeune Egyptien Ghonim a fourni les codes secrets nécessaires pour contourner le blocage s’internet en Egypte, et dont la source était le géant américain Google. On s’exclame aussi qu’on a refusé de fournir de tels codes au syriens. Inutile de rappeler dans ce cadre, qu’on n’avait pas besoin de ces codes en Tunisie, Ben Ali a cédé à l’époque aux pressions de Clinton, qui, en pleine « révolution » exige l’ouverture de l’espace cybernétique au lieu d’exiger d’arrêter la violence contre le peuple.

Les cycles de formation en Mobilisation non violente des foules, la multiplication des pages web et dans les réseaux sociaux fonctionnant selon le même mode opératoire, l’intervention des télévisions, les pressions des gouvernements occidentaux, la manière peu simpliste avec laquelle Ben Ali a fuit le pouvoir, la sélectivité constatée dans l’effet domino, toutes ces informations ne convergent pas vers la théorie du complot ?

Afin d’enfoncer davantage le clou, et pour analyser le constat de récupération des révolutions par les islamistes, parlons des élections tunisiennes du 23 octobre. Je ne doute pas des résultats du scrutin, qui a, à mon sens, reflété la réalité des urnes. Mais je me pose des questions quant aux préalables : un gouvernement laxiste par rapport au contrôle du financement politique, et dont le chef a visité une semaine avant la date buttoir l’oncle Sam, pour un séjour qui a durée pas moins que 4 jours. Des réclamations dans plusieurs bureaux de vote à l’étranger sur l’appartenance suspecte des responsables de bureaux face à un silence par rapport aux mêmes constats dans les bureaux locaux, un premier ministre français qui félicite Ennahdha pour sa « victoire » matérialisé par un score ne dépassant pas les 40% et j’en passe.

Il en résulte, en toute évidence, que les Etats-Unis a « décidé » du sort des révolutions arabes : placer les islamistes à la gouvernail des pays arabes. Mais pourquoi ?

Ceux qui ne croient pas à la théorie du complot sont influencés par certaines réalités apparentes, le coté apparent de l’iceberg soit-il. Ils sont tout d’abord influencés par la présence d’Obama à la tête des Etats-Unis, parce que, qu’on le veuille ou pas, il s’agit du premier président américain « black », de père musulman de surcroit, et qui a un certain capital sympathie chez les arabes et les musulmans. C’est lui aussi qui a décidé du retrait de l’Iraq, et qui s’est déplacé au Caire pour tendre la main aux musulmans. On oublie toutefois, qu’Obama n’est pas la politique géostratégique américaine beaucoup plus ancrée et structurée, et plus ancienne que lui dans le système américain. On oublie aussi les transactions occultes qu’Obama devrait faire auprès du lobby sionistes pour espérer avoir un deuxième mandat à la maison blanche.

Ceux qui ne croient pas au complot sont aussi influencés par le rôle que joue la Turquie, et surtout son emblème d’étiquette d’islamiste modéré Ardogan, dans la scène géopolitique arabe. Ils oublient toutefois que la Turquie est toujours laïque et qu’elle conserve encore des relations diplomatiques avec Israël. La Turquie, contrairement à ce que l’on croit, ne constitue pas de vraie menace pour l’occupant sioniste, et en même temps, aspire toujours à une place dans l’union européenne.
Ceux qui ne croient pas au complot le sont aussi, pour des raisons plus dogmatiques, car ils croient que l’ascension de l’islamisme est le fait de Dieu, qui, selon le « salaf », aidera les croyants à regagner la place de premier ordre dans le monde. Ils oublient ainsi, que les conditions d’une telle ascension ne sont pas encore réunies, Dieu ne change pas la condition d’un peuple jusqu’à ce qu’ils changent eux-mêmes. Avons-nous réellement changés pour aspirer à l’aide de Dieu ?
Dans le domaine de manipulation, il faut songer à la logique prospective et non pas prévisionnelle. Dans le sens où l’arbre de décision, ou d’analyse de causes à effets, doit contenir l’ensemble des possibilités envisageables.

La première possibilité serait donc d’« exporter » au monde arabe tous les mouvements islamistes, dont l’idéologie a été jugée par les occidentaux comme étant nuisibles pour leurs intérêts. A la charge des populations arabes de contenir leurs mouvements. A la charge aussi des islamistes les plus modérés d’« encadrer » les plus radicaux d’entre eux. Il s’agit là d’une stratégie à double objectif : neutraliser l’effet des islamistes dans les pays occidentaux et, par la même occasion, les livrer à leurs compatriotes qui seraient plus proches culturellement pour les maîtriser.

Cependant, cette stratégie, si elle se confirme, serait trop superficielle, parce qu’elle ne touche pas l’essentiel : l’origine des problèmes n’est pas les islamistes eux-mêmes, mais les inégalités internationales consacrées notamment par le couple Etats Unis – Israël à travers leurs agissements notamment en Palestine et en Irak.

Il faut donc aller au-delà de ce raisonnement trop simpliste, quoique plausible en partie. Actuellement, certains auteurs évoquent une nouvelle notion de « Regéopolitisation 2.0 », ou encore la prophétie de Bush sur le nouveau système géopolitique au moyen orient.

Toute est affaire de lutte de pouvoir et d’intérêt, ou selon Robert Broucard, « Derrière le spectacle du théâtre d’ombres que la presse distille aux ilotes, se jouent de véritables luttes de pouvoir pour le contrôle des peuples, des territoires et de leurs ressources. ».

Cette thèse a été affirmée par le dernier speech de Tarek Ramadan et par d’autres penseurs, chercheurs et imams. La géopolitique du pétrole est au cœur de la politique internationale et des marchés financiers. De nombreux pays sont au premier plan de cette géopolitique du pétrole, tels que l’Algérie, l’Arabie Saoudite et la Libye qui sont des pays exportateurs de gaz et de pétrole vers l’Europe, l’Asie ou l’Amérique. D’autres comme l’Égypte pour le canal de Suez, Oman pour le détroit d’Ormuz et le Yémen pour le détroit de Bab el-Mandeb sont directement concernés par la géostratégie des détroits et le transport pétrolier.

Il s’agit donc d’une nouvelle stratégie occidentale pour redistribuer les richesses, se débarrasser des leaders les plus nuisibles comme Kaddafi, en espérant que l’effet domino atteint aussi l’Iran. La Tunisie n’est dans ce cas qu’une première étape, une étincelle, qui a choisi son destin à cause d’un concours de circonstance : le malaise social, la dictature qui a atteint son paroxysme ; mais aussi à cause de sa situation : petit pays, connu par sa modernité et son équilibre et qui pourrait, donc, jouer le rôle de modèle, voir même, si on pousse la théorie du complot au maximum, de laboratoire. L’échec de l’expérience dans ce pays, sans importance sur la scène géopolitique, sans réserves importantes de pétrole, ne nuira à personne, sauf peut être aux 11 millions d’habitants qui y habitent.

L’autre possibilité dans la stratégie américaine serait de placer au pouvoir, dans les différents pays, des gens d’un certain profil : légitime à cause de leur idiologie islamique et conservatrice, mais aussi populiste, afin (qui sait ?) de dupliquer les modèles des pays du golf connus par leur aliénation inconditionnée aux américains. Le plus heureux de la planète serait Israël qui se verra en face de nouveaux leaders qui manquent d’expérience et qui seront la cause de la dislocation dans leur propre pays. Israël serait plus heureuse quand l’élite arabe, ou se qui reste d’elle, se retire de leur pays, ou de la scène politique par manque de liberté ou de moyens d’action.

Arrivons enfin aux derniers posts sur les réseaux sociaux. Pourquoi Tarek Ramadan, petit fils du fondateur du mouvement des frères musulmans, évoque la théorie du complot (voir la vidéo) ? Pourquoi maintenant seulement qu’il évoque ça ? Pourquoi voit-on défiler certains posts sur la relation entre Facebook et la franc-maçonnerie (voir le lien) ?

Pourquoi parle-t-on seulement maintenant de l’idiotie des peuples arabes ? Peut être pour pousser les idiots à faire une autre fuite en avant.
Il semble que le complot n’est pas encore fini. Il semble qu’on cherche à radicaliser les islamistes et faire perdre du terrain aux plus modérés d’entre eux. Il semble aussi que la vraie révolution n’est pas encore déclenchée. L’affaire est à suivre…

Quel serait la solution si la théorie du complot se confirme ? La solution ne serait qu’entre les mains du peuple arabe lui-même, de la vraie élite qu’elle soit d’inspiration islamiste ou progressiste (parce que le problème n’est pas idéologique), qui devrait prendre son destin entre les mains et changer pour que Dieu le tout puissant lui donne le moyen de changer sa condition.

Peut être que je suis trop influencé par le cinéma dans ce que j’ai dit. J’ai commencé par un film, je terminerai par un autre. N-t-on pas le sentiment de regarder « Usual suspect » avec sa fin, oh combien époustouflante ? Mais cette fois-ci le film ne se joue pas à l’écran, mais ça joue avec l’avenir de nos enfants.