Photo by Sami Ben Gharbia

On ne peut pas parler de révolution en Tunisie sans parler de culture et de décentralisation culturelle, parce que la marginalisation qui s’est faite pendant deux dictatures successives n’était pas que économique et sociale mais elle était aussi et surtout culturelle.

C’est peut être très simple de détecter les problèmes de la culture et de les cerner mais les solutions et les résolutions ne sont absolument pas aussi simples, les plus pessimistes d’entre nous considèrent qu’on ne va probablement pas avoir de solution.

Le régime de Ben Ali avait assassiné intellectuellement une grande partie de la société tunisienne et il est aujourd’hui urgent de réanimer la culture afin que les Tunisiens puissent s’accrocher à un projet sociétal et à l’espoir d’une nouvelle Tunisie dans laquelle Tunis n’est pas le seul lieu où se passent des choses et là où la culture dépasse le seuil du folklorique sans âme et de très mauvais goût.

Pendant des années, la culture a été un terrain de blanchiment d’argent, donc les dossiers des projets culturels existaient en piles et les activités existaient noir sur blanc mais la réalité des choses était plus que honteuse, scandaleuse, aberrante … douloureuse même …

La production culturelle « était » financièrement liée au ministère de la culture et du coup le ministère manipulait le contenu de toutes les créations, donc on « était » loin, très loin d’avoir une culture autonome… mais encore, ce ministère avait condamné toutes les portes qui pouvaient mener à la création d’un secteur culturel parallèle et indépendant, en imposant une censure étouffante et en limitant même l’intervention des financements privés par des textes juridique et des lois très serrées.

De fait, aujourd’hui on est dans un pays sans industrie cinématographique, avec un théâtre agonisant, une danse sans statut, et une production musicale condamnée au folklorique sinon underground pour dire souterraine et enterrée… un pays qui est sans droits d’auteur …un pays là où le peu de lumière existe dans la capitale … sinon c’est le néant.

Le grand danger dans la situation actuelle c’est de considérer que les réformes culturelles sont un luxe qu’on ne peut pas se permettre, alors que c’est peut être une des solutions les plus importantes voir prioritaires. Qu’est-ce qui sauverait le pays d’une nouvelle dictature en cours d’installation si ce n’est une vraie culture dynamique et une conscience collective égalitaire dans toutes les régions du pays ? Et si la culture devient une des issues économiques !? D’une pierre deux coups ? Sensibilisation (éveil) et travail et peut être plus.

Quand on fait un tour dans les locaux des activités culturelles, les maisons de jeunes, les théâtres municipaux ; on peut comprendre la situation du pays et de beaucoup de villes, toutes les villes sans exception ; l’absence de salles de cinéma est aussi un fait révélateur.

Les actions à mener, sur un premier temps : décentraliser les évènements et impliquer les citoyens dans la mouvance culturelle. Objectifs à atteindre : soutenir la création d’une culture, et instaurer une culture de création. Il faut essayer d’interpeller les gens à repenser leur rapport à la culture et stimuler en eux le besoin de sa présence : pour eux et pour les générations à venir.

Le fait est là : en plus de tous les problèmes « technique » de la vie culturelle, il y a une grande problématique de l’ordre du « philosophique » : une faille entre les artistes et la société, et il y a aussi un élitisme et un égo qui fait que la relation entre ces deux-là soit constamment conflictuelle : l’artiste se dit incompris par son public et le citoyen se dit absent et marginalisé et incapable de s’identifier dans l’œuvre artistique … un malentendu éternel … une rupture qu’on ne peut, peut-être pas, se permettre dans un contexte où la culture n’est pas uniquement une forme d’expression subjective et abstraite mais surtout une des rares armes qu’on a pour combattre notre plus grand ennemi : l’IGNORANCE.

Je pense que tant que le culturelle est liée à la misère il restera liée à une pauvreté intellectuelle aussi. Tant que l’associatif culturel est lié au caritatif ça ne va pas avancer d’un iota, tant que l’on reste collé à des plans d’actions éphémères ou de court terme on ne pourra pas briser les chaines et on laissera notre aigreur grandir et bouffer ce qui reste d’inspiration et d’espoir … et qu’est-ce que c’est morose de dire ça dans un contexte pareil… pendant lequel, à mon avis, c’est bête de ne pas profiter, même de cette illusion de liberté pour atteindre une liberté réelle là où le créateur peut vivre de ces créations, et où le spectateur peut avoir une vie complète par son droit à une culture de qualité.

Mon idée « utopique » est affreuse pour certains de mes amis réalistes et pour la grande majorité de créatures aigries qui m’entourent, c’est de monter une vraie armée de/pour LA CULTURE. Et impliquer les artisans, les travailleurs, les femmes, les jeunes et les vieux. Tout le monde dans une industrie culturelle, et pourquoi pas artistique, où les indépendants auront toujours leurs place en parallèle, uneplace qu’ils (on) préfèrent.

Mais tant que la culture est un outil de guerre entre des clans de différentes appartenances politiques, et un outil de désinformation et une arme au profit d’une politique sale, tant que nous sommes victimes d’une guerre d’égos surdimensionnés et de conflit d’intolérance et de monopolisation des fonds et des pouvoirs … je ne pense pas que l’on puisse entamer un vrai projet culturel.

Quand je lis l’histoire je me pose naïvement la question : pourquoi les révolutions des autres époques de l’histoire humaine ont-elles ramené autant de lumières pour les cultures des pays qui sont passés par ces révolutions… ?

Dans cette étape, j’ai une peur de voir naître (ou de devoir créer par la force des choses) des créations qui ne traitent que de la révolution en tant que thématique unique, contextuelle, sexy et vendeuse, au lieu de créer pour révolutionner la culture et souligner son importance pour les temps à venir.

En écrivant « La culture » : j’ai pensé art, théâtre, cinéma, danse et littérature, mais j’ai aussi pensée culture en générale : il nous faut peut-être plus de remise en question par rapport à notre lien à cette culture et aux liens qui nous restent, aux liens qu’on veut garder (ou pas), ça nous sauverait peut être de mettre la Tunisie dans un contexte universel et par la suite se poser des questions plus profonde autour de la situation actuelle du pays et des vrais enjeux ; des fragilités politiques, économiques et de l’importance de la culture dans tout ça.

J’ai lu quelque part un titre qui m’avait attiré et qui m’est semblé d’une justesse troublante: « modernisation de l’islam/ islamisation de la modernité », et puisqu’on ne peut pas parler de la situation actuelle en générale et surtout celle de la culture sans parler d’islam, d’islamisme et d’islamisation, je ne peux m’empêcher de penser à la complexité de cette donne qui est celle de l’islamisation locale et universelle, et cette guerre qui est idéologique et politique mais qui est, au yeux de la masse, « simplement » culturelle.

Avec un peu de distance et essayant de me créer une lucidité, je pense qu’il va falloir composer avec cette donne importante, non pas dans le sens de la concession mais dans le sens où il va falloir essayer de dresser la bête, de commencer par le commencement et de ne pas brusquer les choses, car on ne peut pas demander de comptes à des gens à qui on a rien donné. L’exemple des films « ni maître, ni dieu » de Nadia Fani ou de « Persépolis » de Marjane Satrapi en sont un exemple : cette masse qu’on ne cesse d’appeler « le peuple » a réagi par rapport à une œuvre artistique, et en fait ils ont réagi par rapport à la (presque) unique œuvre qui leurs est accessible et qui sans introduction a « atteint » à la seule chose qui explique l’absurdité de leurs sort : la religion. Du coup je ne pense pas qu’il est naturel d’être surpris par cette réaction dans un pays où 60% est un « no man’s land » et qu’une grande partie de ce « peuple » n’a jamais était confrontée à une liberté d’expression, ni à une variété de formes d’expression.

Pour introduire une vraie liberté il va falloir que les gens de la culture s’incrustent partout, et qu’ils essayent de comprendre la vraie nature de ce pays et surtout de ces régions (et quartiers) marginalisées; essayer de réduire les différentes failles entre les différents pôles, et agir en ayant conscience que le débat de l’identité n’est pas ce qu’il a l’air d’être mais plutôt un transfert des maux de cette marginalisation qui dure depuis des années.

Un jour, quand on aura des festivals partout, des écoles d’arts, des maisons de culture dignes de ce nom, des évènement correctement organisés, on n’aurait pas à subir une colère de la « masse », une colère justifiée, légitime et claire, ni à rester perplexe face à des actions et réactions fondées essentiellement sur l’émotionnel et non sur le rationnel… ni à confondre débat identitaire et lutte de classes, ou prendre les injustices socio-économiques régionales pour des conflits idéologiques.